Mini-chroniques : René·e aux bois dormants, Le mari de mon frère et L’autre moitié du soleil

Je vous propose trois petites chroniques d’ouvrages ayant accompagné mon automne bien occupé par le déménagement et le nouveau travail. Je n’ai pas eu le temps ou le courage de détailler davantage, mais je souhaitais quand même vous toucher un mot de ces excellentes lectures.

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René·e aux bois dormants, d’Elene Usdin (Sarbacane, 2021)

René·e aux bois dormants (couverture)Un roman graphique étonnant. Tout d’abord, un peu dubitative quand j’ai entamé ses presque 370 pages face à cette débauche de couleurs, cette diversité de techniques de dessin, ces personnages étranges, ses transitions hallucinées… bref, face à ce rendu un peu psychédélique. Puis, je me suis prise au jeu, j’ai accepté le voyage, j’ai accepté de ne pas tout suivre.
Je me suis laissée portée par cet univers fluctuant, où rien – ni l’époque, ni le lieu, ni le genre – n’est acquis ; j’ai apprécié les rencontres surprenantes, les histoires un peu macabres et cruelles, les mythologies inconnues. Enfin, j’ai été touchée par cette histoire identitaire, par ce pan de l’Histoire canadienne, par le parcours tragique de ce petit garçon et de tant d’autres.
Une histoire non linéaire, onirique, colorée et bouleversante. Un roman graphique déroutant certes, mais véritablement atypique, tant dans ses illustrations que dans la construction narrative. Je n’étais pas sûre d’aimer, j’ai été hypnotisée.

Merci Alberte pour cette découverte !

(Quelques planches sur le site des éditions Sarbacane.)

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Le mari de mon frère, de Gengoroh Tagame (4 tomes) (Akata, 2016-2017)

Un manga en quatre tomes qui m’a vraiment attendrie.
Yaichi, père célibataire, voit sa vie bousculée par l’arrivée de Mike, le mari, le veuf de son frère jumeau expatrié depuis des années au Canada. Dans une société japonaise qui ne parle pas de l’homosexualité, Yaichi se voit confronté à ses préjugés, mais Kana, sa fille, est quant à elle plus qu’enchantée de cet « oncle du Canada ».
Je ne peux pas parler de la situation des LGBTQI+ au Japon, je ne suis pas du tout calée sur le sujet, je ne traiterai donc pas de la justesse du manga à ce niveau-là. Cependant, comme je le disais, j’ai été vraiment émue par les interactions entre ces trois personnages : elles constituent la grande force de ce manga. Kana est une fillette spontanée et totalement attachante ; vierge de tout préjugé, elle va sans le savoir aider son père à passer outre son éducation et à voir ce qui est vraiment important. Mike est ouvert et parfait dans son rôle de tonton tandis que Yaichi – personnage masculin sortant des clous également ! – tient le rôle le plus étoffé, celui qui connaît une véritable évolution (même si je précise qu’il n’était pas franchement homophobe, plutôt… ignorant et pudique). La compréhension de l’autre et la connaissance de la personne qu’est Mike au-delà d’une étiquette vont lui permettre de faire son deuil et tout ce cheminement intérieur est magnifiquement mené tout au long de ces quatre tomes.
Malgré cette dernière phrase qui pourrait laisser suggérer une lecture un peu pesante, ce n’est pas le cas du tout : la tonalité est plutôt légère et bienveillante. On ne tombe pas dans des schémas un peu classiques et le regard innocent de Kana est vraiment un angle d’attaque très doux et plaisant sans pour autant rendre le tout niais.
Je l’ai lu à une période où j’avais peu de temps à consacrer à la lecture, mais ça a été un plaisir de passer un peu de temps avec eux le temps de quelques soirées. C’est très intelligent, globalement attendrissant, parfois amusant, et la fin était totalement bouleversante, je dois bien l’avouer.

