Sérieuse Odile Ramona Donatienne Isadora Dauphin (acronyme : S.O.R.D.I.D.) est ultra pourrie gâtée par ses parents. Licornes de compagnie, carrousel dans le hall, quatorze chambres personnalisées et… une tripotée de domestiques pour s’occuper d’elle en leurs – nombreuses – absences. Jusqu’au jour où elle découvre l’existence des grands-pères. A partir de ce moment-là, elle VEUT un grand-père. Heureusement que la Société des Pépés à Adopter est là pour venir en aide à ses parents.
Une nouvelle fois, après Le génie de la lampe de poche et Ma vie moisie, Dieu et moi, Shirley Banana, me voilà pour parler du dernier livre d’Emilie Chazerand paru dans la collection Pépix de Sarbacane (merci Babelio et l’éditeur !).
Sans surprise, on retrouve un peu les mêmes ingrédients que dans ses livres précédents, à savoir du cynisme, des comparaisons imagées toujours pertinentes, de l’ironie, un peu d’absurde, bref, de l’humour sous toutes ses formes. Un peu moins de trucs dégueu que dans les précédents, même si la description d’une vieille personne par la meilleure amie de Sérieuse, Jessifer : absolument hilarant et totalement repoussant, avec un chouïa de mauvaise foi… mais de vérité aussi parfois ! Certaines blagues ne seront peut-être pas comprises par les plus jeunes, mais petit·es et grand·es se régaleront. En ce qui me concerne, le titre m’amusait déjà et les parallèles avec la vraie SPA m’ont bien fait rire.
Et ça dépote, ce roman, on n’a pas le temps de s’ennuyer ! Sérieuse nous embarque par la main et ne nous lâche qu’une fois arrivée au bout de son histoire (je l’ai lu dans une journée, incapable de décrocher bien longtemps).
Cependant, j’ai préféré ce roman aux deux autres (je ne le compare pas à La fourmi rouge qui ne vise pas le même public) car je l’ai aussi trouvé extrêmement touchant aussi. Après deux histoires qui se passait dans des lieux collectifs – la colo et l’orphelinat –, nous voici dans un « coquet petit manoir qui ne paie pas de mine » un peu vide. Cette petite fille qui a tout comme on le lui fait remarquer, mais qui leur fait remarquer en retour qu’elle n’a personne pour lui montrer de l’affection, pour la défendre, pour jouer avec elle, pour faire des câlins. Bref, qu’elle a tout ce qui est matériel, mais que, pour ce qui est de la chaleur humaine et des moments ensemble, sa famille présente de grosses lacunes. Ça parle aussi de harcèlement scolaire – eh oui, il n’y a pas qu’à la maison que la petite Sérieuse est un peu isolée, son angiome sur la face ne l’aidant pas à franchir indemne la barrière de moqueries de ces charmants enfants – et c’est aussi très réussi (bien que secondaire).
Récapitulons, voulez-vous ? La Société des Pépés à Adopter, c’est :
- une jolie histoire intergénérationnelle pleine de tendresse qui nous invite à regarder du côté des bons moments plutôt que des jouets et autres possessions matérielles ;
- une héroïne un peu caractérielle, mais tellement drôle et parfois trop choue ;
- du rythme, du divertissement, de l’humour, mais aussi des réflexions intelligentes et subtiles ;
- des illustrations qui, comme toujours, collent parfaitement à l’ambiance.
Conclusion ? Une réussite !
« Je ne sais pas si ça fait ça à tout le monde, mais moi j’ai souvent l’impression que mes parents sont des gros nuls.
Plus que « souvent » en fait : tout le temps. Le soir, quand je suis toute seule dans ma salle de ciné personnelle, je me repasse la vidéo de leur mariage. C’était huit mois avant… moi, le tsunami qui a détruit leur petite plage d’amour paradisiaque.
Dans ce film, mes géniteurs ont l’air super classe. Mère porte une robe vaporeuse (50 % coton 50 % vapeur) et une pimpante couronne de fleurs, comme les Femen. Père, lui, arbore avec fierté un costume fuchsia et des lunettes de soleil arc-en-ciel. Il est gentiment ridicule. Ils sourient tous les deux comme des témoins de Jéhovah.
Je n’irais pas jusqu’à dire qu’ils étaient beaux, non, mais ils étaient moins moches qu’aujourd’hui, ça, c’est sûr. En les regardant danser et rire et faire la chenille, je me dis que c’est impossible, ça ne peut pas être Tancrède et Philibertine Dauphin, mes gros nuls de parents !
Je les ai aimés drôlement fort à une époque, mais maintenant, plus du tout. »
« Et puis un beau matin, ils ont commencé à payer des gens pour effectuer leurs corvées à leur place. Genre sortir les poubelles, faire les courses, nettoyer les toilettes et m’aimer.
Ça me faisait bizarre, au début, d’être entourée d’étrangers…
… jusqu’au jour où je me suis aperçue que c’étaient mes parents, les étrangers. »
« Vois-tu, un grand-père a besoin de soins particuliers. Il faut le sortir régulièrement, jouer avec lui, le stimuler.
– Je suis très stimulante ! »
La Société des Pépés à Adopter, Emilie Chazerand, illustré par Joëlle Dreidemy. Sarbacane, coll. Pépix, 2019. 205 pages.