Night Travelers, de Rozenn Illiano (2020)

Night Travelers (couverture)Après mon coup de cœur de l’an dernier pour Midnight City, c’est avec enthousiasme que je me suis replongée dans l’univers de Rozenn Illiano. Cette suite nous emmène un an après les événements de Midnight City avec un Samuel encore traumatisé par sa rencontre avec le Sidhe.

A l’instar du premier tome, ce livre entremêle deux histoires. D’une part, celle de Samuel, Roya, Xavier et les autres, dans notre monde. Monde dans lequel évoluent toutefois des sorciers et des marcheurs de rêves, des personnes aux pouvoirs surnaturels et fascinants. D’autre part, celui de Cyan, Oyra, des Oneiroi… la Cité de Minuit, faite de rêve et de cauchemars, menacée de destruction par les ombres qui habitent le démiurge.
Encore une fois, la magie a fonctionné. Cette atmosphère bleutée me fascine, c’est le genre d’ambiance marquante, qui continue à vivre même si l’on a oublié les détails de l’intrigue, à l’instar de celle du Cirque des rêves par exemple.

J’ai été happée par l’intrigue qui, derrière des décors de douceur et de tranquillité, cache bien des angoisses et des terreurs, des corps et des esprits fatigués, manipulés, malmenés par des vagues d’émotions indicibles. Entre fantasy et poésie, entre réalité et onirisme, entre pouvoirs magiques et interrogations concrètes, entre péripéties captivantes et poignante mélancolie, Rozenn Illiano propose encore une fois une balance parfaite.

C’est l’histoire d’un deuil. Un deuil inachevé, un souvenir enterré, un oubli espéré, qui donnent naissance à un traumatisme, à un maelström de douleur, de culpabilité, de regret. C’est l’histoire de nos chagrins et de nos peines, de nos remords et des chemins qui auraient peut-être pu être. Des sentiments qui s’expriment à travers les deux arcs narratifs avec puissance et justesse.
J’avoue être totalement séduite par les protagonistes de Rozenn Illiano. Au-delà du voile du fantastique, de la fantasy et de la magie, elle propose des personnages réalistes, sensibles et vivants. D’une humanité terrible avec leurs forces et leurs faiblesses. Des individus auxquels on ne peut que s’attacher, à travers lesquels on peut vibrer, dans lesquels on ne peut que se reconnaître.

C’est aussi une nouvelle fois un roman sur l’écriture, sur la création. Sur les questionnements d’un·e écrivain·e. Samuel se sent dépossédé de son univers suite à la publication forcée de Midnight City et ne parvient plus à écrire. Pourtant, ce sont pas les idées qui manquent, mais au contraire, le trop plein d’idées qui affluent, refusent de laisser l’esprit au repos, le temps de poser quelques mots sur le clavier. L’inverse de la page blanche, mais tout aussi improductif.

Night Travelers renoue donc avec les thématiques de Midnight City en les approfondissant et les enrichissant, sans jamais perdre de sa force par des redondances ou des longueurs. L’univers est riche, profond et creusé, à l’image des êtres qui l’habitent. Une lecture qui ne fait que renforcer mon désir d’explorer le Grand Projet de Rozenn Illiano.

« Ils se figèrent, tous. Égarés dans leur cauchemar mais pas égarés pour toujours. Il suffisait de réparer la grande Horloge afin de la remettre en marche.
Quelqu’un s’en chargea et chassa l’Antéminuit. Et ce faisant, il effaça aussi l’Oubli. Et les citoyens de la ville au-delà de la Nuit retrouvèrent peu à peu leurs souvenirs et leur mémoire, les chagrins éteints et les familles occultées, les joies en suspens, les douleurs évaporées. Au fil du Temps, ils regagnèrent ce que l’Oubli leur avait pris, les uns après les autres.
Ils se réveillaient. Et se souvenaient.
Et parfois, ils auraient aimé tout oublier. »

« Pour la première fois depuis longtemps, elle ressent la solitude, la vraie, celle qu’on n’invoque jamais et qui nous tombe dessus sans qu’on le veuille. Celle qui fait mal. La jeune femme pensait la rechercher, mais son amitié brisée avec Sam ne fait que lui remettre sous les yeux combien elle est seule, combien elle l’a toujours été, et combien elle peine maintenant à l’accepter. Comme une rose avec des épines. Comme une funambule dont la robe est brodée de morceaux de verre tranchants, qui blesse ceux qui essaient de la toucher. La malédiction de toute une vie, puisqu’elle n’a jamais eu de véritable ami avant Sam. Parfois, même, elle se demande si lui aussi en a vraiment été un avant que tout soit gâché. »

Midnight City, tome 2, Night Travelers, Rozenn Illiano. Auto-édition, 2020. 509 pages.

