La bergère aux mains bleues, de Pierre-Luc Granjon, Samuel Ribeyron et Amélie-les-Crayons (2020)

La bergère aux mains bleues 1Il n’y a pas longtemps, je vous parlais de mon coup de cœur pour le livre-CD Maestro de Thibault Prugne. Je ne pensais pas le voir égalé (voire surpassé pour ce qui est de la version audio) si vite, mais depuis des vacances, des enfants, de la voiture, beaucoup de voiture et la nécessité de les distraire, vite, un tour en librairie (lieu magique), des contes classiques et surtout, attirant mon regard, La bergère aux mains bleues, une autre parution des éditions Margot que j’avais déjà repérée.
On lance le CD, la voix de Luc Chambon s’élève, le silence se fait (la petite s’endort…) et, à la fin de la première chanson, tout le monde est déjà conquis. Nous l’avons écouté deux fois avec les enfants et une fois sans eux, à la demande de mon compagnon aussi charmé que moi. C’est pour dire s’il séduit petits et grands !

La bergère aux mains bleues, c’est l’histoire de Kelen qui part en mer, de Madalen qui reste sur l’île, de Gael qui pêche un poisson d’argent, d’Erel qui n’entend plus rire son frère ; c’est une histoire de voyage, d’absence et de froid, de famille et de solidarité, de douceur et de tristesse. C’est aussi une histoire de moutons.

L’histoire est magnifique et fascinante. C’est un conte avec tout ce qu’ils savent receler de tendresse et des épreuves de la vie, avec ses histoires universelles sublimées par un poisson magique aussi beau que dangereux. Pendant presque une heure d’écoute, c’est la garantie d’un voyage extraordinaire et captivant.
Les voix sont harmonieuses, reconnaissables, belles. Elles font évoluer les protagonistes autour de nous, leur donne corps, leur donne vie. Les voix claires, chaudes, chantantes, douces, énergiques… Touche comique bien dosée, les moutons qui prennent plaisir à se mêler de tout et à s’insérer dans l’histoire… souvent pour se plaindre, il est vrai !
Et puis, il y a les musiques et les chansons. Quelle beauté de bout en bout ! Mélancolique avec « Madalen et Kelen », féérique avec « Le poisson d’argent », tressautante et entraînante avec « La Chanson de la laine », tendre avec « Tiens bon », plein d’espoir avec « Ça ira ! »… les tonalités sont diverses et émouvantes ; les paroles touchent juste à chaque fois ; c’est un pur enchantement.
Servies par le très grand format de cet album, les illustrations – que, pour une fois, j’ai pris le temps de regarder après écoute – nous transportent auprès de la mer et nous permettent de plonger dans ces grands tableaux. Elles se révèlent parfois aussi douces qu’une laine bien douillette, parfois aussi inquiétantes qu’un éclat glacé se fichant dans un cœur.

Je suis donc pleinement émerveillée par ce récit hypnotisant de beauté et de justesse. Faire l’impasse de la version audio serait là une erreur tant la narration est de qualité et tant les chansons enrichissent et embellissent cet album (déjà merveilleux, il faut l’avouer). Un conseil : lancez le CD et laissez-vous porter par cette bulle hors du temps !

La bergère aux mains bleues, Pierre-Luc Granjon (texte), Samuel Ribeyron (illustrations) et Amélie-les-Crayons (mise en musique et chansons). Éditions Margot et Neomme, 2020. 48 pages.

Mini-chroniques : la fournée du mois de mai

Deux mots sur quelques lectures du mois passé : des romans, une bande-dessinée et un documentaire…

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 La nuit des lucioles, de Julia Glass (2014)

La nuit des lucioles (couverture)