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L’autre moitié du soleil, de Chimamanda Ngozi Adichie (Folio, 2016. 2006 pour l’édition originale)

L'autre moitié du soleil (couverture)

Après mon excellente lecture d’Americanah il y a presque trois ans, il était temps que je lise cet autre roman de la célèbre autrice nigériane qui raconte la guerre du Biafra et les années qui l’ont précédée, à travers le quotidien d’Olanna et Kainene, deux sœurs fraîchement rentrées d’Angleterre où elles avaient suivi leur cursus universitaire, d’Odenigbo, universitaire engagé, d’Ugwu, jeune boy de treize ans, de Richard, Anglais tombé fou amoureux de ce pays, de son histoire et de ses arts.

Encore une fois, une excellente lecture pour laquelle je pourrais reprendre les mots de ma chronique d’Americanah bien que ces romans soient bien différents (ce qui serait plus simple car, le livre quelque part dans un carton et mes notes égarées dans le déménagement, j’avoue avoir du mal à poser des mots sur cette lecture vieille de plus de deux mois …).
Chimamanda Ngozi Adichie nous immerge dans le Nigeria des années 1960 et 1970 et m’a permis d’en savoir plus sur cette guerre dont je ne savais pas grand-chose, je l’avoue (à part la famine liée à ce conflit). En l’abordant par le prisme de l’intime – des histoires individuelles bouleversées par la guerre civile –, elle facilite l’entrée dans ce pan de l’Histoire nigériane (en tout cas, elle m’a immédiatement captivée) et le résultat est bouleversant grâce à ces personnages vivants et touchants, contradictoires, faillibles, humains, vrais. L’immersion dans la sauvagerie de la guerre – la brutalité, la famine, la peur et l’espoir qui se mêlent sans cesse, la perte, les inévitables exactions… – est intense et terrible.
La diversité d’âge, de situation, de nationalité, permet de tracer un riche portrait des interactions sociales : privilèges de classe, colonialisme, discrimination, préjugés et tensions entre ethnies, la lutte entre éducation et superstitions…  Avec les deux couples – non conventionnels – qui constituent le noyau des personnages, c’est également un récit sur le couple, ce qui le porte, ce qui le construit, ce qui le renforce ou le détruit. C’est enfin un roman sensoriel, porté par les bonnes odeurs des plats d’Ugwu, chauffé par la lumière brûlante du soleil dans laquelle flotte la poussière des chemins…
L’écriture de Chimamanda Ngozi Adichie est une nouvelle fois d’une grande efficacité : fluide, vibrante, précise, marquante. Grâce à elle et à ces personnages, plus qu’instructif, ce roman s’est révélé puissant, éloquent et déchirant.

« La famine était une arme de guerre nigériane. La famine a brisé le Biafra, a rendu le Biafra célèbre, a permis au Biafra de tenir si longtemps. La famine a attiré l’attention des gens dans le monde et suscité des protestations et des manifestations à Londres, à Moscou et en Tchécoslovaquie. La famine a poussé la Zambie, la Tanzanie, la Côte d’Ivoire et le Gabon à reconnaître le Biafra, la famine a introduit l’Afrique dans la campagne américaine de Nixon et fait dire à tous les parents du monde qu’il fallait finir son assiette. »

« C’était comme s’il saupoudrait du piment sur sa plaie : des milliers de Biafrais étaient morts et cet homme voulait savoir s’il y avait du nouveau sur la mort d’un Blanc. Richard écrirait là-dessus, sur cette règle du journalisme occidental : cent Noirs morts égalent un Blanc mort. »

Prochaine lecture (dans deux-trois ans probablement…) : L’hibiscus pourpre !

Americanah, de Chimamanda Ngozi Adichie (2013)

Americanah (couverture)J’ai enfin lu Americanah ! Ce livre était dans ma PAL depuis trois ans peut-être. Trois ans que j’attendais le bon moment. Et quand je me suis enfin décidée, ce n’était pas tant le bon moment que ça puisque j’ai fait une pause au milieu pendant mon week-end à Paris – pour lequel j’avais pris un livre moins épais pour optimiser au mieux mon sac – puis pour lire La Passe-miroir – que voulez-vous, priorité priorité… –, donc j’ai finalement étalé cette lecture sur plusieurs semaines. Ça valait bien la peine d’attendre trois ans. Bref.

