L’Amant, de Marguerite Duras (1984)

L'AmantPour ce mois de mars, la thématique du rendez-vous de « Les classiques, c’est fantastique » était « Marguerite VS Marguerite : Duras VS Yourcenar ».
Je n’avais aucun livre de l’une ou de l’autre dans ma PAL (et je fais généralement coïncider les challenges avec ma PAL) et je dois avouer que Marguerite Yourcenar est une autrice que je n’ai très envie de lire, pour le moment en tout cas (ne me demandez pas pourquoi, je ne suis juste pas très attirée par ses écrits, j’ai peut-être tort mais c’est comme ça). En revanche, Marguerite Duras a fait partie de ces autrices et auteurs qui ont beaucoup compté pour moi à une certaine période de ma vie (disons entre 16 et 21 ans), celles et ceux qui étaient inlassablement lus et relus… avant de le mettre de côté.
J’ai donc décidé de relire L’Amant, ce livre qui avait fait partie de mes livres de chevet. Exercice périlleux, la redécouverte risquant de pulvériser mes souvenirs nostalgiques.

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J’ai retrouvé l’histoire initiatique et sensuelle dont je me souvenais. Si le tout me semble moins inédit et intense que dans mon adolescence, j’ai reconnu ce qui me faisait vibrer à cette époque.
À commencer par l’écriture particulière de Marguerite Duras. Certes, elle offre parfois une description vibrante de la vie indochinoise – l’image de la maison ruisselante après un lavage à grande eau, les sons des rues de Cholen derrière les persiennes… – et fait appel à nos sens pour vivre avec elle cette époque. Mais elle donne aussi parfois la sensation d’un rêve. La première et la troisième personne se côtoient. La narration est décousue, sautant d’une pensée à une autre, revenant sur le passé et rebondissant dans le futur, voltigeant sur la ligne du temps, racontant d’une fois rythmée et poétique cette histoire adolescente. J’ai une nouvelle fois été attrapée par ce très court roman, transportée par ses mots dans la chaleur vietnamienne.

C’est l’histoire d’un premier amour, d’une découverte des plaisirs charnels – des plaisirs éprouvés aussi par la femme – et de l’adoration d’un homme, d’une passion décriée. La rencontre, les rendez-vous, la fin… Mais c’est aussi l’histoire d’une famille éclatée, une famille qui ne se parle pas, la vie coincée entre une mère qui sombre, un frère aîné tyrannique et une concession incultivable (racontée dans Un barrage contre le Pacifique). L’emprise se fait cruelle, les joies familiales s’estompent et  le tout prend des connotations terribles, sombres, malsaines.

Histoire d’amour et de désir, certes, mais aussi tragédie familiale. Une narration épurée, qui me donne cet étrange et paradoxal sentiment d’aller à l’essentiel tout en vagabondant dans les souvenirs. Un texte presque scandé, hypnotisant.

Le début :
« Un jour, j’étais âgée déjà, dans le hall d’un lieu public, un homme est venu vers moi. Il s’est fait connaître et il m’a dit : « Je vous connais depuis toujours. Tout le monde dit que vous étiez belle lorsque vous étiez jeune, je suis venu pour vous dire que pour moi je vous trouve plus belle maintenant que lorsque vous étiez jeune, j’aimais moins votre visage de jeune femme que celui que vous avez maintenant, dévasté. »

« Jamais bonjour, bonsoir, bonne année. Jamais merci. Jamais parler. Jamais besoin de parler. Tout reste, muet, loin. C’est une famille en pierre, pétrifiée dans une épaisseur sans accès aucun. Chaque jour nous essayons de nous tuer, de tuer. Non seulement on ne se parle pas mais on ne se regarde pas. Du moment qu’on est vu, on ne peut pas regarder. Regarder c’est avoir un mouvement de curiosité vers, envers, c’est déchoir. Aucune personne regardée ne vaut le regard sur elle. il est toujours déshonorant. »

L’Amant, Marguerite Duras. Éditions France Loisirs, 1985 (1984 pour la première édition). 110 pages.

Le dernier tigre rouge, de Jérémie Guez (2014)

Le dernier tigre rouge (couverture)Un livre bien agréable à lire de la part d’un jeune auteur qui a également collaboré à l’écriture du scénario de Yves Saint-Laurent de Jalil Lespert.