Kit, sans emploi, est englué dans une inertie qui l’empêche d’avancer. Sa femme le pousse alors à entreprendre la quête de ses origines, lui qui n’a jamais connu son père. C’est le début d’une quête familiale. Une quête qui m’a passionnée, je l’avoue. J’ai lu certains commentaires reprochant à ce livre des longueurs, mais, en ce qui me concerne, ça ne m’a pas freinée une seconde. J’ai adoré suivre ces personnages – le point de vue changeant au fil des parties – et l’autrice prend le temps d’explorer leur psychologie, leur passé, leurs regrets, leurs doutes, leurs espoirs. Effectivement, il ne faut pas rechercher des rebondissements éclatants ou des révélations tonitruantes. On sait dès l’incipit, avant même de rencontrer Kit, qui était son père.
Mais ce qui m’a entraînée, ce sont ces rencontres, ce ballet humain qui s’étale sur quatre générations ; ces paysages, de la montagne à la mer en passant par la campagne ; ces personnalités, ces âmes en quête de réponses. Ça parle de la famille, de la vieillesse, des questions lancinantes, de l’amour, de la paternité, du couple, des rencontres qui changent la vie, du temps qui passe.
J’ai adoré me laisser bercer par l’écriture agréable de Julia Glass, passer du temps avec les personnages et apprendre à les connaître. Une très bonne lecture qui dormait dans ma PAL depuis sept ans…

La nuit des lucioles, Julia Glass. Éditions des Deux Terres, 2015 (2014 pour l’édition originale). Traduit de l’anglais (États-Unis) par Anne Damour. 571 pages.

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Peau d’Homme, d’Hubert (scénario) et Zanzim (dessin) (2020)

Peau d'homme (couverture)

Difficile d’être passée à côté de cette BD depuis sa sortie tant elle est encensée de tous côtés. Et je dois, à mon tour, confirmer que c’est bien mérité. Cette histoire de fille qui enfile une peau d’homme – un héritage familial un peu particulier, il faut l’avouer – et va ainsi s’éveiller et apprendre à penser par elle-même est tout d’abord très intelligente. Ça parle donc, avec beaucoup de subtilité, du couple, de genre, du respect mutuel, de la religion et ses excès, des relations amoureuses, de liberté et d’égalité.
Mais c’est également une excellente histoire, bien écrite et non dénuée d’humour, d’où naissent un attachement fort aux protagonistes et une irrésistible envie de connaître la suite et fin. La plongée dans la Renaissance italienne constitue un décor fascinant et original, monde de liberté et de création artistique mais encore soumis au poids de la religion.
Alors que je craignais la simplicité des illustrations, j’ai été séduite par le dessin très coloré de Zanzim. De plus, ses traits quelque peu sinueux apportent une grâce indéniable à ses personnages.
Bref, un vrai coup de cœur !

Peau d’Homme, Hubert (scénario) et Zanzim (dessin). Glénat, coll. 1000 feuilles, 2020. 160 pages.

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Sorcière : de Circé aux sorcières de Salem, d’Alix Paré (2020)

Sorcière (couverture)

Un petit documentaire que j’avais repéré en librairie avant d’avoir la chance de le recevoir grâce à une Masse Critique Babelio (merci aux organisateurs et aux éditions du Chêne !) et que j’ai vraiment aimé picorer.
Quarante œuvres d’art (majoritairement des tableaux mais pas seulement) autour de la figure de la sorcière sont ici présentées et accompagnées d’une notice sur une page. Celle-ci évoque aussi bien l’œuvre, expliquant les symboles, attirant notre attention sur des détails, que l’évolution de la représentation des sorcières au fil des siècles, avec le bestiaire, les anecdotes et les histoires qui ont inspirées les artistes.
Ça reste assez succinct, donc si vous cherchez tout un essai, passez votre chemin, mais en ce qui me concerne, j’ai beaucoup apprécié partir à la (re)découverte de tableaux plus ou moins célèbres. La diversité des œuvres et des styles permettront sans doute à chacun·e d’y trouver ses favoris, ceux qui nous toucheront plus que les autres.
Aborder l’art au travers d’une thématique évidemment fascinante, parler de ces femmes tantôt détestées tantôt admirées sous le prisme de leur représentation graphique : me voilà séduite par cet ouvrage d’art sans prétention !

Sorcière : de Circé aux sorcières de Salem, Alix Paré. Éditions du Chêne, 2020. 107 pages.

