Spécial nouvelles : Première personne du singulier, Nanofictions, Le plus petit baiser jamais recensé

(En vrai, Le plus petit baiser jamais recensé n’est pas une nouvelle, mais il est si court (et ma chronique l’est encore plus !) que je lui fais une petite place ici.)

 

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Première personne du singulier, de Patrice Franceschi (2015)

Première personne du singulier (couverture)Quatre nouvelles. Deux histoires de marins, deux histoires de la Seconde Guerre mondiale. Quatre dilemmes cornéliens qui se présentent à ces héros (et une héroïne) tragiques.

Après les histoires très courtes, filant à l’essentiel, de Kenneth Cook (Le koala tueur et autres histoires du bush), ce sont ici des nouvelles plus longues, qui prennent davantage leur temps pour décrire personnages, lieux et situations. Elles nous embarquent dans des situations révoltantes, plaçant les personnages face à des choix impossibles, déchirants, qu’ils soient dictés par l’amour, le devoir, les idéaux. Des choix qui souvent conduisent au désespoir le plus profond.

La plume de Patrice Franceschi est superbe. Les mots sont des perles soigneusement sélectionnées, transformant les phrases en joyaux littéraires. Soulignant toujours davantage la beauté et la tragédie de ces histoires qui pourraient n’être que des anecdotes. Qu’il décrive une tempête au milieu de l’océan, qu’il mêle une armée française en déroute et un poème de Victor Hugo ou qu’il invite l’actualité brûlante des migrants, qu’on soit en 1884, dans les années 1940 ou en 2013, l’auteur pousse ses personnages au bord du gouffre, face à leurs responsabilités.

(Petite déception – les autres nouvelles ayant mis la barre haute – sur la dernière histoire que je trouve un peu moins originale et tirant un peu vers le pathos. Cela dit, elle est aussi bien écrite que les autres et joliment construite.)

Quatre récits qui, chacun à leur manière, m’ont bousculée, m’ont chavirée, m’ont poussée à m’interroger sur ce que j’aurais à leur place.

« Il regarda l’océan tout autour de lui. Mais il n’y avait plus d’océan : des montagnes liquides l’avaient remplacé ; La Providence se frayait un chemin dantesque parmi des à-pics et des gouffres sans cesse renouvelés, des falaises et des surplombs, des crêtes et des cimes aux figures blafardes et le brick était comme un alpiniste solitaire perdu dans l’Himalaya. Flaherty resta debout, seul et solitaire, les deux mains sur la barre – et il ne songeait plus qu’à cette peur et à cette responsabilité qui était la sienne tandis que le monde autour de lui semblait ravagé. Comme il devait être doux de n’avoir qu’à obéir… »

« Vous savez, me dit Dolly, il y avait toujours une guerre civile à l’intérieur de Mark ; sans doute entre ce qu’il était et ce qu’il voulait être. C’était son combat de devenir un autre que lui-même. Il était épuisant. On le sentait tout le temps prêt à mourir pour quelque chose ; ça effrayait tous ceux qu’il côtoyait. »

« Madeleine et Pierre-Joseph se sont connus quinze minutes sur le quai d’une gare parisienne. Cinq leur ont suffi pour commencer à s’aimer, dix pour que leur amour s’achève. Le destin n’a pas eu d’égard pour eux : c’était la guerre. »

Première personne du singulier, Patrice Franceschi. Points, 2016 (2015 pour l’édition en grand format). 161 pages.

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Nanofictions, de Patrick Baud (2018)

Nanofictions (couverture)Et si, au lieu de parcourir le monde à la recherche d’étrangetés, le créateur d’Axolot inventait ses bizarreries, ces anomalies ?