Cette lecture a été une découverte. Découverte d’une collection (Grands détectives chez 10/18) et d’une plume, celle de Jérémie Guez.

Lorsque j’ai reçu le livre, la couverture et le nom de la collection me faisaient attendre un polar historique et, n’étant pas très amatrice de ce genre, c’est plutôt dubitative que j’ai entamé ma lecture. J’ai alors été heureusement surprise en découvrant que Le dernier tigre rouge n’est pas un roman policier, mais qu’il tient davantage du roman noir où l’auteur s’attache davantage à dépeindre des caractères et des histoires de vie.

Charles Bareuil, membre de la Légion étrangère, débarque à Saïgon pour reprendre le contrôle sur cette région délaissée et perdue pendant la Seconde Guerre mondiale tout en luttant contre le communisme. Un étrange ennemi, un Occidental passé du côté des Vietnamiens, croise son chemin à plusieurs reprises alors qu’il progresse dans la jungle indochinoise et essuie les attaques du Viet-Minh.

Jérémie Guez s’attache à nous faire découvrir des personnages à la fois attachants et mystérieux car complexes, torturés par leur passé et les choix qu’ils ont fait alors. La connaissance des héros (ou anti-héros) est progressive ; les informations sont lâchées au compte-goutte. Le légionnaire Charles Bareuil et le « traître » Botvinnik sont tous deux très intéressants étant à la fois proches et opposés. Si l’Histoire et ce qu’ils ont vécu pendant la Seconde Guerre mondiale (les génocides, la fuite, la peur, etc.) tendraient à les réunir, les chemins qu’ils ont emprunté pour vivre avec ce passé les séparent. D’un côté, le cynique Botvinnik, sans respect pour les vies humaines qui se trouvent sur sa route ; de l’autre, Bareuil et sa foi en la vie qui perdure et lui permet de tisser des liens d’amitié avec le sympathique Gordov ou d’amour avec la belle Hoa. La question que je me pose est la suivante : sont-ce l’amitié des légionnaires et l’amour des femmes qui l’empêche de sombrer dans une désillusion totale ou est-ce parce qu’il reste optimiste qu’il connaît toujours ces sentiments ?

J’ai également apprécié la plongée dans le quotidien de la Légion étrangère qui est un corps que je ne connaissais finalement que superficiellement. On découvre la guerre d’Indochine par le regard d’un soldat : ni lui, ni le lecteur n’a toutes les données concernant ce massacre et c’est ce qui contribue au suspense du roman au même titre que les attaques irrégulières et inattendues du Viet-Minh. Jérémie Guez offre, non pas un livre d’histoire, mais un récit très documenté qui nous entraîne encore davantage dans ce contexte militaire.

De plus, je suis comme les soldats de l’époque, le Vietnam est un pays qui m’attire et résonne comme un nom enchanteur en moi. Ce fut donc un voyage (je ne dirais pas agréable puisque semé de morts et d’embûches) au cœur de la forêt indochinoise, de l’Annam au Tonkin.

Pays lointain et exotisme, guerre et femmes, sang et amitié, folie et espoir, la terrible guerre d’Indochine portait en elle les germes d’un roman d’action. L’écriture directe de Jérémie Guez a su s’en emparer pour un roman efficace aux personnages agréablement nuancés.

 Merci à Univers Poche, à Babelio et à Jérémie Guez pour ce livre et l’accueil qu’ils nous ont réservé au cours d’une rencontre aussi sympathique qu’intéressante.

 

« Ce sera une guerre entre un tigre et un éléphant. Si jamais le tigre s’arrête, l’éléphant le transpercera de ses puissantes défenses. Seulement le tigre ne s’arrêtera pas. Il se tapit dans la jungle pendant le jour pour ne sortir que la nuit. Il s’élancera sur l’éléphant et lui arrachera le dos par grands lambeaux, puis il disparaîtra à nouveau dans la jungle obscure. Et lentement l’éléphant mourra d’épuisement et d’hémorragie. Voilà ce que sera la guerre d’Indochine. »
Hô Chi Minh

 « Si nous n’étions pas ici, nous serions ailleurs. Les hommes n’ont besoin que de prétextes pour faire la guerre. Nos enfants se battront aussi, pour les mêmes raisons ou pour d’autres. »

Le dernier tigre rouge, Jérémie Guez. 10/18, coll. Grands Détectives, 2014. 240 pages.

