Quatre BD « société » : Grand silence, Gisèle Halimi : une jeunesse tunisienne, Quelqu’un à qui parler et Stop Work

Après les BD « western » et « SFFF », voici le dernier quatuor de lectures graphiques autour de questions sociétales.

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Grand silence,
de Théa Rojzman (scénario) et Sandrine Revel (dessin) (2021)

Grand silence (couverture)Dans un monde semblable au nôtre, une étrange usine dressée à l’écart de la ville remplit une terrible mission : avaler les cris des enfants en souffrance.

Une bande-dessinée qui aborde un sujet pour le moins délicat, aussi triste qu’atroce, aussi révoltant que réel : celui des violences sexuelles commises sur les enfants. En adoptant judicieusement la forme d’un conte (pour adultes), les autrices ont trouvé la distance et le ton adéquats pour en parler. Le résultat, quelque peu onirique, n’est pas voyeuriste, mais n’atténue pas non plus la violence des faits et des conséquences. La pudeur du récit rend le tout extrêmement poignant tandis que, au vu de la brièveté de la BD, scénariste et dessinatrice parviennent à apporter au récit des nuances, ainsi qu’une palette de réactions et d’émotions.
J’ai apprécié les métaphores qui touchent autant qu’elles indignent : Onte et Aine devenus monstres sous le lit des enfants, ces bulles blanches dénonçant le mutisme, le traumatisme, le refus d’entendre…

Les choix de narration et de dessin judicieux donnent naissance à une BD qui aborde avec justesse un sujet des plus tabous. Une lecture mémorable, marquée par ce paradoxe d’un ouvrage doux et beau pour un sujet horrible.

Grand silence, Théa Rojzman (scénario) et Sandrine Revel (dessin). Glénat, 2021. 128 pages.

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Gisèle Halimi : une jeunesse tunisienne,
de Danièle Masse (scénario) et Sylvain Dorange (dessin) (2023)

Gisèle Halimi (couverture)

La jeunesse et l’adolescence de Gisèle Halimi, de sa naissance à son départ pour Paris (1927-1945).

(Je précise que je ne connais pas assez la vie de Gisèle Halimi pour juger de la justesse de ce récit de ses jeunes années.)

Une biographie intéressante, classique mais prenante. Il faut dire que la jeune Gisèle attire la sympathie et l’admiration par ses rebellions précoces et sa prise de conscience des inégalités femmes/hommes. Observant la servitude acceptée par sa mère, elle s’y oppose très jeune et comprend qu’elle n’y échappera que par l’éducation. Le quotidien de la famille, son intérêt pour des guerrières ou reines, ses études, les remous politique connus par le pays, font naître ses convictions politiques et son engagement féministe. Une fillette/adolescente/jeune femme déterminée à lutter contre les injustices du patriarcat qui dessine une figure inspirante.
J’ai été frappée par la manière dont Fritna, sa mère, avait intégré sa condition inférieure et accepté une place dévolue aux enfants, à son mari et à l’entretien de la maison, attachant aux traditions, adulant les fils et regrettant les filles. Quoique trouvant des alliés en son grand-père et son père (du moment que ça ne lui coûte rien), c’est surtout en rejetant le destin maternel et les propos résignés de Fritna que Gisèle s’est construite.

Le dessin offre des visages expressifs, des personnages grandissants/vieillissant au fil des années, des cases lumineuses, des couleurs chaleureuses, qui savent néanmoins assombrir tristement l’atmosphère autour de cette mère emprisonnée par les traditions.

Un bel hommage.

Gisèle Halimi : une jeunesse tunisienne, Danièle Masse (scénario) et Sylvain Dorange (dessin). Delcourt, coll. Encrages, 2023. 129 pages.

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Quelqu’un à qui parler,
de Grégory Panaccione, d’après le roman de Cyril Massarotto (2021)

Quelqu'un à qui parler (couverture)

Samuel fête ses 35 ans. Seul et déprimé. Son portable en panne, il compose sur son fixe le seul numéro qu’il connaisse par cœur : celui de la maison de son enfance. A sa grande surprise, quelqu’un décroche : le Samuel d’il y a vingt-cinq ans.