 De quoi ça parle ? D’Ifemelu qui quitte le Nigeria pour aller étudier aux États-Unis, de son arrivée là-bas, de ses galères, de ses succès, de ses amours, de son blog sur la race. D’Obinze, son grand amour du lycée et de l’université, qu’elle laisse derrière elle, de son séjour en Angleterre, de ses difficultés, de ses réussites. D’Ifemelu qui rentre au Nigeria, des années plus tard. De l’expatriation, du retour au pays. De qui on est.

Je ne lis pas beaucoup de littérature africaine. Quand ma PAL aura atteint une taille que je jugerai raisonnable, j’y remédierai. En attendant, j’espère lire rapidement d’autres romans de Chimamanda Ngozi Adichie à commencer par L’autre moitié du soleil peut-être tant j’ai été séduite et emportée par Americanah.

Il fait partie de ces romans qui me plongent dans un corps, dans une vie, dans des préoccupations qui me sont totalement inconnues. Indéniablement, je ne sais pas ce que ça fait d’être Noire même si je suis un peu au courant tout de même des inégalités et de ce genre de choses. Je ne peux pas m’imaginer ce que c’est au quotidien. Notamment dans des détails très terre-à-terre comme les cheveux ou la couleur des pansements. J’aurais aimé lire davantage d’articles de blog signés Ifemelu et j’aurais aimé suivre son blog, avec son ton parfois désabusé et ses remarques qui m’ont parfois poussée à m’interroger.
Racisme ordinaire, immigration, féminisme, intégration, couple, famille, différences sociales et culturelles, argent, changements de regards, identité, acceptation de soi… J’ai adoré les questions et les réflexions soulevées par ce livre et c’est peut-être pour cela que la dernière centaine de pages m’a un peu moins convaincue. Ça se lit toujours très bien, mais l’histoire se focalise sur les retrouvailles et les relations entre Ifemelu et Obinze, laissant de côté les sujets plus sociétaux. La suite de leur histoire d’amour ne m’a pas franchement renversée, mais c’est finalement une toute petite partie du roman, donc cela n’a pas impacté mon enthousiasme.

Ce n’est certes pas un roman très dynamique, c’est un roman sur la vie, sur le quotidien, sur des petits riens, mais j’ai été complètement embarquée par la narration fluide de l’autrice. C’est triste, c’est drôle, c’est dur, c’est facile, c’est déstabilisant, c’est confortable : les anecdotes se succèdent et dessinent une vie ordinaire et riche. Côtoyer Ifemelu et Obinze a été un réel plaisir, j’aurais pu vivre encore un peu plus longtemps avec eux et je suis quelque peu mélancolique à l’idée de les quitter.
Ifemelu m’a semblé étonnement… concrète. Ça peut paraître étrange dit comme ça (je trouve ça étrange), mais elle ne m’a pas simplement paru être un personnage de papier, mais une vraie personne de chair, de sang, de poils, d’imperfections. Elle est particulièrement vivante, on ne la comprend pas toujours, elle peut agacer parfois, mais je me suis vraiment attachée à elle, à son intelligence, à ses doutes, à son caractère bien trempé. C’est un roman sensoriel, vivant. On sent l’odeur du riz jollof, on vit l’élection d’Obama de façon plus intense que je ne l’ai vécue en vrai, on est bousculé par la foule… les expériences se succèdent et donnent corps à ce très beau récit.

Un roman très juste, intelligent et percutant qui m’a ouvert des horizons inconnus et des sujets qui sont bien loin de mon quotidien. Je l’attendais depuis longtemps et je suis encore sous le charme de cette lecture.

