Arte, tomes 1 à 9, de Kei Ohkubo (2013-…)

Issue de la petite bourgeoisie florentine, Arte est avant tout une passionnée de peinture, une passion encouragée par son père et réprouvée par sa mère. A la mort de son père, elle décide de prendre son avenir en main et de devenir peintre coûte que coûte. Après moult déconvenues, elle parvient à convaincre Leo, un maître solitaire, de l’accueillir dans son modeste atelier.

Arte est une excellente découverte ! Ce manga nous plonge dans l’Italie du XVIe siècle et nous fait découvrir Florence et Venise, la vie de cette époque, le fonctionnement des ateliers, l’importance des mécènes… J’ai aimé les informations disséminées dans ce manga agréable à lire, ainsi que les précisions de l’autrice en fin de tome lorsqu’elle prend des libertés avec la réalité historique. Ce n’est pas un documentaire, c’est très romancé et très probablement adouci par rapport à la réalité, mais j’ai apprécié cette plongée dans une autre époque.

C’est aussi une lecture captivante car je n’ai pas tardé à me prendre d’affection pour Arte et à suivre ses aventures, ses déboires et ses réussites avec grand plaisir. Arte est une héroïne lumineuse. Moi la pessimiste, j’ai aimé lire son optimisme, voir son sourire rayonnant, son incapacité à baisser les bras. Arte se donne vraiment les moyens d’atteindre ses objectifs et, en prime, entraîne les autres sur son sillage. Son bon cœur la pousse à aider les autres, à leur apprendre à se battre pour ce qu’ils et elles désirent vraiment. Ainsi, elle apprend à Dacia, une modeste couturière, à lire et à écrire, lui offrant l’espoir d’une vie meilleure ; et plus tard, ce sera Dacia qui encouragera une autre jeune fille à faire entendre sa voix.
Tout en dénonçant le sexisme de la société sous divers aspects (niveau d’instruction, importance de la dot et place des filles dans une famille, possibilités d’avenir, abus des femmes modestes…)Arte garde une aura très positive malgré tout. L’autrice y place de belles valeurs (persévérance, solidarité, générosité, écoute, amitié…) sans que le tout apparaisse comme niais ou trop gentillet. De la même façon, elle adoucit la violence des réactions masculines envers les rêves d’Arte grâce à deux personnages masculins qui se détachent de tous ces hommes qui la regardent de haut (du moins, au premier abord) : son maître Leo qui la considère comme son apprentie, comme une personne, et non uniquement comme une femme faible et incapable (il ne lui épargnera d’ailleurs aucune tâche pénible) et son ami, apprenti également, Angelo. Ayant grandi parmi de nombreuses soeurs, Angelo respecte et admire Arte – pour son caractère, pour son ardeur au travail, pour son coup de pinceau, pour sa réussite… – d’une manière qui, si elle nous paraît « normale », n’avait rien d’évident à l’époque. De la même manière, il se montrera admiratif des efforts de Dacia pour améliorer sa condition.

Arte, c’est donc :

  • un discours moderne sur la condition féminine replacé dans un contexte historique très intéressant ;
  • une héroïne travailleuse, joyeuse et volontaire et des personnages secondaires travaillés et attachants ;
  • une ambiance chaleureuse et dynamique dont j’ai aimé autant les chapitres « tranches de vie » que ceux où l’intrigue devient plus travaillée ;
  • des illustrations réussies, pleines de finesse et de détails – notamment sur les vêtements –, qui, grâce à des visages expressifs, donnent vie aux personnages (petit bémol peut-être sur celui de Leo qui ne me convainc pas à chaque fois…).

Arte, tomes 1 à 9 (11 parus en VF à ce jour), Kei Ohkubo. Éditions Komikku, 2015-… (2013-… pour l’édition originale). Traduit du japonais par Ryoko Akiyama. 190 pages environ.

Parenthèse 9e art spécial manga : L’atelier des sorciers & L’Enfant et le Maudit

Que ce soit dit, je ne suis pas une grande lectrice de mangas, j’en ai lu quelques-uns enfant, mais, lassée d’attendre pour chaque tome à la bibliothèque, j’ai laissé tomber. Je suis toutefois bien décidée à remédier à ça et à découvrir ce pan de la littérature (notamment grâce à une copine qui se reconnaîtra si elle passe par là et que je remercie très fort !). Ne vous attendez donc pas à des critiques profondes, à des comparaisons sur les styles graphiques, à une analyse du genre, etc. Ici, ce sera un avis de pure néophyte !

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L’atelier des sorciers (tomes 1 à 6),
de Kamome Shirahama
(en cours, 2016-…)

Coco est fascinée par la magie, mais seul·es quelques élu·es peuvent pratiquer cet art. Le jour où Kieffrey arrive dans son village, Coco ne peut réprimer l’envie de l’espionner pour voir davantage de magie. Elle comprend alors le secret de la magie et, utilisant un vieux livre donné par un inconnu des années auparavant, elle lance son premier sort. Un sort aux conséquences tragiques. Pour réparer son erreur, elle devient la disciple de Kieffrey et entre dans le monde de la magie.