Le roman graphique suit l’évolution positive de Samuel à partir de ce coup de téléphone. Lui qui s’ennuyait dans son travail, qui subissait son célibat, qui n’osait plus, se voit booster par le regard impitoyable et désappointé de son lui de dix ans. Celui qui se rêvait écrivain et footballeur, voyageur et amoureux… tout ce que Samuel n’est pas devenu. Les échanges entre les deux Samuel sont très touchants (mais aussi drôles ou propices à la réflexion, à l’introspection) et constituent à mon avis les meilleures parties de la BD.
Finalement, la confiance de quelqu’un – fut-ce de son enfant intérieur – impulse un regain de confiance en soi, véritable bouffée d’air frais pour un Samuel qui étouffait, en même temps que nous, entre les murs gris de son bureau et de son appartement. Une histoire qui rappelle d’oser parfois, de ne pas se laisser enfermer dans un train-train quotidien peu épanouissant.

L’idée était intéressante et la BD est agréable à lire, mais j’avoue n’avoir pas été toujours pleinement convaincue. Le trait n’est pas de ceux qui me plaisent et les couleurs sont trop ternes pour moi – mais j’ai fait abstraction –, mais surtout je n’ai pas assez cru à son histoire, à commencer par sa relation avec Li-Na, une nouvelle collègue. De plus, son comportement m’a parfois déçue, parfois exaspéré, d’où une difficulté à apprécier le personnage principal. Enfin, le côté un peu feel-good « et finalement tout s’arrange » ne me touche pas toujours, notamment quand tout est trop rapide et peu crédible comme à la fin de la BD.

Un roman graphique qui n’est pas dénué d’intérêt ponctué d’échanges réussis entre les deux Samuel, mais handicapé par un dessin peu attrayant, un personnage principal qui n’a pas su éveiller la sympathie en moi et une fin un peu trop précipitée et idéalisée.

Quelqu’un à qui parler, Grégory Panaccione, d’après le roman de Cyril Massarotto. Le Lombard, 2021. 256 pages.

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Stop Work : les joies de l’entreprise moderne,
de Jacky Schwartzmann (scénario) et Morgan Navarro (dessin) (2020)

Stop Work (couverture)Fabrice Couturier travaille au service achats d’une grosse boîte depuis longtemps, mais commence à se sentir anachronique dans ce monde dématérialisé et contrôlé par une nouvelle entité : l’E.H.S., ou le service Environnement Hygiène Sécurité.

Je dois reconnaître que cette BD n’est pas dénuée d’humour. Le portrait acéré de certaines pratiques visant la protection des employés de la productivité du capital humain tombe parfois juste (pour avoir expérimenté l’interdiction de monter sur une chaise pour attraper quelque chose dans un placard faute de l’autorisation « travail en hauteur »). Certaines situations sont donc cocasses tant elles paraissent exagérées (alors qu’elles ne le sont pas forcément).
De même, j’ai apprécié le regard amical porté sur le personnel d’entretien, hommes et des femmes invisibles même lorsqu’évoluant parmi les salariés. Les auteurs, en leur accordant la parole, font tomber les préjugés tandis que leur situation fournit un pas de côté, un regard décalé sur les incongruités de l’entreprise.

Néanmoins, je n’ai guère adhéré au personnage principal qui – en dépit d’un joli soutien apporté à sa fille dans une scène se déroulant dans le bureau de la proviseure – m’a semblé montré un fonds de misogynie réac’. Même si j’ai souri devant certaines résistances, même si j’ai apprécié certaines évolutions en lui, quelques facettes du personnage m’ont empêché d’apprécier réellement la bande-dessinée.
Le style graphique n’avait rien pour me plaire encore une fois, ce qui a pénalisé l’immersion dans une BD qui, par sa plongée dans un milieu qui ne m’intéresse guère, n’aurait jamais attiré mon attention hors de ce petit prix.