Midnight City, de Rozenn Illiano (2019)

Midnight City (couverture)Un livre à l’histoire étrange, souvent évoqué sur le blog de l’autrice – curiosité avivée, sans même connaître les détails de l’intrigue, magie immédiate –, une vie commencée sur les routes, livre vagabond que j’aurais aimé trouver sur ma route. Livre finalement autopublié et acquis sans aucune hésitation de ma part. Longtemps admiré, lecture repoussée dans l’attente du « bon moment » (encore une fois raté puisque la folie du déménagement m’a contrainte à en interrompre la lecture pendant plusieurs jours). Livre finalement savouré, rencontre magique avec un univers.

De Rozenn Illiano, je n’avais alors lu que Le Phare au corbeau dans l’attente de Midnight City dont l’épopée a alimenté plusieurs articles du blog de l’autrice. Le premier roman, paru quant à lui aux éditions Critic, m’avait beaucoup plu pour son ambiance, mais le second a immédiatement mis la barre au-dessus.

Deux histoires.
D’un côté, une Cité plongée dans un éternel Minuit ; des secondes, des minutes et des heures qui tracent mille temporalités insaisissables ; une odeur de caramel et de feu de bois ; une grande Horloge arrêtée, l’arrêt du cœur de la ville, laissant ses habitants en proie aux cauchemars ; deux personnages, Cyan et la funambule, au milieu de ce désastre.
De l’autre, Samuel, écrivain qui vient de publier un roman salué de tous, adoré par des milliers de personnes et traduit dans plusieurs langues, artiste complètement bloqué, sollicité par son éditrice et par son public, dont l’inspiration se révèle étouffée sous le succès ; un mécène providentiel qui lui offre temps et argent pour écrire en paix ; un contrat, un marché de dupes ?

Midnight City - Le marchand de sable, par Xavier ColletteLe Marchand de sable et la Cité de Minuit, par Xavier Collette

Deux tonalités donc.
D’une part, la « vraie vie », si proche de celle que je – on – connais. Les forums, le NaNoWriMo, les connaissances virtuelles avec lesquelles on échange parfois plus qu’avec des personnes connues in real life. Les angoisses de la vie. Un personnage principal, Samuel, extrêmement attachant, dont il est aisé de se sentir proche.
D’autre part, la Cité de Minuit, un monde onirique, poétique, fascinant, mais aussi dangereux sous ses teintes bleutées. Le titre du roman de Rozenn Illiano, le titre de celui de Samuel. Mise en abîme. Dans ce monde, l’auteur personnage – et l’autrice réelle ? – projette, à travers des alter ego, des « avatars d’encre et de mots », ses regrets, ses rêves, son caractère, ses espoirs, ses peines, ses culpabilités, ses rencontres, ses deuils. Ses peurs. Celles qui peuvent broyer, enfermer, empêcher d’avancer et de vivre. L’imaginaire pour tenter de survivre à la vie.
Tout s’entremêle alors. Réalité et fiction, monde terrestre et Cité de Minuit, passé et présent. L’écriture d’un roman dans le roman, le temps d’une histoire. Fiction dans la fiction, les frontières se floutent dans ce roman si beau et si fort.