« Cher Noir non américain, quand tu fais le choix de venir en Amérique, tu deviens noir. Cesse de discuter. Cesse de dire je suis jamaïcain ou je suis ghanéen. L’Amérique s’en fiche. Quelle importance si tu n’es pas « noir » chez toi ? Tu es en Amérique à présent. »

« En Amérique, le racisme existe mais les racistes ont disparu. Les racistes appartiennent au passé. Les racistes sont de méchants Blancs aux lèvres minces dans les films qui traitent de l’époque des droits civiques. Le problème est là : les manifestations de racisme ont changé mais pas le langage. Par exemple : si vous n’avez pas lynché quelqu’un, on ne peut pas vous qualifier de raciste. Si vous n’êtes pas un monstre assoiffé de sang, on ne peut pas vous qualifier de raciste. Quelqu’un devrait être chargé de dire que les racistes ne sont pas des monstres. Ce sont des gens qui ont une famille aimante, des gens ordinaires qui payent leurs impôts. Quelqu’un devrait avoir pour mission de décider qui est raciste et qui ne l’est pas. A moins que le moment soit venu d’éliminer le mot « raciste ». De trouver quelque chose de nouveau. Comme « Syndrome de trouble racial ». Et on pourrait avoir plusieurs catégories pour ceux qui en sont affectés : bénin, moyen et grave. »

« Le racisme n’aurait jamais dû naître, par conséquent n’espérez pas recevoir une médaille pour l’avoir réduit. »

Americanah, Chimamanda Ngozi Adichie. Folio, 2016 (2013 pour l’édition originale. Gallimard, 2014, pour la traduction française). Traduit de l’anglais (Nigeria) par Anne Damour. 684 pages.

Challenge Voix d’autrices : lire une autrice racisée

Chère Ijeawele, ou un manifeste pour une éducation féministe, de Chimamanda Ngozi Adichie (2017)

Chère IjeaweleSecond essai de l’autrice nigériane, Chère Ijeawele est la réponse de Chimamanda Ngozi Adichie à une amie qui lui demande quelques conseils pour donner une éducation féministe à sa fille. Elle aborde la question sous divers angles, du rôle du père aux termes utilisés en passant par les jouets proposés, le mariage et le rapport au corps.

Dans Nous sommes tous des féministes, Chimamanda Ngozi Adichie conseillait déjà d’offrir aux enfants une éducation non sexiste qui serait positive et plus juste pour les filles comme pour les garçons. Elle creuse ici le sujet et nous offre quinze suggestions pleines de bon sens.

Evidemment, elle prêche une convaincue. Les vêtements bleus pour les uns, roses pour les autres, les jouets classés par sexe, les horripilants « parce que tu es une fille » comptent déjà parmi mes sujets de bataille et d’exaspération quotidienne. Mais il n’empêche, c’est tellement rassurant et plaisant de lire des ouvrages comme celui-ci, de se dire que des personnes vont le lire et peut-être changer de point de vue sur les femmes et sur l’éducation différenciée que reçoivent les filles et les garçons. Je me répète par rapport à ce que j’ai dit de Nous sommes tous des féministes, mais il faut que ce livre tombe entre le plus de mains possibles ! Il faut le faire lire à tout le monde, femmes et hommes, parents, futurs parents ou non car nous pouvons tous y trouver des idées pour améliorer la condition féminine.

En abordant la question du mariage, souvent présenté comme le plus grand achèvement de la vie d’une femme, elle aborde aussi les changements qu’il implique pour l’épouse et non pour le mari : le changement de nom de famille et de titre. Et elle m’a fait réfléchir sur le fameux débat « Madame/Mademoiselle ». J’avoue ne m’être jamais vraiment penchée sur la question, acceptant l’un comme l’autre sans trop réfléchir. Le Madame me donne un coup de vieux, mais le Mademoiselle – parfois entendu avec un ton bien condescendant et paternaliste au travail par ailleurs – me dit « Tu n’as pas atteint la sacro-sainte condition de femme mariée » (que je ne prévois d’ailleurs pas vraiment de connaître, cela signifie-t-il que je serais une Mademoiselle – sous-entendu une vieille fille, une pas-tout-à-fait-femme – toute ma vie ?). Pourquoi le statut marital d’une femme doit être connu de tous tandis qu’un homme sera appelé Monsieur toute sa vie ? C’est finalement très intrusif. Je n’en ferai peut-être pas mon cheval de bataille principal, mais les mots ont une importance et celui-là aussi.
Désolée pour ce pavé, mais il me permet de souligner le fait que ce petit livre amène à réfléchir, que l’on se considère déjà comme féministe ou pas, que l’on soit déjà informée ou pas.