Une BD satirique dont certains épisodes croquent avec ironie toute l’absurdité du travail moderne, mais dont le personnage principal n’a pas su fédérer toute ma sympathie.

Stop Work : les joies de l’entreprise moderne, Jacky Schwartzmann (scénario) et Morgan Navarro (dessin). Dargaud, 220. 132 pages.

Parenthèse 9ème art – Histoires de femmes

Si j’espère vous donner envie de découvrir ces différents romans graphiques intelligents, bouleversants, déchirants, je pense que cet article vous convaincra également que Déjeuner sous la pluie est un blog à suivre impérativement du fait des excellents conseils prodigués par Maned Wolf…

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Pucelle (2 tomes), de Florence Dupré La Tour (2020-2021)

Récit autobiographique, Pucelle raconte la non éducation sexuelle reçue par Florence dans sa famille, riche, blanche, chrétienne et conservatrice. Une simple règle : on ne parle pas de « la chose ». Mais l’imagination de la petite puis jeune fille tourne à plein régime et les images qui y naissent sont terrifiantes, pleine de souffrance, de honte et de sang.

C’est parfois d’une violence abominable dans l’éducation inculquée concernant le corps, la sexualité et la place des femmes. C’est l’histoire de l’intégration progressive et insidieuse de l’infériorité des femmes : une mère soumise, une Histoire au masculin marqué par une seule figure féminine, Jeanne d’Arc la Pucelle, l’impact des tabous et de la religion, un père distant et parfois humiliant, une vision de l’avortement totalement biaisée… Son corps et son esprit s’affrontent, l’un tiraillé par des désirs naissants, l’autre façonné par la honte inculquée par l’Église. C’est la naissance d’une haine de soi, des autres parfois, d’un mal-être dévorant et abyssal. C’est révoltant au possible et cheminer aux côtés de Florence se révèle parfois éprouvant.

C’était pourtant mal parti car le dessin n’est pas du tout pour me séduire avec un côté exagéré, caricatural. Je lui reconnais cependant une belle expressivité des émotions ressenties : en quelques traits simples, la dessinatrice fait naître la peur, l’indignation, l’excitation et le mal-être. Cependant, je suis passée outre sans difficulté tant l’histoire était intéressante et ahurissante parfois. La narration est vive et captivante et l’on s’attache sans mal à Florence.

Un récit glaçant, grinçant et d’une tristesse sans égale par moments, mais vraiment passionnant pour l’impact d’une éducation sur la construction de soi. C’est parfois cru, mais c’est aussi juste et franc. Malgré de la dérision, le sujet est très sérieux et véritablement percutant.
Je remercie donc Maned Wolf pour la découverte car, si j’avais simplement feuilleté ces romans graphiques, je m’en serais peut-être détournée et serait passée à côté d’une poignante découverte.

Pucelle (2 tomes), Florence Dupré La Tour. Dargaud, 2020-2021.
– Tome 1, Débutante, 2020, 179 pages ;
– Tome 2, Confirmée, 2021, 230 pages.

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Anaïs Nin, sur la mer des mensonges, de Léonie Bischoff (2020)

Anaïs Nin sur la mer des mensonges (couverture)Anaïs Nin, sa vie, ses amours, ses relations, ses écrits, son journal…

Alberte et moi nous étions lancées dans le journal d’Anaïs Nin l’année dernière, mais la rencontre n’avait pas été très concluante, notamment à cause de la mise en scène permanente d’Anaïs, June et compagnie. Et si j’ai beaucoup aimé ce roman graphique, je n’y ai pas retrouvé tout à fait la même Anaïs Nin que dans son journal, dans le sens où j’ai préféré celle de Léonie Bischoff, moins agaçante à mon sens et même assez envoûtante. Son histoire a tout pour me toucher dans cette version-là – une personnalité forte et audacieuse, une quête pour s’exprimer et se trouver, une recherche de liberté… –, mais je ne peux me défaire des sentiments nés de la lecture du journal et garde donc cette réserve vis-à-vis du personnage qu’était Anaïs Nin, impossible à cerner tant elle propose des réalités différentes.
En revanche, on retrouve ses relations complexes avec les hommes qui tentent de la posséder, de la manipuler pour qu’elle corresponde à leur désir, à leur idéal. On retrouve ce jeu d’illusions, de mensonges, de rêves dont semble tissé le quotidien d’Anaïs Nin. (Autre différence de taille, la BD fait intervenir le mari d’Anaïs qui avait été complètement occulté dans son journal…)