Midnight City - La funambule, par Xavier ColletteUne autre superbe illustration de La funambule, par Xavier Collette

Midnight City, c’est aussi un texte sur l’écriture, sur la création, sur l’édition, sur les visions de l’art, de l’œuvre et de l’écrivain. Ça parle de légitimité, du poids du regard – et des mots – des autres. Même sans la connaître autrement qu’à travers son blog, il m’a semblé qu’il y avait beaucoup de l’autrice dans ce roman. C’est peut-être – sans doute – le cas de toutes ses œuvres, mais je ne les – la – connais pas assez pour en juger.
Étonnement, le roman prend au fil des chapitres des airs de thriller. Thriller surnaturel. Tictac, la grande Horloge. Tictac, le sable qui s’écoule dans le sablier de Samuel. Le fameux mécène, je ne dirais rien sur lui pour vous laisser le plaisir de la rencontre si ce n’est qu’il s’agit là d’un protagoniste absolument fascinant, aussi impressionnant que terrible, et qui, pourtant, se révèle parfois presque sympathique. Bref, une psychologie fouillée, à l’instar des autres personnages !

Après plusieurs mois d’attentes, de curiosité, d’impatience, mes attentes pour ce roman étaient élevées, ce qui aurait pu lui nuire, mais le plaisir a été immense. Tout est beau et passionnant dans Midnight City, l’écriture qui m’a emportée, les intrigues qui m’ont fascinée, les thématiques qui m’ont touchée, l’univers qui m’a fait rêver. Que dire, si ce n’est vivement la suite qui portera le nom de Night Travelers ?

« Personne ne croyait que la grande Horloge s’arrêterait un jour. Et pourtant, c’est ce qui est arrivé.
Elle s’est arrêtée. Elle s’est figée.
Cyan ne l’entend plus battre en lui, comme si l’écho de son propre cœur s’était interrompu en même temps qu’elle. Et le silence, cette disparition du son, de rythme, ce vide si noir et si effrayant, tant qu’il croit qu’il va sombrer, là, dans ce gouffre qui se serait creusé subitement sous ses pieds…
Il ignore encore quoi ressentir. La terreur et le froid, l’incompréhension, la sidération peut-être. Il ne sait pas ce qu’il est censé éprouver.
Le noir qui l’entoure, la nuit glacée, immobilisée, le ciel au-dessus de lui, plus rien ne bouge. La Lune s’est éteinte, et les étoiles aussi. Le mécanisme de l’Horloge est en panne. »

« Elle-même détesterait que qui que ce soit, même un ami proche, lise ce qu’elle écrit sans que le récit soit fini, surtout si le récit en question lui tient à cœur. Une histoire, c’est comme un journal intime plus ou moins crypté. »

« Cartésien, il n’a jamais cru en quoi que ce soit, qu’il s’agisse de Dieu ou de magie. La raison première, sans aucun doute, à cet attrait pour la littérature de l’imaginaire qu’il a depuis toujours… Puisque la magie n’existe pas dans son monde, Sam s’est donné pour mission d’en injecter dans ses histoires, mais dans ses histoires seulement, pas dans la vie. Si Remington lui veut du mal, il ne peut que procéder par des moyens tout à fait rationnels. »

« Ecrire est un acte solitaire, et c’est souvent si grisant de se laisser emporter par cette vague noire et sans pitié, de rouvrir ses blessures tout juste cicatrisées… C’est un peu comme écrire avec son sang, avec l’encre de ses veines, jusqu’à ce que la source s’assèche. Le retour à la réalité fait mal, souvent, lorsque l’on se perd dans ses rêves et que l’on passe des jours et des semaines seul face au miroir de son écran. »

Midnight City, Rozenn Illiano. Oniro Prods (auto-édition), 2019. 459 pages.

Spécial albums – Tout ce qu’il faut pour une cabane, Les larmes, Si le monde était…

Ça vous dirait de découvrir trois albums remplis de poésie ? Si ça ne vous dit pas, vous pouvez aller voir ailleurs. Si ça vous dit, on y va !
Bon, critiquer des albums est un exercice récent pour moi, donc ne vous étonnez pas s’il n’y a pas grand-chose dans cet article. Mes critiques sont très – trop – courtes, mais j’avais envie de leur laisser une petite place même si je n’ai pas la matière pour une analyse plus profonde. (Dois-je vous révéler que je n’ai même pas les bouquins sous les yeux ou ça ne fait pas assez sérieux ?)
J’espère surtout vous donner envie de les découvrir par vous-même finalement !
Bref, je me lance.