Etonnant ouvrage ! Recueil de minuscules récits, d’historiettes tenant sur quelques lignes, il m’a transportée, émerveillée, effrayée. Avec quelques phrases, ces Nanofictions font travailler l’imagination et donnent lieu à mille développements qui seront propres à chaque personne qui les lira. Puisqu’il s’agit d’un livre qui aurait tendance à être dévoré du fait de la brièveté des récits, je les ai dégustées, les lisant un petit peu chaque soir pour prendre le temps de m’en imprégner, pour m’endormir avec, pour m’en bercer.

Réalistes ou relevant du fantastique ou de la science-fiction. Amusantes, oniriques, inquiétantes, poétiques. Optimistes, pessimistes, cyniques. Vie extraterrestre, humanité, surnaturel. Il y en aura pour tous les goûts. Parmi cette profusion et cette diversité, certaines touchent juste, émeuvent ou perturbent. Patrick Baud maîtrise l’art de la chute et parvient à surprendre, à faire sourire, voire à glacer le sang.

Les quelques illustrations qui parsèment le recueil sont à la fois simples, douces et poétiques. Un détail parfait pour sublimer l’ouvrage.

Soir après soir, je suis devenue accro à ces mini nouvelles addictives. C’est incroyable de constater la façon dont quelques mots peuvent ouvrir la porte de dizaines d’univers. N’hésitez pas, embarquez pour un voyage littéraire surprenant !

 

Nanofictions, Patrick Baud. Flammarion, 2018. 128 pages.

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Le plus petit baiser jamais recensé, de Mathias Malzieu (2013)

Le plus petit baiser jamais recensé(couverture)Quand un inventeur dépressif voit disparaître la fille qu’il vient d’embrasser, il se lance dans une grande quête pour la rechercher. Pourquoi disparaît-elle ? Qui est-elle ? Où est-elle ? Des chocolats au goût de baiser, perroquet pisteur, courses de skate tiré par des écureuils seront des ingrédients essentiels pour la rencontrer à nouveau.

L’amour sous toutes ses formes, les cornéliens choix amoureux, la douleur d’une rupture… il n’y a pas à dire, l’histoire est assez classique et pas forcément inoubliable. Sauf que. Sauf que je retiendrai davantage le souvenir – peut-être diffus – de la plume de Malzieu que celui plus galvaudé de l’intrigue. Car ce qui importe le plus, c’est la façon unique dont cette histoire lue, vue, vécue est racontée.
Sans être une experte de Mathias Malzieu, j’ai reconnu ici la belle sensibilité de celui qui m’avait surprise et touchée avec son Journal d’un vampire en pyjama. C’est très joliment écrit. Le texte regorge de trouvailles littéraires, d’images surprenantes et de malignes métaphores. Les néologismes et autres mots-valises sont légion, de la « télépathisserie » au « mélancolasthme » en passant par le « cœur-circuit ». Un petit conte farfelu et romantique !

Ce n’est pas un sans-faute car je ne pense pas m’en rappeler très longtemps – car il manquait un petit quelque chose à l’histoire, car la fin est trop prévisible -, mais cette histoire imaginative et poétique s’est laissée dévorer comme un très bon chocolat.

« Le problème c’est que ma tête n’est jamais reposée. Mon cerveau est une maison de campagne pour démons. Ils y viennent souvent et de plus en plus nombreux. Ils se font des apéros à la liqueur de mes angoisses. Ils se servent de mon stress car ils savent que j’en ai besoin pour avancer. Tout est question de dosage. Trop de stress et mon corps explose. Pas assez, je me paralyse. »

Le plus petit baiser jamais recensé, Mathias Malzieu. J’ai Lu, 2014 (Flammarion, 2013, pour la première publication). 154 pages.

Challenge de l’imaginaire 2019

Challenge de l'imaginaire (logo)

Encore un challenge ?!
Ben oui ! Je reconnais qu’ils ont tendance à s’accumuler un peu trop en ce moment. Mais que voulez-vous ? Primo, j’adore jouer avec mes livres, avec les auteurs et les autrices et les challenges m’amusent donc pas mal. Deuxio, ayant actuellement une grosse soif de SFFF, de mondes imaginaires et d’évasion, je ne pouvais que répondre présente au Challenge de l’Imaginaire organisé par Ma lecturothèque !

