Petites chroniques : Le temps de l’innocence, La chose, Zombies : mort et vivant.

Je vous propose un petit melting-pot  de lectures faites ces derniers mois. Novembre avec Le temps de l’innocence d’Edith Wharton, un classique de la littérature américaine ; décembre avec La chose de John W. Campbell, une novella de SF pas toute jeune non plus mais étonnement moderne ; janvier avec Zombies : mort et vivant de Zariel, une œuvre graphique surprenante.

***

Le temps de l’innocence, d’Edith Wharton (1920)

Le Temps de l'innocence (couverture)Ce roman, qui a offert le Prix Pulitzer à son autrice en 1921, raconte un amour impossible dans la bonne société new-yorkaise dans les années 1870. C’est avant tout la description précise d’un monde d’apparence, d’hypocrisie et de bonnes manières. Les convenances qui le régissent annihilent toute tentative d’évasion. Suivre son cœur, ses désirs, n’est pas une option lorsque l’on est de haute extraction et que tous les regards se fixent sur vous. Une plongée dans un univers dirigé par les attentes de la famille et de la société.
Loin du romantisme qui abat tous les obstacles, c’est une histoire qui laisse un sentiment doux-amer. Une histoire de croisée des chemins, celui du cœur et celui du devoir, qui se referme avec un soupir sur ce qui aurait pu être. Ce n’est pas le récit d’une vie gâchée, mais d’une vie affadie.
Une autrice que je ne connaissais que de nom et une agréable découverte.

(Instant ronchon : je l’ai lu dans l’édition RBA « Romans éternels » et j’ai été un peu irritée par la pluie de virgules qui s’est un moment abattue sur le texte. Il y en avait trop. Partout. Aux endroits les plus improbables et inappropriés. Heureusement, ça n’a pas été sur l’ensemble du livre, mais ce fut quelques pages laborieuses pour moi.)

Le temps de l’innocence, d’Edith Wharton. Éditions RBA, coll. Romans éternels, 2020 (1920 pour la parution originale). Traduit de l’anglais (États-Unis) par Madeleine Saint-René Taillandier. 305 pages.

***

La chose, de John W. Campbell (1938)

La chose (couverture)

« QUOI ? C’était un livre au départ ?! », fit mon cerveau quand il repéra La chose parmi les titres des éditions du Bélial’. « Et il a 80 ans en plus ! », ajouta-t-il. « Ce sera un petit cadeau surprise parfait pour Monsieur, dis donc ! », songea-t-il juste après dans un éclair de génie. Et trois jours après Noël, le fourbe me poussa à le subtiliser pour le lire avant son légitime propriétaire. (Petite intro sur ma vie, ne me remerciez pas.)
Donc La chose. Novella publiée en 1938, elle est surtout connue pour ses adaptations cinématographiques : The Thing from Another World par Christian Nyby (1951) et The Thing par John Carpenter (1982) (et son préquel sorti en 2011). Si vous ne connaissez pas l’histoire, regardez le film de Carpenter. (Je rigole : en gros, des scientifiques en Antarctique trouvent une chose congelée depuis vingt millions d’années, la décongèlent parce qu’il faut que la chose (aux capacités d’imitation hors du commun) ait une chance de foutre le bordel, et effectivement ça tourne mal pour les humains.)

L’écriture est fluide et ne semble aucunement datée en dépit des décennies écoulées. Et, bien que je sois une néophyte, il ne me semble pas détonner parmi des publications bien plus récentes. Certes, j’admets ne pas toujours avoir suivi Campbell dans ses explications scientifiques. Non seulement j’ai eu du mal à visualiser son test avec le sang et le chien (non repris dans le film), mais je trouve qu’il force un peu trop l’aspect science-fiction sur la fin en rajoutant des technologies extraterrestres. J’ai peut-être trouvé cela non nécessaire parce que je n’ai pas vraiment ressenti le « ouf, on l’a eu chaud » que la fin devait sans doute susciter.
Cependant, son roman met surtout en avant les réactions des hommes et les psychoses que fait naître la présence de la chose, et c’est là ce que j’ai particulièrement aimé. La science et la logique perdent de leur réalité dans cette solitude gelée et cèdent la place à des réactions on ne peut plus humaines. La confiance s’érode, les regards se font défiants et les liens de fraternité se dénouent, tandis que d’autres semblent devenir fous de terreur.

Le récit court mais efficace d’un huis-clos paranoïaque prenant, quoiqu’un peu trop rapide à mon goût pour transmettre une réelle tension.

 La chose, John W. Campbell. Le Bélial’, coll. Une heure-lumière, 2020 (1938 pour l’édition originale). Traduit de l’anglais (États-Unis) par Pierre-Paul Durastanti. 118 pages.