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Tout ce qu’il faut pour une cabane, de Carter Higgins (texte) et Emily Hughes (illustrations) (2018)

Tout ce qu'il faut pour une cabane (couverture)Et je commence avec Tout ce qu’il faut pour une cabane. Cet album sans réelle histoire nous transporte dans les bois, dans les forêts de nos contrées, dans la jungle, dans un bayou, au pays des palmiers (si tant est que ça existe vu qu’on en trouve même en Bretagne). Et au milieu de ces arbres de toutes espèces, de toutes tailles et de toutes formes, des enfants de toutes les couleurs jouent ensemble. Filles et garçons construisent des cabanes – cabane de planche, barque hissée au creux des branches, case, toile de tente, grande verrière… –, grignotent, lisent, font des bêtises. Joie partagée.

J’ai beaucoup apprécié les doubles pages riches de détails. Les couleurs et la lumière sont d’un réalisme très doux et très agréable et je me suis notamment amusée à repérer les nombreuses petites bêtes qui se glissent un peu partout : chats, chiens, oiseaux, chauves-souris, escargots, fourmis, taupes, biche… alligators.

C’est une ode à la forêt, à la nature, au vent, à la nuit et au soleil. Aux jeux d’enfants et aux rires. A l’imagination.
Un album qui invite à prendre le temps. De vivre, d’observer, de s’amuser, d’être ensemble.

Tout ce qu’il faut pour une cabane, Carter Higgins (texte) et Emily Hughes (illustrations). Albin Michel jeunesse, 2018 (2018 pour l’édition originale). Traduit de l’anglais par Catherine Biros. 32 pages.

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Les larmes, de Sybille Delacroix (2019)

Les larmes (couverture)Un album un peu court, mais qui propose de jolis crayonnés où seul le bleu apporte une touche de couleur en harmonie avec le sujet de l’album.

Le texte comme les dessins sont d’une douce sensibilité. L’album parle des petits chagrins aux tristesses indescriptibles. Il parle de la peine, de la douleur… et du bien que cela peut faire de ne pas la retenir et de l’exprimer. Il parle des larmes qui coulent des yeux des enfants comme des adultes, des filles comme des garçons, même si on apprend parfois à certains de ne pas les montrer.
Les illustrations nous mettent à la hauteur de ses personnes qui laissent couler leurs peines et placent leurs yeux humides au centre de cet album sans histoire.
Une jolie façon de parler et de dédramatiser un sujet extrêmement banal et quotidien mais pas souvent raconté.

Les larmes, Sybille Delacroix. Bayard, 2019. 32 pages.

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Si le monde était…, de Joseph Coelho (texte) et Allison Colpoys (illustrations) (2019)

Si le monde était... (couverture)Après le livre en noir et blanc (et bleu), le livre arc-en-ciel ! Cet album est un océan de couleur pour parler d’un sujet très sombre.
Une petite fille dont le grand-père vient de mourir. Elle repense à tous ses souvenirs de lui, d’eux ensemble, des bons moments. De tout ce qu’il lui a transmis : ses histoires, son histoire, sa gaieté, ses jeux…
Comment se souvenir de lui ? comment le faire vivre encore ? comment surmonter la douleur ?

C’est une histoire de deuil évidement, mais aussi de tendresse, de famille et de transmission.

C’est un album qui aurait facilement être triste, mais qui se révèle avant tout lumineux et tendre car ses pages multicolores racontent le bonheur, le partage, la complicité et l’amour d’un grand-père et d’une fillette.

Si le monde était…, Joseph Coelho (texte) et Allison Colpoys (illustrations). Père Castor, 2019 (2019 pour l’édition originale). Traduit de l’anglais par Rose-Marie Vassallo. 32 pages.