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Le Livre des mots (3 tomes), de J.V. Jones (1995-1996)

Mai a été l’occasion de finir ma lecture de cette trilogie de fantasy. Je ne vais pas vous mentir, ce n’est pas LA trilogie à lire même si ce n’est pas désagréable.
L’intrigue reste somme toute très classique : une lutte pour le pouvoir, des complots, un élu avec sa prophétie, de la magie… De même, les personnages sont plutôt manichéens, même si quelques nuances se glissent heureusement ici ou là, venant un peu tempérer leur côté tout gentil ou tout méchant. Cependant, j’ai pris plaisir à les côtoyer et à observer leurs évolutions, parfois bienvenues. Je pense notamment à Melli dont le côté naïf du premier tome ne manquait pas de me faire lever les yeux au ciel mais qui devient plus forte et déterminée dans les deux autres volumes tout en cessant de se laisser berner à chaque rebondissement. C’était ainsi plaisant, dans la seconde moitié du dernier tome, de se rendre compte du chemin parcouru (même si la fin est assez peu surprenante…).
Ainsi, en dépit de ces quelques facilités scénaristiques, j’admets que je n’ai pas boudé mon plaisir à cette lecture divertissante et dynamique. Les changements de points de vue attisent la curiosité en faisant avancer l’action à plusieurs niveaux. J’ai toujours eu envie de connaître la suite et c’est une lecture qui m’a bien changé les idées (ce qui correspondait tout à fait à mes envies quand j’ai entamé ma lecture).
Ce n’est pas la trilogie du siècle, elle ne renouvelle rien (peut-être était-elle plus originale à sa sortie), mais ça reste agréable à lire !

Le Livre des mots, J.V. Jones. Le Livre de poche, 2007-2008 (1995-1996 pour l’édition originale. 2005-2007 pour la traduction française. Traduit de l’anglais (États-Unis) par Guillaume Fournier.
– Tome 1, L’enfant de la prophétie, 762 pages ;
– Tome 2, Le temps des trahisons, 851 pages ;
– Tome 3, Frères d’ombre et de lumière, 882 pages.

Les Nuages de Magellan, d’Estelle Faye (2018)

Les nuages de Magellan (couverture)L’espace est contrôlé par les Compagnies qui restreignent sans cesse davantage la liberté des pilotes spatiaux. Quand la rébellion est matée dans le feu, Dan, serveuse et chanteuse, improvise une chanson d’hommage dans le bar où elle travaille. Ce qui aurait pu être un vague souvenir de soir de cuite devient une vidéo virale sur l’extranet, attirant l’attention des Compagnies. Dan est alors contrainte de fuir en compagnie de la mystérieuse Mary Reed, une habituée du bar qui semblait faire profil bas depuis des années.

Une histoire de pirates ! De pirates de l’espace certes, mais de pirates quand même. Donc je l’admets, j’étais bien emballée à l’idée de cette lecture. Et je n’ai pas été déçue : les légendes de la Grande Piraterie, les voyages interstellaires à bord de vaisseaux rafistolés, la quête d’une planète indépendante et cachée aux Compagnies… Je me suis sentie à l’aise dans les bottes de Dan à partager son émerveillement et son avidité vis-à-vis des histoires de pirates de Mary.

Les deux héroïnes, auxquelles Estelle Faye donne vie en peu de mots, sont chouettes à suivre. Leur duo fonctionne bien entre amitié et relation de mentor à élève et j’ai apprécié l’évolution de Dan. Malgré tout, je leur ai trouvé un manque de profondeur et d’émotions. En dépit de ce qu’elles traversent – en particulier Dan qui n’est pas franchement rompue aux aventures spatiales – j’ai l’impression qu’elles restent assez lisses, qu’elles sont très peu dans l’analyse, dans l’interrogation, dans le ressenti. Si je les ai aimées pendant ma lecture, je peux à présent – deux jours après l’avoir terminé – dire qu’elles ne me marqueront pas car elles donnent l’impression de passer d’une étape à l’autre sans en être réellement affectées. Je n’ai pas réussi à ressentir leur tristesse, leur colère ou leur peur…

Ainsi, au-delà de l’enthousiasme de l’univers, ce roman était un peu court pour moi, trop rapide. Les étapes se succèdent sans temps mort. D’une planète à une autre, d’une lutte à une autre, d’un piège à un autre. Si je reconnais que c’était très efficace, j’avoue avoir une préférence pour les romans qui prennent davantage leur temps, qui creusent un peu plus leur univers. Par exemple, ici, les Compagnies sont réduites au rôle de méchantes floues sans que l’on ait une chance d’en savoir plus – ou de rencontrer un individu particulier, même en bas de l’échelle hiérarchique. C’est assez pour créer une dynamique – on sait qu’elles ne doivent pas tomber entre leurs mains – mais ça reste superficiel.