S’exprimant avec un ton clair et enjoué, l’autrice utilise beaucoup d’exemples concrets tirés de son expérience personnelle. Si je les trouve passionnant car ils ancrent son manifeste dans le réel, j’apprécie également l’aperçu – très rapide évidemment – qu’ils donnent de la société nigériane et de la culture igbo, sujets auxquels je ne connais rien. Elle met en outre dans son livre beaucoup de bienveillance et d’optimisme : une véritable bouffée d’air frais.

Un petit livre percutant et inspirant qui devrait être offert et lu par tous et toutes pour voir le monde changer un peu.

« Je suis convaincue de l’urgence morale qu’il y a à nous atteler à imaginer ensemble une éducation différente pour nos enfants, pour tenter de créer un monde plus juste à l’égard des femmes et des hommes. »

 « En refusant d’imposer le carcan des rôles de genre aux jeunes enfants, nous leur laissons la latitude nécessaire pour se réaliser pleinement. Considère Chizalum comme une personne. Pas comme une fille qui devrait se comporter comme ci ou comme ça. Apprécie ses points forts ou ses faiblesses en tant qu’individu. Ne la compare pas à ce qu’une fille devrait être. Compare-la à ce qu’elle devrait être en donnant le meilleur d’elle-même. »

Chère Ijeawele, ou un manifeste pour une éducation féministe, Chimamanda Ngozi Adichie. Gallimard, 2017 (2017 pour l’édition originale). Traduit de l’anglais (Nigeria) par Marguerite Capelle. 77 pages.

Nous sommes tous des féministes, suivi de Les Marieuses, de Chimamanda Ngozi Adichie (2014 et 2009)

Nous sommes tous des féministes (couverture)

Par contre, oui, la couverture est moche…

Aujourd’hui, je vous présente un tout petit livre que j’ai découvert à Pixie du blog La baie des livres (et je la remercie en passant). Chimamanda Ngozi Adichie est une auteure nigériane qui notamment publié Americanah en 2015 (je cite celui-ci car c’est avec ce roman que je souhaitais la découvrir).
Elle nous propose ici le texte remanié d’une conférence donné en 2012 au TEDxEuston, un colloque annuel consacré à l’Afrique. Elle y parle féminisme et égalité à travers des anecdotes et des réflexions personnels. Elle s’y présente comme une féministe africaine heureuse.

Elle commence par démonter cette image que le mot « féminisme » évoque à certaines personnes. Non, la féministe ne déteste pas les hommes (d’ailleurs, elle peut même être un homme), peut être féminine, ne souhaite pas la domination des femmes sur le monde, n’est pas forcément poilue et peut avoir le sens de l’humour. En ce qui me concerne, je ne comprends pas cette répulsion envers le mot « féministe ». Je suis féministe, je souhaite simplement avoir les mêmes droits que les hommes, être payée de la même manière, avoir le droit d’être seule dans la rue, ne pas être reléguée à la perpétuation de l’espèce humaine, etc. Bref, « féministe » n’est pas un gros mot.

Ici, pas de théorie. Nous sommes dans la réalité vécue et percutante. C’est à travers des souvenirs, des humiliations et des situations qui l’ont confronté au sexisme dès son enfance qu’elle demande seulement un changement dans notre façon d’appréhender les genres. Il faut cesser d’enfermer chacun dans des cases, des codes qui obligent les unes à être féminines, fragiles, gentilles et surtout pas féministes, les autres à être virils, forts, agressifs et surtout pas féministes. Oui, les hommes aussi sont concernés.