Billy Brouillard (3 tomes), de Guillaume Bianco (2008-2012)

Billy Brouillard est un petit garçon à l’imagination débordante. Son don de « trouble-vue » lui permet de déceler une réalité invisible pour la plupart des gens. Une racine devient un serpentaire, un vieil épouvantail un esprit resté sur terre, une simple flaque le royaume d’une princesse solitaire.
Dans le premier tome – Le don de trouble vue –, Billy découvre son chat Tarzan, compagnon pas toujours volontaire de ses jeux, mort dans les bois. Résoudre le mystère de la mort devient donc sa mission afin de ramener Tarzan dans le monde des vivants. Dans le second tome – Le petit garçon qui ne croyait plus au Père Noël –, il remet en doute l’existence de ce singulier personnage. Non seulement celui-ci a échoué à lui ramener Tarzan, mais voilà qu’il découvre un costume dans la chambre de ses parents. Dans le troisième tome – Le chant des sirènes –, convaincu d’avoir perdu son don de « trouble-vue », Billy Brouillard se résigne à appréhender le monde dans toute sa triste réalité, avec ses humains mangeurs de cadavres et ses océans bientôt vides. Jusqu’à ce qu’une mésaventure l’entraîne au fin fond des enfers pour y délivrer l’âme d’une étrange sirène prénommée Prune.

Les romans graphiques Billy Brouillard m’attiraient depuis longtemps sans avoir pour autant l’occasion de les découvrir. Ils faisaient partie de ces livres desquels, lorsque je les voyais en librairie, je me disais « oh, j’ai trop envie de les lire, ceux-là, il faut que je me les offre une prochaine fois ! », sauf que de prochaine fois en prochaine fois… je ne les lisais toujours pas. Du coup, je me suis résigné à simplement l’emprunter à la bibliothèque.
J’ai commencé par Le chant des sirènes, découvrant après coup qu’il s’agissait du troisième volume, mais cela n’a été d’aucune importance dans la compréhension de l’histoire et du personnage. (J’ai sans doute raté des références aux volumes précédents en revanche.)
Et je me suis régalée.
Et je me suis ensuite procurée les deux premiers tomes évidemment.

Ouvrages quelque peu hybrides, ces bandes dessinées entremêlent à l’histoire principale des poèmes et comptines, du récit en prose, des bestiaires surprenants, des extraits de la « Gazette du bizarre », des anecdotes sur les talismans ou les superstitions, les cauchemars ou les esprits, des récits sur des personnages aux destins tragiques – la fille aux chats, la petite sirène qui ne voulait plus en être une, la fille aux couteaux… –, des recettes de philtres magiques, etc. Quelques bizarreries se glissent ici et là, comme ce premier tome dont la pagination reste bloquée jusqu’à la fin au chiffre 13. Le tout dégage une atmosphère quelque peu désuète. Comme un grimoire que l’on aurait déniché au fond du grenier.

Ces bandes dessinées se démarquent réellement par leur esthétique gothique et leur atmosphère macabre. J’y ai retrouvé un petit côté Tim Burton, le Tim Burton des poèmes du Petit enfant huître, de Beetlejuice ou encore du court-métrage Vincent. Difficile de ne pas faire de rapprochement entre ces deux enfants très imaginatifs, curieux et avides d’expériences morbides – même si l’un utilise son chien et l’autre son chat (voire sa petite sœur). Ces pages sont remplies de choses mortes et visqueuses, de créatures rampantes et sifflantes, de morts et de mutilations… le tout raconté avec cette légèreté et ce détachement qu’on peut trouver dans des contes affreux.

Trois BD sur l’enfance et tout ce qu’elle recèle de trésors, d’émerveillement, d’angoisses, de chagrins et de désillusions. Billy vit sa vie comme une aventure perpétuelle, peuplée de créatures fabuleuses et de monstres sanguinaires, mais il croise sur son chemin la mort, l’amour, l’amitié. C’est drôle, sinistre, dense, poétique, fantastique, morbide, farfelu, cruel, touchant. Au-delà des péripéties haletantes et de toutes les bizarreries qui les parcourt, ce sont aussi et surtout des odes sublimes à l’imagination dissimulées sous de magnifiques objets.

Billy Brouillard (3 tomes), Guillaume Bianco. Soleil, coll. Métamorphose.
– Tome 1, Le don de trouble vue, 2008, 143 pages ;
– Tome 2, Le petit garçon qui ne croyait plus au Père Noël, 2010, 103 pages ;
– Tome 3, Le chant des sirènes, 2012, 141 pages.