De plus, il faut savoir (ou pas, vous vous en fichez probablement) que je ne vis jamais les challenges comme une obligation. Ils sont parfois incitatifs (comme le Tournoi des trois sorciers qui a motivé ma relecture de L’Héritage), mais même ainsi, ils ne font qu’encourager une envie de lecture déjà bien présente en moi, mais pour x raisons sans cesse repoussée.
(Par exemple, j’espère que ce défi me permettra de franchir le cap et de me plonger dans La Belgariade de David Eddings qui dort dans ma PAL depuis deux-trois ans.)
Ainsi, au pire, je vois au fil de mes lectures si un challenge peut leur être associée (et si ce n’est pas le cas, tant pis) ; au mieux, le challenge stimule et pimente mes lectures. Tout bénéf’, pas de pression !

C’est bien beau, tout ça, mais les règles ?

♦ Le but du challenge ♦

L’objectif de ce challenge est de lire et de chroniquer des ouvrages appartenant à la littérature de l’Imaginaire (sans blague ?), à savoir :

  • la Science-Fiction
  • la Fantasy
  • le Fantastique

(avec leurs sous-genres comme la dystopie, la bit-lit etc.).

Les ouvrages peuvent être des romans, des nouvelles (anthologie complète), des essais, des mangas, des bandes dessinées, des comics (super-héros ou non, tant que ça reste dans le domaine de l’imaginaire), des magazines spécialisés comme Bifrost qui propose un contenu textuel (par exemple je ne tiendrai pas compte de Neverland qui est plus un magazine de promotion des titres de l’éditeur Bragelonne)… (en format papier ou numérique).

Vous devez atteindre l’échelon que vous vous êtes fixé (avec la possibilité de changer d’échelon au cours de l’année) et respecter la catégorie choisie.

♦ Timeline du challenge ♦

Démarrage du challenge : 1er janvier 2019
Fin du challenge : 31 décembre 2019
Fin des inscriptions : 1er février 2019

​♦ Les échelons ♦

En début de challenge, vous choisissez un échelon. Celui-ci détermine le nombre minimum d’ouvrages que vous devrez lire et chroniquer pendant le challenge. Vous pouvez changer d’échelon au cours du challenge.

Échelon 1 : Atterrissage dans l’irréel – au moins 12 livres
Échelon 2 : Petit pas dans l’ailleurs – au moins 24 livres
Echelon 3 : Plongée dans l’inconnu – au moins 36 livres (je commence humble > atteint : changement d’échelon)
Échelon 4 : Immersion dans le vide – au moins 48 livres
Échelon 5 : Absorption dans l’étrange – au moins 60 livres
Échelon 6 : Fusion dans l’utopique – au moins 72 livres (nouvel objectif annuel)
Échelon 7 : Je lis donc je chronique – au moins 100 livres
Échelon 8 : Synchronisation avec la page – au moins 130 livres

​​♦ Les catégories ♦

L’idée est qu’en plus de votre échelon, il vous faut ajouter une difficulté (ou non) en choisissant une des catégories qui suit.

Catégorie A : Ange gardien de la Simplicité – Le challenge reste comme il était jusque-là, à savoir tous les supports sont acceptés et vous lisez tous les genres des lectures de l’imaginaire.
Catégorie B : Cerbère des Mots – On bannit les BDs et les mangas, la place est réservée aux romans uniquement. Tous genres confondus.
Catégorie C : Dragon de la Multidisciplinarité – Vous devrez choisir un genre en début de challenge entre la Fantasy et la SF. Ils ont tous deux des sous-genres, dans cette catégorie vous devrez lire un livre par sous-genre. (Voir la liste sur le blog de Ma lecturothèque)
Catégorie D : Elfe de l’incontournable  – Vous lirez ce que vous voudrez durant ce challenge dans le genre que vous voulez MAIS il vous sera obligatoire de lire 3 livres écrits par des auteur.rice.s que l’on qualifie de « classiques » de l’imaginaire. Les incontournables quoi. Pour ma part, j’envisage de lire Alain Damasio, Aldous Huxley, David Eddings, J.R.R. Tolkien et Neil Gaiman.

