Pour ce mois de mars, la thématique du rendez-vous de « Les classiques, c’est fantastique » était « Marguerite VS Marguerite : Duras VS Yourcenar ».
Je n’avais aucun livre de l’une ou de l’autre dans ma PAL (et je fais généralement coïncider les challenges avec ma PAL) et je dois avouer que Marguerite Yourcenar est une autrice que je n’ai très envie de lire, pour le moment en tout cas (ne me demandez pas pourquoi, je ne suis juste pas très attirée par ses écrits, j’ai peut-être tort mais c’est comme ça). En revanche, Marguerite Duras a fait partie de ces autrices et auteurs qui ont beaucoup compté pour moi à une certaine période de ma vie (disons entre 16 et 21 ans), celles et ceux qui étaient inlassablement lus et relus… avant de le mettre de côté.
J’ai donc décidé de relire L’Amant, ce livre qui avait fait partie de mes livres de chevet. Exercice périlleux, la redécouverte risquant de pulvériser mes souvenirs nostalgiques.
J’ai retrouvé l’histoire initiatique et sensuelle dont je me souvenais. Si le tout me semble moins inédit et intense que dans mon adolescence, j’ai reconnu ce qui me faisait vibrer à cette époque.
À commencer par l’écriture particulière de Marguerite Duras. Certes, elle offre parfois une description vibrante de la vie indochinoise – l’image de la maison ruisselante après un lavage à grande eau, les sons des rues de Cholen derrière les persiennes… – et fait appel à nos sens pour vivre avec elle cette époque. Mais elle donne aussi parfois la sensation d’un rêve. La première et la troisième personne se côtoient. La narration est décousue, sautant d’une pensée à une autre, revenant sur le passé et rebondissant dans le futur, voltigeant sur la ligne du temps, racontant d’une fois rythmée et poétique cette histoire adolescente. J’ai une nouvelle fois été attrapée par ce très court roman, transportée par ses mots dans la chaleur vietnamienne.
C’est l’histoire d’un premier amour, d’une découverte des plaisirs charnels – des plaisirs éprouvés aussi par la femme – et de l’adoration d’un homme, d’une passion décriée. La rencontre, les rendez-vous, la fin… Mais c’est aussi l’histoire d’une famille éclatée, une famille qui ne se parle pas, la vie coincée entre une mère qui sombre, un frère aîné tyrannique et une concession incultivable (racontée dans Un barrage contre le Pacifique). L’emprise se fait cruelle, les joies familiales s’estompent et le tout prend des connotations terribles, sombres, malsaines.
Histoire d’amour et de désir, certes, mais aussi tragédie familiale. Une narration épurée, qui me donne cet étrange et paradoxal sentiment d’aller à l’essentiel tout en vagabondant dans les souvenirs. Un texte presque scandé, hypnotisant.
Le début :
« Un jour, j’étais âgée déjà, dans le hall d’un lieu public, un homme est venu vers moi. Il s’est fait connaître et il m’a dit : « Je vous connais depuis toujours. Tout le monde dit que vous étiez belle lorsque vous étiez jeune, je suis venu pour vous dire que pour moi je vous trouve plus belle maintenant que lorsque vous étiez jeune, j’aimais moins votre visage de jeune femme que celui que vous avez maintenant, dévasté. »
« Jamais bonjour, bonsoir, bonne année. Jamais merci. Jamais parler. Jamais besoin de parler. Tout reste, muet, loin. C’est une famille en pierre, pétrifiée dans une épaisseur sans accès aucun. Chaque jour nous essayons de nous tuer, de tuer. Non seulement on ne se parle pas mais on ne se regarde pas. Du moment qu’on est vu, on ne peut pas regarder. Regarder c’est avoir un mouvement de curiosité vers, envers, c’est déchoir. Aucune personne regardée ne vaut le regard sur elle. il est toujours déshonorant. »
L’Amant, Marguerite Duras. Éditions France Loisirs, 1985 (1984 pour la première édition). 110 pages.