 

Challenge de l’imaginaire
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Lettres du Père Noël, de J.R.R. Tolkien (écrites entre 1920 et 1943, première publication en 1976)

Lettres du Père Noel (couverture)Entre 1920 et 1943, J.R.R. Tolkien, se faisant passer pour le Père Noël, a écrit des lettres à ses quatre enfants. Il leur raconte la vie au Pôle Nord, les mésaventures de l’Ours Polaire, son fidèle compagnon, les batailles contre les gobelins et, évidemment, les préparatifs pour Noël.

Ces lettres n’étaient pas destinées à la publication et les historiettes qu’elles racontent restent relativement enfantines, même si le quotidien au Pôle est plaisant à découvrir et si l’aventure est souvent au rendez-vous. Toutefois, au fil des années (et de la croissance des enfants), Tolkien a développé et enrichi son univers polaire et certains éléments ne sont pas sans rappeler Le Seigneur des Anneaux : les guerres avec les gobelins deviennent plus virulentes, le Père Noël trouve des alliés chez les elfes, des langages (elfique, polaire…) font leur apparition, etc.
La Seconde Guerre mondiale n’est pas exclue des lettres et le Père Noël explique aux enfants les problèmes liés au conflit, les pénuries et les souffrances des personnes ballotées par la guerre. Se devinent également les années où Tolkien n’a pas eu le temps de travailler ses lettres : ces années-là, rien de particulier n’est arrivé au Pôle et le Père Noël n’a rien à raconter !

Mais surtout, ce qui se dessine dans ses lettres, c’est l’amour d’un père pour ses enfants. Ces lettres sont magnifiques et ont dû les faire rêver les uns après les autres, année après année. C’est une idée magnifique à mes yeux. Etre le correspondant privilégié du Père Noël, voilà une idée qui doit faire rêver bon nombre d’enfants ! Beaucoup de tendresse se dégage de cette compilation car, sous les mots admiratifs du Père Noël pour le caractère ou le travail de tel ou tel enfant, c’est la fierté de leur père qui transparaît.

Les illustrations sont charmantes. Elles montrent les timbres du Pôle Nord, la maison du Père Noël, les gobelins, les chutes et bêtises de l’Ours Polaire… J’ai beaucoup aimé les paysages enneigés, étincelant sous la Lune.
Je possède l’édition Pocket, mais je pense que j’emprunterai à l’occasion le grand format de chez Christian Bourgeois pour redécouvrir ces dessins riches en détails dans de meilleures conditions.

Même si les histoires racontées ne sont pas toujours palpitantes, les Lettres du Père Noël constituent un recueil attendrissant, plein de magie, de rêve et d’amour, qui permet de rencontrer le père et le grand conteur qu’était Tolkien. Un petit livre parfait pour un instant cocooning !

« Je vous envoie à présent mille baisers, et espère ardemment avoir sélectionné les plus beaux cadeaux dans vos listes de suggestions. J’allais vous envoyer des Bilbo le Hobbit ; j’en envoie d’énormes quantités (de la deuxième édition, pour la plupart) que j’ai commandées il y a quelques jours – mais j’ai pensé que vous en auriez beaucoup, donc je vous fais parvenir un autre Conte de Fées d’Oxford. » (1937)

« Le nombre d’enfants qui restent en contact avec moi semble diminuer : je suppose que c’est à cause de cette horrible guerre, que les choses s’arrangeront j’imagine quand ce sera fini, et que je serai plus occupé que jamais. Mais de nos jours, le nombre de gens qui ont perdu leur maison ou l’ont quittée est effroyable ; la moitié du monde paraît se trouver au mauvais endroit. » (1941)

« Ma chère Priscilla,
Un très joyeux Noël ! Je suppose que tu vas suspendre ton bas encore une fois : je l’espère car j’ai encore quelques petites choses pour toi. Après quoi je devrai dire « au revoir », plus ou moins : mais je ne t’oublierai pas. Nous conservons toujours les numéros de nos vieux amis et leurs lettres ; et plus tard nous espérons revenir quand ils sont grands et quand ils ont leur propre maison et des enfants. » (1943)

Lettres du Père Noël, J.R.R. Tolkien. Pocket, 2010 (lettres écrites entre 1920 et 1943, première publication en 1976, première traduction en 2004). Traduit de l’anglais (Grande-Bretagne) par Gérard-Georges Lemaire. 111 pages.