Moi, Ambrose, roi du Scrabble, de Susin Nielsen (2008)

Moi, Ambrose, roi du Scrabble (couverture)J’ai adoré et chroniqué récemment Le journal malgré lui d’Henry K. Larsen du même auteur, à la suite duquel j’ai enchaîné avec Moi, Ambrose, roi du Scrabble que j’ai également adoré.
Ambrose – qui apparaît dans Le journal malgré lui d’Henry K. Larsen – est allergique à l’arachide et, quand trois élèves qui l’ont pris comme tête de turc – Troy, Josh et Mike –glissent une cacahuète dans son sandwich et manquent de le tuer, sa mère décide de lui faire prendre des cours par correspondance. Peu de temps après, Ambrose s’ennuie mortellement chez lui, ce qui l’amène à se lier d’amitié avec ses voisins, les Economopoulos, et surtout leur fils Cosmo, récemment sorti de prison. Tous deux vont se découvrir une passion commune pour le Scrabble.

Il n’y a pas dans cette histoire le tragique que comporte celle d’Henry K. Larsen. Il y a beaucoup d’humour avec des personnages vraiment truculents.

Ambrose, comme Henry, est un enfant asocial, dont les remarques à la fois décalées et pleines de franchise déstabilisent beaucoup de monde. A la fin très intelligent et encore très enfant, il est adorable. On l’imagine très bien avec ses vêtements un peu courts et un peu trop bariolés, avec ses ronchonnements, avec son air ébahi. Quant à Cosmo, ce n’est pas un vrai mauvais garçon, il a simplement fait de mauvais choix dans sa jeunesse et, à sa sortie de prison, il va tout faire pour laisser son passé derrière lui. Cosmo est terriblement sympathique ! Il s’attache peu à peu à Ambrose (que l’on adore déjà) et, même si lui va devenir le grand frère que le jeune garçon n’a jamais eu, ils vont s’apporter une aide mutuelle et touchante.
Autour d’eux, on trouve aussi les voisins grecs, M. et Mme E., Amanda qui gère le club de Scrabble… Et sa mère bien sûre et, si Irène est possessive et protectrice à l’extrême depuis la mort du père d’Ambrose, on ne peut pas la détester car on voit qu’elle fait ce qu’elle peut pour élever son fils correctement, seule, en essayant du joindre du mieux qu’elle peut les deux bouts. Chaque personnalité est différente, aucun personnage ne nous semble redondant, tous ont un rôle intéressant qui aide Ambrose à s’affirmer.

C’est une histoire très émouvante. On voit le petit Ambrose s’affirmer, grandir, s’expliquer avec sa mère pour qu’elle apprenne à lui faire confiance, pour qu’elle comprenne qu’il a besoin du monde extérieur, lui qui au début du roman préfère la solution du mensonge pour ne pas la blesser (et ne pas l’affronter aussi). C’est une histoire de vie avec ses hauts et ses bas.

Et à propos du Scrabble ? Ce jeu de lettres est très présent dans le récit. D’ailleurs, chaque chapitre commence par un tirage de lettres, quelques propositions de mots avec ces mêmes lettres ainsi que, finalement, le titre du chapitre composé des lettres tirées. Mais aimer le Scrabble ou non, y jouer ou non ne change rien à la lecture. Ça aurait pu être n’importe quel jeu (mais le Scrabble a quelque chose d’un peu « ringard » qui éloigne Ambrose des jeux des autres enfants de 12 ans). Il permet de rapprocher Ambrose et Cosmo, de les sortir de leurs chambres respectives pour les conduire à un club où ils feront de nouvelles connaissances, où ils devront apprendre à affronter ET à respecter d’autres joueurs, etc.
(En ce qui me concerne, après avoir lu ce livre, j’ai eu une envie dévorante de jouer au Scrabble, mais à peine ai-je vu une boîte et démarré une partie que je me suis rappelée à quel point je détestais ce jeu. Mais cela ne m’a nullement empêché de trouver ce livre génial.)

Un excellent roman de Susin Nielsen – vraiment, je vous conseille de découvrir ses livres ! – à la fois drôle et touchant sur l’adolescence, la seconde chance, l’amitié… Très divertissant !