La néophyte que je suis est tout d’abord à la recherche d’une bonne histoire, ce qui est clairement le cas avec L’atelier des sorciers. Il y a indubitablement un air d’Harry Potter avec cette « ignorante » qui entre dans un nouvel univers, cette novice qui est le centre de beaucoup d’attentions, notamment de la part de sorciers mystérieux pratiquant une magie interdite, et qui semble promise à de grandes choses. Cependant – et heureusement – le monde de Coco est aussi très différent, à commencer par la manière dont la magie se pratique ! Une manière particulièrement esthétique et originale qui m’a immédiatement séduite.

L’intrigue prend son temps pour poser un univers fouillé et approfondi. C’est totalement prenant grâce à des péripéties passionnantes, mais celles-ci permettent également de découvrir le monde dans lequel évoluent sorciers et sorcières, de voyager entre l’atelier, Carn une ville pleine de magie, l’Académie de sorcellerie ou encore différents lieux magiques.
Les ambiances s’enchaînent : humoristiques, haletantes, sombres, légères… Un mélange subtil qui m’a happée à chaque épisode.

C’est aussi très mignon, notamment grâce à l’innocence et l’enthousiasme contagieux d’une Coco perpétuellement admirative face à chaque démonstration magique. Malgré le drame qui l’a frappée, malgré son sérieux dans ses études, elle reste une enfant dont la gentillesse et le ravissement face à la magie illuminent les pages.
Les personnages sont attachants, intrigants, séduisants, et font l’objet au fil des tomes de portraits toujours plus affinés. J’ai beaucoup aimé le fait que certains volumes prennent le temps de s’attarder sur des protagonistes tels qu’Agathe ou Trice, également disciples de Kieffrey. La fin du sixième tome soulève d’autres questions qui laissent imaginer des précisions sur le maître lui-même.

Les dessins sont superbes. Des personnages aux détails qui ornent certaines planches, j’ai été émerveillée et fascinée par le graphisme de cette saga. C’est vivant, c’est expressif, c’est beau.

Une superbe découverte ! Rien à redire, que ce soit sur l’univers, les personnages, la magie, l’intrigue, le rythme ou le dessin : je suis enchantée !

L’atelier des sorciers (tomes 1 à 6), Kamome Shirahama. Editions Pika, coll. Seinen, 2018-… (2016-… en version originale). Traduit du japonais par Fédoua Lamodière. 192 pages.

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L’Enfant et le Maudit (tomes 1 à 7),
de Nagabe
(en cours, 2016-…)

Un monde coupé en deux : « l’intérieur » où vivent les humains et « l’extérieur » peuplé de créatures monstrueuses. Quiconque est touché par elles subira la malédiction et se transformera à son tour. Pourtant, à « l’extérieur », Sheeva et le Professeur cohabitent et, au mépris de toutes les croyances, dessinent leur histoire.

Dès le début, j’ai été happée par cet univers plutôt sombre. Dans un décor d’arbres dénudés et de maisons abandonnées, cette intrigue de malédiction, de camps qui s’opposent, entre ombre et lumière, m’a totalement séduite.
Il y a une bonne part de mystères, et je ne sais à qui me fier tant cette histoire semble biaisée qu’elle soit vue par les humains ou les enfants noirs. Je suis impatiente de connaître la suite, de lever le voile sur tous ces secrets. Comment est apparue la malédiction ? Quel est le rôle de Sheeva ? Qui est le Professeur ?
Les questions s’enchaînent au fil des tomes puisque le moindre indice en fait naître une nouvelle fournée. Si j’aime le rythme tranquille et quelque peu contemplatif de cette histoire (quoique les derniers tomes offrent davantage d’action), j’espère que des réponses nous seront offertes et que l’intrigue ne sera pas étirée de manière superficielle.

La seule chose qui semble vraie et certaine dans cette histoire, c’est le duo formé par le Professeur et Sheeva. S’ils semblent à première vue mal assortis, avec cette fillette aussi lumineuse que le Professeur est sombre, leur relation se révèle tout de suite bouleversante. Leur affection réciproque, dépourvue de tout a priori, m’a touchée à plusieurs reprises. L’auteur dose savamment gravité et innocence, gaucherie et mélancolie, obstacles et joies simples. Si l’atmosphère s’assombrit au fil des tomes, j’ai adoré les scènes de vie quotidienne, les petits riens avec lesquels tous deux sculptent leur improbable famille.

Une ambiance sombre et poétique, qui interroge sur l’humanité qui se cache parfois dans le noir. Un superbe duo qui raconte aussi bien la joie que la tristesse, le doute que la jalousie, mais surtout l’amour et la confiance. Des dessins simples mais expressifs qui véhiculent beaucoup d’émotion. Une très jolie lecture, très prenante en dépit de son allure plutôt tranquille.

(Source des images : BD Gest’)

L’Enfant et le Maudit (tomes 1 à 7), Nagabe. Editions Komikku, 2017-… (2016-… en version originale). Traduit du japonais par Fédoua Lamodière. 174 pages.