Je me rends compte en écrivant ma chronique que tout ça n’est pas très positif. Pourtant, j’insiste sur le fait que je ne me suis pas ennuyée. Au contraire, j’ai apprécié cette lecture pour  son univers séduisant, son histoire rondement menée et ses personnages sympathiques. Seulement, je regrette que le tout – contexte, péripéties et personnages – ne soit pas davantage étoffé, mais c’est aussi dû au fait que j’ai une préférence pour les romans plus approfondis et les interactions entre personnages plus creusées.

« Il faudra se battre, personne n’a dit que ce serait facile, ni que nous verrons la victoire de notre vivant… Mais si nous ne pouvons pas être le remède, alors nous serons la fièvre, et nous brûlerons si fort que la galaxie ne pourra plus nous ignorer. »

Les Nuages de Magellan, Estelle Faye. ScriNeo, 2018. 273 pages.

Challenge Les Irréguliers de Baker Street – Peter le Noir :
lire un livre avec de la piraterie

Underground Railroad, de Colson Whitehead (2016)

Underground Railroad (couverture)Cora, seize ans, est née esclave, tout comme sa mère Mabel, célèbre dans toute la plantation Randall pour avoir été la seule esclave à s’être enfuie sans jamais être rattrapée. Lorsque Caesar lui propose de s’enfuir, Cora accepte de suivre les traces de sa mère. D’État en État, elle tentera d’atteindre une liberté qu’elle n’a jamais connue. Mais son maître n’est pas disposé à laisser son bien le fuir ainsi et engage l’impitoyable Ridgeway pour la lui ramener.

C’est toujours difficile de chroniquer certains romans, certaines thématiques. En tant que Blanche, il m’est difficile de disserter, de réellement comprendre ce que veut dire être Noir· aujourd’hui, surtout dans un pays marqué par un passé aussi sanglant que les États-Unis. C’est là mon simple avis de lectrice vis-à-vis d’un récit que je pense être important.

J’ai découvert après ma lecture à quel point ce livre était encensé. Je ne partage pas totalement cet enthousiasme malheureusement. Ce n’est pas un mauvais roman, attention, il est prenant du début à la fin, il est terrible par les faits répugnants qu’il relate, il est passionnant quand il souligne le climat de plus en plus tendu entre États abolitionnistes et esclavagistes, il est original quand il transforme les chemins empruntés par les esclaves en fuite en un véritable train souterrain avec locomotive, gares et tout le tintouin.
L’auteur nous entraîne à la rencontre d’une galerie de personnages très réalistes, sans manichéisme. Des êtres humains, des courageux, des lâches, des traîtres, des généreux, des ordures, quelle que soit la couleur de leur peau. J’ai beaucoup apprécié les petits chapitres en forme de portraits qui s’intercalent aux différentes étapes du périple de Cora : ils nous permettent de mieux découvrir, de mieux comprendre certains protagonistes (Caesar, Ridgeway, Mabel…) et, parfois, d’éclairer le passé.

Ce qui tempère mon ressenti, c’est que j’ai commis l’erreur de lire la quatrième de couverture avant (ou au tout début de ma lecture) alors que je les délaisse d’ordinaire. Une quatrième de couverture très élogieuse, si dithyrambique qu’elle m’a donné des espoirs incroyables sur ce roman. Roman qui m’est par contraste apparu comme assez classique en dépit de l’imagination de l’auteur concernant l’Underground Railroad. Il ne va pas réinventer ce qu’était l’esclavage, mais disons que toutes les scènes que l’on s’attend à trouver dans un tel roman étaient bel et bien présentes.
Ensuite, je suis quelqu’un qui a besoin de s’attacher aux personnages (ou de les détester, mais de ressentir quelque chose). Or, à ce niveau-là, je me suis quelque peu sentie délaissée. Cora oscille entre peur et espoir, je l’ai un peu suivie dans ces émotions tortueuses, mais je ne me suis pas vraiment inquiétée pour elle, pas même lorsque certains de ces alliés disparaissaient. Car finalement, la fuite ne s’est pas révélée si haletante que ça : il y a même pas mal de temps mort. Peut-être m’attendais-je à une chasse à l’homme, à la femme plutôt, un peu plus trépidante.
De plus, j’ai ressenti une petite pointe de déception à la fin car ce n’en ai pas vraiment une pour moi. Le voyage de Cora continue et on ne sait sur quels chemins, ceux de la liberté ou de l’esclavage, il la mènera réellement. J’aime généralement les fins ouvertes, mais là, j’ai eu une sensation d’inachevé : c’est un roman sur un périple à travers les Etats-Unis et alors que le rideau s’ouvre sur de nouvelles contrées, voilà que surgit le point final.