« Parfois, on se sent plus seul au milieu de la foule que quand on n’a personne autour de soi, vous voyez ce que je veux dire ? »

« J’ai repris une bouchée de mon sandwich en me disant que, tout compte fait, ma conversation avec Nif-Nif, Naf-Naf et Nouf-Nouf s’était plutôt bien passée, lorsque j’ai soudain ressenti des démangeaisons partout, suivies d’un resserrement distinct dans ma gorge. Je connaissais cette sensation. J’ai retiré la tranche de pain supérieure de mon sandwich, et comme de juste je suis tombé dessus.
Une cacahuète. Ou, pour être précis : une demi-cacahuète.
L’autre moitié se trouvait dans mon tube digestif, et moi, j’entrais en choc anaphylactique. C’est-à-dire que mes muqueuses de ma gorge enflaient et que je ne pouvais plus respirer, ou presque. »

« Cela dit, au cas où je donnerais l’impression que ma mère est cinglée, sachez que ce n’est pas le cas. Enfin, pas trop. Elle est même passée à deux doigts d’être une maman normale, et nous sommes passés à deux doigts d’être une famille normale. »

Moi, Ambrose, roi du Scrabble, Susin Nielsen. Hélium, 2012 (2008 pour l’édition originale). Traduit de l’anglais (Canada) par Valérie Le Plouhinec. 208 pages.

Les livres (chroniqués) de Susin Nielsen :

Le journal malgré lui d’Henry K. Larsen, de Susin Nielsen (2013)

Le journal malgré lui d’Henry K. Larsen (couverture)Henry K. Larsen est fortement encouragé par son psychiatre, Cecil, qui, selon lui, « n’est pas la crème des psychologues » à tenir un journal intime. Tout d’abord récalcitrant, il y prend peu à peu goût. On devine qu’un lourd secret pèse sur Henry et son père, que leur déménagement récent à Vancouver n’est pas anodin. Peu à peu, on comprend en partie quel est ce secret, bien avant qu’Henry ne puisse mettre des mots dessus.

Dans son immeuble, il rencontre Karen et M. Atapattu qui semblent aussi insupportables l’un que l’autre au premier abord. Mais Henry saura mettre de côté son cynisme et sa mauvaise humeur pour apprendre à les connaître au-delà des apparences. A l’école, il fait la connaissance de Farley – « Bizarre. Enthousiaste. Loyal » – et d’Alberta – « Malpolie. Brutale. Unique. Jolie. » – dans un groupe où l’on teste sa culture générale à travers des concours inter-collèges. Ceux-ci deviennent ses meilleurs amis. Mais Troy a pris Farley comme souffre-douleur et l’histoire semble se répéter pour Henry.

Quel choc, ce roman ! Humour et horreur se côtoient en permanence. Henry a un sens du second degré hilarant, il rêve comme un enfant, se passionne pour le catch (une tradition familiale), mais l’histoire est tellement dure, tellement triste. Henry a douze ans, mais il semble beaucoup plus vieux car il y a des horreurs dans son passé que ceux de son âge ne peuvent même pas imaginer (comme Harry Potter !). On vit avec lui, on souffre avec lui, on le voit se débattre entre des sentiments contradictoires face à ce qui s’est passé : colère et culpabilité, amour pour son frère et rancœur. Il lutte pour sauver sa famille – puisque ses parents semblent se diviser – et emprunte peu à peu un chemin pour accepter les événements traumatisants de son passé, pour apprendre à vivre avec.

Susin Nielsen a su trouver un ton juste qui ne tombe jamais dans le larmoyant. Pourtant, ce n’était pas forcément gagné avec un personnage d’adolescent traumatisé avec un passé qui le hante et une famille qui se déchire. Elle nous place au niveau de son narrateur. L’horreur et la tristesse de cette histoire sont nuancées par l’humour (les remarques d’Henry sur ses voisins, les séances de psy…), les personnages hauts en couleurs, les petits combats du quotidien (gagner un peu d’argent pour aller voir Le Grand Clash de la LPC (Ligue Planétaire de Catch) en direct live à Seattle, etc.). C’est vraiment avec une grande finesse qu’elle aborde le thème des relations entre les adolescents ou entre adolescents et adultes.

Et je m’arrête là car je ne veux pas trop en dire sur ce très beau roman.

Henry est un héros face auquel on ne peut pas rester de marbre et tous ceux qui l’entourant sont touchants à leur manière. Une histoire bouleversante, sombre et lumineuse à la fois. Une merveille.

« C’est à cause de cette voix de robot que je me suis retrouvé ici. Après toute l’histoire avec maman, à Noël, mes « furies » sont revenues et je me suis mis à parler comme un robot vingt-quatre heures sur vingt-quatre. Et même jusqu’au déménagement à Vancouver. L’intérêt de parler robot, c’est que cela permet de tout dire sans exprimer la moindre émotion. »

« Est-ce que ce ne serait pas génial si on pouvait écrire le scénario de sa propre vie ? Je suppose qu’il y aurait beaucoup moins de suspens qu’au cinéma. Mais au moins, on pourrait s’écrire un happy-end. »

Le journal malgré lui d’Henry K. Larsen, Susin Nielsen. Hélium, 2013 (2012  pour l’édition originale). Traduit de l’anglais (Canada) par Valérie Le Plouhinec. 248 pages.

Les livres (chroniqués) de Susin Nielsen :