En revanche, le point sur lequel cette BD est un coup de cœur, c’est au niveau du graphisme. J’ai été totalement fascinée par le trait de Léonie Bischoff. Ses lignes, ses couleurs, sa maîtrise du crayon de couleur donnent naissance à des planches, à des cases absolument somptueuses. Je me suis très souvent attardée pour contempler la manière dont elle amenait de la lumière, dont elle donnait vie à une étoffe, à une position, à une chevelure. Son style est tout simplement époustouflant et vibrant, à la fois doux et onirique.

Si je n’ai pas vraiment d’affinité avec Anaïs Nin, je dois avouer que découvrir sa vie sous le trait de Léonie Bischoff fut plus plaisant que le biais de son journal. L’autrice a bien rendu la complexité d’Anaïs Nin et des rôles qu’elle (se) jouait tout en donnant vie à sa témérité et à sa force. Ce fut même un choc graphique tant je reste sous le charme de son coup de crayon.

Anaïs Nin, sur la mer des mensonges, Léonie Bischoff. Casterman, 2020. 190 pages.

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Le Chœur des femmes, d’Aude Mermilliod,
d’après le roman de Martin Winckler (2021)

Le choeur des femmes (couverture)Major de promo et interne à l’hôpital, Jean est bien décidée à se diriger vers la chirurgie, mais là voilà obligée de passer six mois dans le service gynécologique du docteur Karma. Écouter les femmes ne l’intéresse pas et la patience de ce médecin qui fait parler ses patientes de leurs petits tracas l’exaspèrent. Mais les témoignages se succèdent et le mur d’insensibilité de Jean se fissure.

Encore une fois, c’est Maned Wolf qui, dans le même article, m’a fait découvrir cette bande-dessinée (il y a comme des redites dans cet article…). Et encore une fois, c’était une excellente recommandation. C’est un titre touchant qui laisse la place aux femmes et à leur voix. Quelle que soit la gravité du problème, le docteur Karma, puis Jean laissent s’exprimer l’émotion, la pudeur, la gêne, les questions et désamorcent toutes les situations avec patience, bienveillance et explications claires. Dans ce service, point de condescendance, point de patientes qui ressortent en se sentant malmenées, stupides ou sans réponse.

C’est une lecture fascinante et intelligente qui aborde des sujets variés : intersexuation, examens ou interventions abusives, consentement, désir d’enfants, avortement, douleurs, pratiques gynécologiques alternatives… L’occasion de montrer une pratique médicale différente, plus empathique, de clarifier certains tabous, de casser la gueule à certaines idées reçues. Certains passages révoltent, d’autres émeuvent, le tout passionne : une belle réussite !

(Les photos correctes viennent de BD Gest’, les pourries de Bibi…)

Un roman graphique juste et sensible qui donne envie de trouver des soignant·es faisant preuve de la même compétence et du même respect que ces deux-là.

Le Chœur des femmes, Aude Mermilliod, d’après le roman de Martin Winckler. Le Lombard, 2021. 232 pages.

Les crocodiles, témoignages mis en dessins par Thomas Mathieu (2014)

Les crocodiles (couverture)Tout d’abord un Tumblr, le Projet Crocodiles consiste à mettre en images des témoignages de femmes sur des « histoires de harcèlement et de sexisme ordinaire ». La BD est un regroupement de ces planches, augmentée de quelques conseils pour éviter ou affronter ses situations que l’on soit victime, agresseur ou témoins. Quelques textes de personnes impliquées dans la lutte contre le harcèlement apportent un éclairage supplémentaire sur le choix de dessiner les hommes en crocodiles, sur les initiatives qui sont prises pour parler de ce problème, etc.