Si ce n’est pas le coup de cœur attendu, ça n’en reste pas moins un livre très intéressant qui pousse à la réflexion, surtout suite à tous les actes racistes qui ont pu secouer les États-Unis ces dernières années.

[Instant sponsor. La lecture de ce livre m’a été permise grâce au Joli. Qu’elle en soit ici remerciée.]

« Au fil des mois, Cora et Caesar hésitaient moins à évoquer la plantation Randall en public. Ce qu’ils disaient pouvait généralement s’appliquer à tout ancien esclave qui surprendrait leur conversation. Une plantation restait une plantation ; on pouvait croire ses misères singulières, mais leur véritable horreur tenait à leur universalité. »

« Les autres étudiants proféraient des horreurs sur les gens de couleur de Boston, leur odeur, leurs déficiences intellectuelles, leurs instincts primitifs. Pourtant, quand ses condisciples entamaient de leur lame un cadavre de Noir, ils faisaient davantage progresser la cause de ces gens que l’abolitionniste le plus vertueux. Dans la mort, le Noir redevenait un être humain. Alors seulement il était l’égal du Blanc. »

Underground Railroad, Colson Whitehead. Albin Michel, coll. Terres d’Amérique, 2017 (2016 pour l’édition originale). Traduit de l’anglais (États-Unis) par Serge Chauvin. 397 pages.

C’est le cœur qui lâche en dernier, de Margaret Atwood (2015)

C'est le coeur qui lâche en dernier (couverture)Difficile d’ignorer le nom de Margaret Atwood : son roman, La Servante écarlate, a été partout sur la blogosphère en 2017, notamment grâce à l’adaptation en série et à la distribution de livres par Emma Watson dans les rues de Paris. Mais c’est C’est le cœur qui lâche en dernier qui s’est retrouvé dans ma PAL et, à ma grande surprise (avec tous ces éloges sur La Servante écarlate, j’avais un excellent a priori), je dois dire que ma lecture m’a laissée plutôt mitigée…

Les Etats-Unis sont touchés par une crise économique qui jette les gens dans la rue et les pousse aux actes les plus désespérés. Stan et Charmaine survivent péniblement dans leur voiture, mais n’hésitent pas lorsqu’ils entendent parler du projet Consilience/Positron. Ils signent immédiatement pour une vie parfaite avec maison et travail dans la ville de Consilience… un mois sur deux. L’autre mois, ils le passeront dans la prison Positron où ils seront également nourris et employés à diverses tâches utiles à la communauté. Pendant ce temps, un couple d’Alternants prend leur place dans leur maison. Le mot d’amour passionné de l’autre femme sera le premier grain de sable dans cette machine bien huilée.

« Consilience = condamnés + résilience.
Un séjour en prison aujourd’hui, c’est notre avenir garanti. »

Une dystopie qui s’interroge sur l’éternelle question « liberté ou sécurité ? », un résumé intriguant, une idée de base intéressante, les dérives prévisibles d’une utopie gâchée par l’avidité…. et pourtant…
Ma lecture s’est quelque peu déroulée en dents de scie. Le début m’a intriguée ; une fois les protagonistes à Consilience, j’ai eu une grosse lassitude pendant soixante-dix pages car le récit était redondant et donc long à mes yeux ; j’ai ensuite eu un regain d’intérêt qui m’a fait lire la fin sans trop de déplaisir (sans passion non plus).