 Après chaque chronique, celle-ci sera validée quand son lien aura été mis dans la Chrobox !

♦ Liste de mes lectures ♦
71/72
(+ 2 livres dont les chroniques seront publiées en 2020)

Romans

BD/comics/romans graphiques

Albums

Essais

Bonnes lectures !
(Et si vous souhaitez participer, c’est chez Ma Lecturothèque que les choses se passent !)

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Lettres du Père Noël, de J.R.R. Tolkien (écrites entre 1920 et 1943, première publication en 1976)

Lettres du Père Noel (couverture)Entre 1920 et 1943, J.R.R. Tolkien, se faisant passer pour le Père Noël, a écrit des lettres à ses quatre enfants. Il leur raconte la vie au Pôle Nord, les mésaventures de l’Ours Polaire, son fidèle compagnon, les batailles contre les gobelins et, évidemment, les préparatifs pour Noël.

Ces lettres n’étaient pas destinées à la publication et les historiettes qu’elles racontent restent relativement enfantines, même si le quotidien au Pôle est plaisant à découvrir et si l’aventure est souvent au rendez-vous. Toutefois, au fil des années (et de la croissance des enfants), Tolkien a développé et enrichi son univers polaire et certains éléments ne sont pas sans rappeler Le Seigneur des Anneaux : les guerres avec les gobelins deviennent plus virulentes, le Père Noël trouve des alliés chez les elfes, des langages (elfique, polaire…) font leur apparition, etc.
La Seconde Guerre mondiale n’est pas exclue des lettres et le Père Noël explique aux enfants les problèmes liés au conflit, les pénuries et les souffrances des personnes ballotées par la guerre. Se devinent également les années où Tolkien n’a pas eu le temps de travailler ses lettres : ces années-là, rien de particulier n’est arrivé au Pôle et le Père Noël n’a rien à raconter !

Mais surtout, ce qui se dessine dans ses lettres, c’est l’amour d’un père pour ses enfants. Ces lettres sont magnifiques et ont dû les faire rêver les uns après les autres, année après année. C’est une idée magnifique à mes yeux. Etre le correspondant privilégié du Père Noël, voilà une idée qui doit faire rêver bon nombre d’enfants ! Beaucoup de tendresse se dégage de cette compilation car, sous les mots admiratifs du Père Noël pour le caractère ou le travail de tel ou tel enfant, c’est la fierté de leur père qui transparaît.

Les illustrations sont charmantes. Elles montrent les timbres du Pôle Nord, la maison du Père Noël, les gobelins, les chutes et bêtises de l’Ours Polaire… J’ai beaucoup aimé les paysages enneigés, étincelant sous la Lune.
Je possède l’édition Pocket, mais je pense que j’emprunterai à l’occasion le grand format de chez Christian Bourgeois pour redécouvrir ces dessins riches en détails dans de meilleures conditions.

Même si les histoires racontées ne sont pas toujours palpitantes, les Lettres du Père Noël constituent un recueil attendrissant, plein de magie, de rêve et d’amour, qui permet de rencontrer le père et le grand conteur qu’était Tolkien. Un petit livre parfait pour un instant cocooning !