Je pense qu’il est important d’avoir des BD comme celles-ci, ou comme les trois En chemin elle rencontre… Elles permettent de se rendre compte de ce que les femmes vivent chaque jour (car, quand on est un homme, on ne voit pas ce quotidien d’insultes, de sifflements, d’inquiétudes. Quand je lui ai mis la BD entre les mains, un ami m’a dit que certaines histoires lui paraissaient incroyables. Sauf qu’elles sont courantes.) Le harcèlement et le sexisme sont une triste réalité et je pense que c’est un pas supplémentaire vers une prise de conscience. Je ne pousse pas la naïveté au point de dire qu’une BD résoudra tout, mais ce format permettra peut-être de toucher un public qui lit beaucoup de BD et qui n’aborderait pas le sujet sous une autre forme (livres, discussions, etc.).

En outre, Thomas Mathieu déculpabilise les femmes. Beaucoup, après une agression quelle qu’elle soit, s’interroge : est-ce ma faute ? est-ce ma tenue ? Non, c’est l’attitude des hommes qui doit être montrée du doigt, Thomas Mathieu insiste énormément là-dessus dans la seconde partie.

De plus, la BD rentre dans l’espace privé et aborde également la question du viol conjugal, une agression grave, mais souvent minimisée puisque « tu ne peux pas être violée par ton compagnon, voyons ».

Je trouve pertinent le choix de caricaturer les hommes en croco, je ne l’interprète pas comme « tous les hommes sont dangereux, fuyez ! », mais comme une réalité qui est que tout homme peut un jour être un croco. Même rien qu’un peu. En n’intervenant pas, en laissant un ami siffler des filles, en faisant un petit commentaire sexiste… De plus, cela peut peut-être faciliter l’identification à la victime « humaine » pour des personnes ne se sentant pas concernées.

Les témoignages choquent parfois, touchent toujours juste. Certains reprochent aux Crocodiles le caractère répétitif des histoires, mais on voit différentes sortes de harcèlement, différentes situations où s’exerce un sexisme insupportable. Et dans la vie, dans la rue, c’est également très répétitif pour les femmes de se faire aborder où qu’on aille. Et non, ce n’est ni flatteur, ni agréable ! Donc je pense qu’il faut en parler, encore et encore.

A mettre dans les bibliothèques, dans les CDI, entre toutes les mains, féminines comme masculines !

 

« Le sujet de Les Crocodiles n’est pas de dire que les hommes naissent crocodiles, mais qu’ils le deviennent, et c’est là  que la caricature prend tout son sens. Un dessin qui me glacerait le sang, ce serait celui d’un bébé humain qui se transformerait petit à petit en crocodile. Ça me choquerait parce que c’est ce qui arrive, on transforme des petits garçons en prédateurs sexuels, alors qu’ils pourraient devenir des humains respectueux et heureux. Je pense à la citation d’Andrea Dworkin : Comment se fait-il que le garçon dont le sentiment de vie est si vif qu’il donne de l’humanité au soleil et à la pierre se transforme en homme adulte incapable d’admettre ou même d’imaginer son humanité commune avec les femmes ? »

 

Le Tumblr et la page Facebook du Projet Crocodiles

Les crocodiles, Thomas Mathieu (dessins). Le Lombard, 2014. 176 pages.

Liens de sang, de Yves H. (scénario) et Hermann (dessins) (2000)

Liens de sang (couverture)Sam Leighton quitte sa campagne pour la métropole et travaille à la criminelle. Meurtres en série, mystérieuse chanteuse, parrain de la mafia, il se met en tête de découvrir faire tomber le big boss, Joe Beaumont que personne n’a vu depuis vingt ans. Pour cela, il se lie avec un détective privé du nom de Philip Meadows (Philip Meadows Taylor, romancier et administrateur de l’Inde au XIXe siècle, a travaillé dans un bureau d’investigation criminelle luttant contre une puissante société secrète, les Thugs. Anecdote en passant…).