Les mauvaises nouvelles, par Nicola Sirkis (1998)

Mauvaises nouvelles_1 éd.Alors que l’acte 2 du Black City Tour a démarré avant hier à Amnéville, voilà mon avis sur le seul livre écrit par Nicola Sirkis.

Comme beaucoup probablement, j’ai acheté ce livre à cause de l’auteur. Fan d’Indochine, je ne pouvais pas ne pas le lire (pas à sa sortie évidemment puisque j’avais alors cinq ans et que je ne connaissais pas le groupe, bref). Je ne sais pas à quoi je m’attendais, je ne sais plus si j’avais quelques appréhensions. Des chansons, des nouvelles, ce ne sont pas exactement la même chose. Comment allait-il s’en sortir ? Donc beaucoup de curiosité.

Verdict ? Je n’ai pas été déçue ! Mon admiration pour eux a-t-elle influée sur mon avis ? Je ne crois pas car je ne peux pas dire que j’ai été conquise par un autre livre (autre genre, je le reconnais) de Nicola Sirkis, à savoir Les petites notes du Meteor Tour.

La chambre 9, Justine (à l’heure dite), Viêt-nam Glam, Suicidal Tendencies, Le Train, Psychedelic Furs et Je n’embrasse pas comptent parmi mes favorites. On aborde les thèmes de l’adolescence, de la différence, du suicide, de la mort. L’écriture est assez simple et directe, on ne s’appesantit pas sur des détails superflus (en même temps, n’est-ce pas le propre de la nouvelle ?).

L’ambiance est parfois perverse, mais toujours touchante ou émouvante : je n’ai jamais eu l’impression de lire quelque chose de foncièrement glauque. C’est surtout le cas de La chambre 9 et de Justine. D’autres, par exemple China Daily, sont plus légère.

Mauvaises nouvelles

Viêt-nam Glam est assez choc et fonctionne bien. Le héros de Suicidal Tendencies m’a rappelé Holden Caulfield, le personnage principal de L’Attrape-cœurs de Salinger. Psychedelic Furs aborde le sujet de la différence d’une manière assez originale, j’aurais simplement aimé rester avec les protagonistes un peu plus longtemps. Quant à Peep Show, voilà une histoire un peu délirante ! En tout cas, à chaque fois, on nous fait entrer facilement dans l’histoire.

Ce recueil a permis à Nicola Sirkis d’approfondir certaines de ses chansons, comme Je n’embrasse pas, titre à la fois de la chanson et de la nouvelle, histoire un peu floue, un peu rêveuse, également un peu malsaine.

Malgré une écriture incisive, la poésie est toujours présente et on retrouve parfaitement la plume de l’auteur des albums d’Indochine.

A quand un prochain livre ?

Les mauvaises nouvelles, Nicola Sirkis. J’ai Lu, coll. Nouvelle génération, 2007 (1998 pour l’édition originale). 152 pages.

* * *

J’ai (enfin) lu Ravage de Barjavel et une scène m’a fait penser à L’ascenseur sans retour, une nouvelle où le personnage principal s’égare dans des sous-sols obscurs :

« Quelques hommes arrivèrent jusqu’en bas. Mais rien ne marquait le palier du rez-de-chaussée. Ils descendirent dix étages de sous-sols, se trouvèrent à bout de marches, se heurtèrent dans le noir à des machines silencieuses, encore tièdes, promenèrent leurs mains tremblantes sur les aciers immobiles, se perdirent dans les salles de cette usine démesurée, cherchèrent l’escalier pour remonter, ne le trouvèrent plus, tournèrent dans la nuit, appelèrent, n’éveillèrent que d’autres voix perdues et des échos lointains, marchèrent jusqu’à l’épuisement de leur espoir, s’écroulèrent dans quelques coins de ce labyrinthe de ténèbres, éperdus d’étonnement et d’horreur. Ils ne voulaient plus rien tenter, ils ne pouvaient plus. Ils attendaient la lumière ou la mort. »

Y a-t-il un rapport, je n’en sais absolument rien, mais ça a tout de suite fait tilt dans ma tête.