« Je vous envoie à présent mille baisers, et espère ardemment avoir sélectionné les plus beaux cadeaux dans vos listes de suggestions. J’allais vous envoyer des Bilbo le Hobbit ; j’en envoie d’énormes quantités (de la deuxième édition, pour la plupart) que j’ai commandées il y a quelques jours – mais j’ai pensé que vous en auriez beaucoup, donc je vous fais parvenir un autre Conte de Fées d’Oxford. » (1937)

« Le nombre d’enfants qui restent en contact avec moi semble diminuer : je suppose que c’est à cause de cette horrible guerre, que les choses s’arrangeront j’imagine quand ce sera fini, et que je serai plus occupé que jamais. Mais de nos jours, le nombre de gens qui ont perdu leur maison ou l’ont quittée est effroyable ; la moitié du monde paraît se trouver au mauvais endroit. » (1941)

« Ma chère Priscilla,
Un très joyeux Noël ! Je suppose que tu vas suspendre ton bas encore une fois : je l’espère car j’ai encore quelques petites choses pour toi. Après quoi je devrai dire « au revoir », plus ou moins : mais je ne t’oublierai pas. Nous conservons toujours les numéros de nos vieux amis et leurs lettres ; et plus tard nous espérons revenir quand ils sont grands et quand ils ont leur propre maison et des enfants. » (1943)

Lettres du Père Noël, J.R.R. Tolkien. Pocket, 2010 (lettres écrites entre 1920 et 1943, première publication en 1976, première traduction en 2004). Traduit de l’anglais (Grande-Bretagne) par Gérard-Georges Lemaire. 111 pages.

The Imaginary (VF : Amanda et les amis imaginaires), d’A.F. Harrold, illustré par Emily Gravett (2014)

The Imaginary (couverture)Amanda et Rudger sont les meilleurs amis du monde. Ensemble, ils vivent chaque jour de nouvelles aventures : grimper des montagnes, explorer des grottes, découvrir des planètes lointaines… Tout cela vient de l’imagination d’Amanda… et Rudger aussi. Personne d’autre que la fillette ne voit Rudger, jusqu’au jour où arrive Mr Bunting. Mr Bunting qui, selon les rumeurs, mange les amis imaginaires.

Avec ce livre, je renoue avec la lecture en anglais et j’y ai pris un immense plaisir, ce qui me poussera peut-être à aller piocher un peu plus souvent dans ma pile de livres en anglais. Il se lit très facilement et j’ai beaucoup apprécié. Je regrette un peu d’avoir laissé ce livre de côté depuis si longtemps (je l’ai depuis avant sa parution en français) simplement parce que je n’étais pas sûre d’être encore capable de lire en anglais.

Première réflexion qui m’a suivie pendant toute ma lecture : il y a du Neil Gaiman dans The Imaginary. Comme dans L’océan au bout du chemin ou Coraline, seuls les enfants peuvent voir les choses cachées du monde comme les imaginaires ou à sentir la malfaisance d’un personnage. Le sinistre Mr Bunting semble parfaitement humain (avec des goûts vestimentaux douteux certes), mais cette apparence humaine cache un monstre et Amanda et Rudger sont les seuls à se méfier instinctivement de lui et de son étrange compagne. Comme dans Coraline, deux mondes se superposent, cohabitant généralement sans trop d’interactions.

The Imaginary est un très beau roman sur l’imagination, l’amitié et les souvenirs, mais aussi sur la perte et l’oubli. Tout bascule pour Rudger lorsqu’Amanda est blessée. Peut-il vivre si personne ne pense à lui, ne croit en lui ? La réponse est non et Rudger, recueilli par une bande d’amis imaginaires, découvre, dans une drôle de scène, une sorte de Pôle Emploi des imaginaires. Si The Imaginary parle souvent de ces souvenirs qui s’effacent petit à petit, cet oubli contre lequel il est difficile de lutter lorsque l’on devient adulte, c’est également une ode à l’amitié indéfectible partagée par Amanda et Rudger. Cette amitié, leur force à tous les deux, est très touchante et apporte un souffle joyeux et tendre à ce roman.