 

Liens de sang emprunte beaucoup au film noir américain. Dans une ville des années 1950 gangrenée par le crime et la corruption évolue des détectives et flics au passé sombre ou au comportement trouble. Silhouette au coin des rues, imper, visage dissimulé sous les larges bords d’un chapeau, clope rougeoyante au bec. Mais le tableau ne serait pas complet sans la femme fatale pour leur faire perdre la tête… La nuit et la pluie enveloppe l’album d’un rideau noir de violence et de mort.

Qui est-il ? Telle est la question que le lecteur peut se poser à propos de chaque personnage. Quelle est leur relation ? Entre complexe d’Œdipe et mensonges familiaux, cette BD se complexifie à chaque page. Quant à Joe Beaumont, qui est-il ? Existe-t-il vraiment ? Est-il le Diable ?

 

Je suis toutefois restée perplexe par moments et, par deux fois, j’ai fini par décrocher de ce scénario un peu trop tarabiscoté. Cinquante-six pages est peut-être un format trop court pour ce type d’histoire.

Nouvelle collaboration pour Hermann et Yves Huppen, les dessins du père sont une excellente mise en scène pour le scénario du fils. Sans fioriture, il plante efficacement décors et protagonistes. Pourtant, je n’accroche décidément pas au style d’Hermann même si je peux comprendre ce qui peut plaire.

Difficile de qualifier Liens de sang de bon ou mauvais, mais il s’agit sans nul doute la plus complexe des BD « Signé » lues et critiquées jusqu’à présent.

« Joe… c’est l’homme le plus riche et puissant de la ville et même au-delà. Il se fait que personne ne l’a vu depuis vingt ans. Un vrai mystère. Alors, il se raconte des choses. Rumeurs ou vérités ? Il est devenu un mythe. »

Liens de sang, Yves H. (scénario) et Hermann (dessins). Le Lombard, coll. Signé, 2012 (2000 pour la première édition). 56 pages.

Les autres BD « Signé » :

Western, de Jean Van Hamme (scénario) et Grzegorz Rosinski (illustrations) (2001)


Western (couverture)Western
prend place dans la seconde moitié du XIXe entre le Wyoming et le Kansas. A une époque où le chemin de fer s’installe, où l’on recherche morts ou vifs les « outlaws », où les Indiens commencent à être parquer dans les réserves des « Badlands » (ce qui est assez drôle car ce contexte fait écho au roman que je lis actuellement, La dernière frontière d’Howard Fast).

C’est une histoire de filiation, de famille et d’héritage. Une histoire de cupidité, de jalousie et de vengeance. Un véritable western comme on l’attend au titre : une fine gâchette (manchotte), un ranch, des bandits, des meurtres et des complots.

Le travail de Rosinski colle très bien avec l’histoire, les tons bruns, jaunes, gris ou noirs dominent dans une histoire où pèsent les secrets et plane l’ombre de la mort. Cependant, malgré ce scénario qui se veut effrayant, tragique, je n’ai pas ressenti ce genre d’émotions.

C’est un divertissement correct – pas un mauvais moment, pas de grands souvenirs – même si cette BD n’a rien d’exceptionnel dans la narration ou dans l’illustration. Quoique… Au sujet de l’illustration, je dois nuancer. L’originalité de la BD est de présenter cinq double pages, cinq tableaux. Ces peintures sur lesquelles on tombe avec surprise nous plonge réellement dans un paysage, dans une ambiance, dans une scène de vie.

Je n’ai pas grand-chose à en dire, ce n’est pas le genre de bande dessinée qui me touche et elle ne marquera pas ma mémoire pour longtemps.

« Je ne sais pas pourquoi j’ai fait exprès de mal tirer. Sans doute pour renforcer mon personnage de pauvre cloche. Ce n’était pas un rôle, d’ailleurs. J’étais devenue une pauvre cloche. »

Western, Jean Van Hamme (scénario) et Grzegorz Rosinski (illustrations). Le Lombard, coll. Signé, 2008 (Le Lombard, 2001, pour la première édition). 88 pages.

Les autres BD « Signé » :