L’embrigadement et le contrôle des habitants de Consilience sont tout de suite perceptibles et pourtant les personnages ne réalisent pas les problèmes qui les entourent. Charmaine notamment, avec son désir de bien faire et d’être acceptée dans cette nouvelle vie, se laisse convaincre sans difficulté que son travail en prison – pas très moral, mais je n’en dis pas plus – est nécessaire et met un temps fou avant de remettre en question les notions de dévouement et d’utilité publique bien inculquées.
Les dérives de ce nouveau système m’ont (plus ou moins) accrochée car je ne les trouve pas si farfelues que ça et j’étais curieuse d’assister à l’éveil et la rébellion de certains protagonistes. Mais finalement – comment Margaret Atwood se débrouille-t-elle ? – je suis restée à l’extérieur et je n’ai pas été horrifiée par les actes horribles qui se déroulent sous la surface lisse de Consilience, je n’ai pas tremblé pour les personnages… Finalement, Margaret Atwood lance beaucoup de pistes et les utilise très peu (le passé de Charmaine, l’alternance des couples dans la maison, la passion soudaine du Big Brother pour Charmaine…).

Parlons-en d’ailleurs, des personnages… Les principaux, Stan et Charmaine, me sont restés froids et peu sympathiques, distants en tout cas. Je n’ai ressenti pour eux aucune empathie. J’ai donc eu l’impression de rester à la marge du roman tout au long de ma lecture. Et eux aussi me semble-t-il. Tous deux ne font que suivre la révolte de loin, faisant ce qui leur est ordonné sans trop s’impliquer, ils subissent les événements d’un bout à l’autre.
Stan, Charmaine, Jocelyn, Max… tous sont des névrosés du cul qui te font oublier que le monde semble sombrer dans un gros bordel, leur unique (ou presque) préoccupation se trouvant entre leurs jambes. C’est peut-être une satire de nos sociétés, mais ça vient prendre le dessus sur les autres aspects de l’histoire et le sexe reste le moteur principal du roman.

Il a quelque chose de désuet et de misogyne dans cet histoire. Stan est parfois un gros macho (même si l’arrivée de Jocelyn va retourner un peu la situation puisqu’il devient rapidement pantin). Charmaine est un archétype de la bonne petite ménagère, elle est toute polie et aime se faire passer pour une petite chose fragile. Même si ce n’est pas tout à fait le cas, elle n’en est pas moins agaçante. Quant à la société instaurée à Consilience/Positron, elle est très proprette, classique, avec une répartition des tâches qui fait, par exemple, que les femmes en prison s’occupent du tricot, des cuisines et du linge. Au mieux, ça laisse de marbre ; au pire, ça énerve…

C’est le cœur qui lâche en dernier contient vraiment d’excellentes idées, le futur décrit n’est pas si lointain et inimaginable que ça, on frôle un peu l’étude de mœurs, l’immoralité des personnages est intéressante et l’humour noir (pas aussi hilarant que le prétend la quatrième de couverture) vient parfois ajouter une note grinçante au récit, mais ça n’a pas pris avec moi.
Le récit est poussif et je ne me suis pas une fois immergée dans cette histoire. C’est finalement le reproche majeur que je fais à ce roman car je n’ai pas de grosses critiques à lui faire : je ne me suis jamais impliquée, je n’ai jamais eu le moindre frisson d’inquiétude et de curiosité pour les personnages ou même l’utopie déglinguée de Consilience, je suis passée à côté.

Je garde malgré tout l’envie de lire La Servante écarlate en espérant que ce livre dont j’ai entendu tant de bien permettra à Margaret Atwood de remonter dans mon estime…

« Le mieux avec les cinglés, disait toujours Mémé Win – le seul truc, en réalité -, c’est de ne pas se trouver sur leur chemin. »

« Vous avez le choix, poursuit Jocelyn. De l’entendre ou pas. Si vous l’entendez, vous serez plus libre, mais moins tranquille. Si vous ne l’entendez pas, vous serez plus tranquille, mais moins libre. »

C’est le cœur qui lâche en dernier, Margaret Atwood. Editions Robert Laffont, coll. Pavillons, 2017 (2015 pour l’édition originale). Traduit de l’anglais (Canada) par Michèle Albaret-Maatsch. 443 pages.

Challenge Voix d’autrices : une dystopie