The Imaginary (image)

Avec des personnages sont forts et intéressants psychologiquement et une intrigue bien bâtie, The Imaginary est pas seulement un livre qui fait réfléchir, c’est aussi un roman plein de suspense et d’aventures. Il y a beaucoup de tension dans certaines scènes, comme celle où des coupures d’électricité interrompent une partie de cache-cache avec la babysitter. Comme autrefois face à la fausse mère (Coraline) ou Ursula Monkton (L’océan au bout du chemin), j’ai été totalement prise par l’histoire, impatiente de connaître la suite et la fin et de savoir comment ils se débarrasseraient de l’affreux Mr Bunting.

Les illustrations d’Emily Gravett sont magnifiques et en parfaite harmonie avec le texte. Combinant noir et blanc et couleurs, réel et imaginaire, elles sont très douces et nous embarquent en un clin d’œil dans son univers. Avec son crayon, l’illustratrice nous monde la gentillesse de Rudger, la vivacité d’Amanda, le côté angoissant de l’acolyte de Mr Bunting, l’horreur de la bouche de celui-ci… L’objet est très beau avec sa couverture rigide et c’est un plaisir de s’immerger dans cette histoire.

The Imaginary (image)Un roman à la fois beau et étrange, merveilleux et effrayant, rempli de poésie et d’aventures. Un univers entre le rêve et le cauchemar et un lugubre personnage qui font fortement écho à Neil Gaiman. Quant à moi, j’ai tenté de faire revenir mon ancien ami imaginaire, mais de toute évidence, je fais trop partie des grands et je ne me souviens plus de son apparence, ni de nos aventures, seul son nom me reste (mais je ne sais pas l’écrire !).

The Imaginary (image)

« Rudger is Amanda’s best friend. He doesn’t exist, but nobody’s perfect. »

« Imagination is slippery, Rudger knew that well enough. Memory doesn’t hold it tight, it has trouble enough holding on to the real, remembering the real people who are lost. »

« L’imagination est fuyante, Rudger ne l’ignorait pas. La mémoire peine à la retenir, elle a assez de mal comme ça à s’accrocher au réel, à se souvenir des personnes réelles qui ont disparus. »

The Imaginary (VF : Amanda et les amis imaginaires), A.F. Harrold (textes) et Emily Gravett (illustrations). Bloomsbury, 2014. 220 pages.

Le cabinet du docteur Black, de E.B. Hudspeth (2013)

Le cabinet du docteur black (couverture)« Résurrectionniste. Adj. et n. m. 1. Personne qui exhume ou dérobe des cadavres. 2. Personne qui ressuscite ou revient à la vie. [De l’anglais resurrectionist] »

Le cabinet du docteur Black est divisé en deux parties.

La première est une biographie du dit docteur. Comment ce fils de pilleur de tombes fut initié très jeune à l’anatomie. Comment ce brillant médecin, scientifique reconnu et admiré par ses pairs, époux heureux, abandonna tout peu à peu. Comment sa volonté de découvrir à tout prix les origines des êtres humains le mena à des expériences se rapprochant davantage de la torture que de la recherche médicale. Comment son esprit, obnubilé par une idée fixe, progressivement perdit pied. Car le docteur Spencer Edward Black a une idée, non, une certitude : centaures et chimères, sirènes et harpies, pégases et satyres ont existé autrefois. Ils sont les ancêtres des êtres humains et animaux actuels et leurs gènes réapparaissent quelques fois dans des cas de malformations. Et pour le prouver, s’appuyant sur de prétendus squelettes, il réalise des greffes sur des animaux, des hommes, des femmes ou des enfants : des greffes d’ailes ou de têtes supplémentaires par exemple.

La seconde partie est davantage graphique. Il s’agit du Codex Extinct Animalia : Étude des espèces moins connues du règne animal. Rédigé par le docteur Black, ce « Manuel de référence pour tous les praticiens en sciences, médecine et philosophie » présente les différentes créatures dont Black est persuadé de l’existence. Des textes introduisent chacune d’entre elles ainsi qu’une classification détaillée (règne, phylum – ou embranchement –, classe, ordre, famille, genre et espèce), mais ce sont les illustrations qui font la beauté de ce livre : des schémas détaillés de leur ossature et de leur musculature. De face, de dos, de dessus, les couches inférieures et supérieures, rien n’est dissimulé à l’œil curieux du lecteur. Les harpies ont même droit à des esquisses de leurs organes internes ainsi que de leurs œufs et embryons.