« Nous réprimons leur humanité. Notre définition de la virilité est très restreinte. La virilité est une cage exiguë, rigide, et nous y enfermons les garçons.
Nous apprenons aux garçons à redouter la peur, la faiblesse, la vulnérabilité. Nous leur apprenons à dissimuler leur vrai moi, car ils sont obligés d’être, dans le parler nigérian, des hommes durs. »

Il n’est pas question ici de nier les différences entre hommes et femmes. Comme le dit l’auteure, « les différences biologiques entre garçons et filles sont incontestables, mais la société les exacerbe ». Il est simplement question de laisser chacun et chacune devenir ce qu’il  ou elle désire. On conditionne les filles à aimer le rose, les poupées, les talons hauts et la cuisine, on oriente les garçons vers le bleu, les voitures, le foot et le bricolage. On incite les premières à la discrétion et à la douceur tandis qu’on pousse les seconds à s’affirmer et à s’imposer en tant que leaders. C’est triste à pleurer. L’éducation donnée aux enfants est déjà sexiste, il est logique que les inégalités se retrouvent à l’âge adulte. C’est donc le point de départ à tout changement.

Chimamanda Ngozi Adichie possède beaucoup d’humour et de lucidité, elle n’aborde pas le sujet avec colère ou défaitisme. Elle croit à l’évolution des mentalités. Son écriture est simple et joyeuse, on se croirait entre ami.es.

Quant à la nouvelle, elle aborde le féminisme à travers l’histoire d’une femme nigériane que l’on marie à un homme du pays parti faire fortune aux Etats-Unis. Le mariage s’est fait par l’intermédiaire de marieuses et la jeune femme découvre, une fois sur place, que le silence a été fait sur certains aspects de leur union. Solitude, dépendance envers son mari, américanisation forcée… voilà ce qui l’attend de l’autre côté de l’océan. Une nouvelle sensible qui illustre parfaitement une triste vérité (et qui donne envie de lire les romans de Chimamanda Ngozi Adichie).

C’est un mini-livre. Moins de cent pages. Ce serait tellement beau si tout le monde pouvait le lire. Evidemment que moi, ça m’intéresse, mais elle prêche une convaincue. Alors si je trouve très agréable de lire des gens qui pensent comme moi, je trouve qu’il serait encore plus intéressant que Nous sommes tous des féministes tombe entre les mêmes de celles et ceux qui s’en fichent ou qui n’ont pas conscience de ce problème. Car les cas concrets et l’écriture accessible et fluide de Chimamanda Ngozi Adichie pourraient sûrement leur ouvrir les yeux.

C’est un petit livre, mais le contenu est important. Le propos est clair et intelligent et sert parfaitement la réflexion que Chimamanda Ngozi Adichie nous incite à mener. A travers des souvenirs personnels, elle expose clairement que femmes et hommes n’ont pas les mêmes droits, ni les mêmes devoirs et que la domination masculine s’est frayée un chemin un peu partout. Alors, ça coûte 2€, franchement allez-y !

« Partout dans le monde, la question du genre est cruciale. Alors j’aimerais aujourd’hui que nous nous mettions à rêver à un monde différent et à le préparer. Un monde plus équitable. Un monde où les hommes et les femmes seront plus heureux et plus honnêtes envers eux-mêmes. En voici le point de départ : nous devons élever nos filles autrement. Nous devons élever nos fils autrement. »

Nous sommes tous des féministes, suivi de Les Marieuses, de Chimamanda Ngozi Adichie. Gallimard, coll. Folio 2€, 2015 pour Nous sommes tous des féministes et 2013 pour Les Marieuses (2014 et 2009 pour l’édition originale). Traduit de l’anglais (Nigéria) par Sylvie Schneiter et Mona de Pracontal. 87 pages.