***

Zombies : mort et vivant, de Zariel (2020)

Zombies (couverture)

Grâce à Babelio, j’ai pu découvrir cette œuvre atypique signée Zariel. Zombies : mort et vivant est un leporello, un livre-accordéon qui déploie deux fresques de près de trois mètres. D’un côté, les humains, sains de corps, vacants à leurs occupations ; de l’autre, les zombies, pourrissants et affamés.

Seulement, comme le constate le narrateur, retranché derrière ses fenêtres, « rien n’a changé ». L’artiste dénonce la surconsommation, aussi aveugle que la quête de viande des morts-vivants, l’égoïsme, ce « chacun pour soi » qui règne en maître recto comme verso. Il y a bien quelques personnages rêveurs, ou polis, ou simplement différents des autres – à l’instar de ces zombies au regard fixé sur le ciel –, mais rien ne change vraiment.

Le texte est court, les phrases laconiques, mais percutantes et parfois tristement véridiques. Les traits épais racontent la violence d’un monde routinier, d’une société individualiste, de visages mornes, avides ou léthargiques. Quant aux teintes en noir, gris, rouge et jaune uniquement, entre ombres et lumières, elles transmettent une atmosphère sombre et affligée.

Un objet original et fascinant, un observateur désabusé et pessimiste, une ronde méphistophélique et une vision particulièrement critique, amère et cynique d’un vis-à-vis de l’humanité.

« A force de les regarder, je les envie d’être comme ils sont.
Ils ne se soucient de rien, ne se posent plus de questions, avancent bêtement sans rien demander.
Je ne sais même pas s’ils ont une conscience.
Quelle idée stupéfiante, vivre sans conscience, sans doutes, sans problèmes… »

Zombies : mort et vivant, Zariel. ActuSF, 2020.

L’école buissonnière, de Takayo Akiyama (2014)

L'école buissonnière (couverture)L’école buissonnière a attiré mon regard par son format tout en hauteur (34×14 cm) et son pliage en accordéon. Une fois les liens bruns et verts dénoués, les pages se déploient et dévoilent l’histoire d’un petit rouquin, souffre-douleur des autres élèves à cause de sa tignasse, qui décide de s’enfuir. Il fait alors connaissance avec une créature dont il partage la rousseur : un sage renard qui décide de lui apprendre la vie à l’école de la forêt. A l’humain qui avait honte de ses cheveux, il lui apprend à en être fier ; à l’humain qui ne savait pas nager, il lui offre des leçons avec une loutre ; à l’humain difficile, il lui fait découvrir les délices de la nature.

L’évolution du personnage est parallèle au cycle de l’année et, au fil de l’apprentissage délivré, les saisons défilent. Le rouge chasse le vert dans les arbres et, bientôt, un manteau de neige recouvre le paysage. Le renard, un peu blasé, s’attache à son jeune protégé et se met en quatre pour l’armer de la philosophie indispensable pour s’épanouir dans le monde. Pas moralisateur, pas niais, on a envie de les suivre dans leurs explorations forestières. A partir d’une situation que beaucoup d’enfants peuvent expérimenter, le rejet, Takayo Akiyama tire une fable onirique et joyeuse qui permet de relativiser et de constater que rien n’est insurmontable. Comme l’écrivait Anne Brontë dans Agnes Grey, « le cœur est comme la gomme arabique, il suffit d’un rien pour le faire gonfler, mais il résistera à bien des choses sans se briser. »

Les aquarelles sont jolies et douces. Outre l’histoire qui se déroule sur une face, la seconde offre un panorama de la nature au printemps, en été, en automne et en hiver. Des dizaines d’animaux s’y dissimulent et les noms de nombreuses plantes sont indiqués : au jeune lecteur de les identifier au cours d’une promenade en forêt !

Ce leporello (oui, je viens d’apprendre que c’était ainsi que l’on appelait ces livres accordéons alors je frime !) enchantera les enfants par son déploiement inhabituel et plongera tous les amoureux de la nature dans une frise de verdure.

Pas inoubliable, mais sympathique quand même, L’école buissonnière incite à aborder la vie plus sereinement. Drôle et intelligent.

L'école buissonnière (frise)

Le panorama forestier de L’école buissonnière

« Hum… La nature est la meilleure école qui soit. Tu ferais peut-être mieux de rester avec moi. C’est vrai ! Les humains devraient prendre exemple sur nous ! Es-tu prêt pour l’école de la forêt ? C’est moi qui t’instruirai. »

L’école buissonnière, Takayo Akiyama. Cambourakis, 2014. Traduit de l’anglais par Amandine Schneider-Depouhon. 20 pages dépliantes.