Les onze créatures ici dévoilées sont :

  • Le sphinx ;
  • La sirène ;
  • Le satyre ;
  • Le minotaure ;
  • Le ganesh ;
  • La chimère ;
  • Le cerbère ;
  • Le pégase ;
  • Le dragon ;
  • Le centaure ;
  • La harpie.

La première de couverture noire et sobre avec ce squelette ailé avait déjà attiré mon regard en librairie et le contenu ne m’a pas déçue. L’histoire du docteur Black est dérangeante par sa volonté de prouver en récréant ce qui a, selon lui, existé qui l’entraîne dans une folie de plus en plus profonde. Chirurgie, taxidermie, est-il un génie ou un charlatan ? Doit-on s’émerveiller devant ses créations ou en être révulsé ? Ce docteur Frankenstein animalier suscite à la fois fascination et répulsion. Cette biographie, agrémentée de croquis, de lettres et d’extraits de journaux, nous pousse à croire le sérieux de cette histoire. E.B. Hudspeth prouve son talent en nous faisant ainsi osciller entre fiction et réalité…

Les illustrations sont détaillées, rigoureuses et, pour ces qualités, crédibles. Les créatures sont majestueuses, imposantes, touchantes. Il pourrait y avoir un peu de lassitude au bout de la centième page de schémas dû à la répétition des noms de muscles et d’os (car ce sont évidemment toujours sensiblement les mêmes), mais il y a un tel réalisme que cela m’a captivée. Toutefois, je regrette vraiment qu’il n’y ait pas davantage d’explications sur chaque espèce.

Il est fascinant d’imaginer comment ces créatures pouvaient se mouvoir, comment le corps humain du minotaure pouvait supporter le poids de sa tête de taureau, comment le pégase pouvait soulever son pesant corps d’équidé, etc. Il y a en cela des similarités avec le travail de réflexion et de concept art des équipes des films Harry Potter pour faire naître sur grand écran le bestiaire des livres (œuvre que l’on retrouve dans The Creature Vault).

 

Le Pré aux clercs propose ici un superbe ouvrage qui appelle forcément le souvenir d’Edgar Allan Poe. Exquisément macabre et légèrement perturbant, il pose la fameuse question : « Et si c’était vrai ? » Les illustrations de E.B. Hudspeth sont sublimes et magnifient ces antiques créatures. Je suis contente de placer sur les rayonnages de ma bibliothèque (enfin, pour le jour où j’aurais une vraie bibliothèque avec des rayonnages sur tous les murs) un ouvrage de si belle qualité et aux idées aussi hors du commun.

 Le trailer du livre

« J’ai dépecé beaucoup d’hommes. Tous sont innocents et égaux lorsqu’ils sont sur la table. Tous sont exquis et grotesques. »

« Il fut un temps où la nature portait un autre masque. Depuis que j’ai décidé de découvrir ses secrets, mes tentatives n’ont fait que se multiplier. Quelles luttes livrées en essayant de voir ce visage primitif, ce à quoi la nature ressemblait à l’origine. Le destin a désormais exécuté le plan qu’il a soigneusement échafaudé : ma ruine finale et totale. A présent, il rit, et j’entendrai cette mère de la nature toutes les nuits jusqu’à ce que mon heure vienne ; je l’entendrai appeler. Cette chose misérable, baignée d’immondices dont seul le chant démoniaque dépasse l’infamie. »

« Nous, les médecins, nous ne sommes pas des dieux, mais nous faisons leur travail. »

Le cabinet du docteur Black, E.B. Hudspeth. Le Pré aux Clercs, 2014 (2013 pour l’édition originale). Traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Marion Cot-Nicolas. 191 pages.