L’histoire est autant celle de la petite Fadette que celle de deux bessons, deux jumeaux, Sylvinet et Landry Barbeau. Semblables de corps, leurs esprits et leurs cœurs se révéleront bien différents.
N’ayant jamais lu cette autrice jusqu’à présent, La petite Fadette est mon premier pas dans son œuvre. Et l’excursion fut plutôt agréable.
J’ai tout de suite aimé la langue de ce petit roman, mâtinée de patois. Ce parler berrichon confère à la narration un côté chantant très plaisant. L’immersion dans ce monde paysan est immédiate tandis que je savourais ces mots inusités aux sonorités mélodieuses.
« Elle guérissait les blessures, foulures et autres estropisons. »
« Il s’effrayait de laisser l’endosse à son cher besson. »
« Il ne faut pas détemcer ton frère. »
« (…) Jeanet le sauteriot, qui la suivait en clopant, vu qu’il était ébiganché et mal jambé de naissance. »
« Il y a longtemps que tu veux m’émalicer en m’appelant moitié de garçon. »
Si l’histoire est gentillette, l’intrigue est maigre, mais repose presque entièrement sur l’étude psychologique des personnages, leur évolution, leurs interactions. C’est fait avec finesse et permet un attachement aux personnages, notamment Landry et la petite Fadette. On se prend à souhaiter le meilleur à ces deux-là. Sylvinet est un personnage plus ambigu, plus difficile à aimer tout de go. Autant la gentillesse, l’intelligence, la droiture et la bonne humeur des deux premiers les rendent facilement aimables, autant les sentiments torturés de Sylvinet font osciller entre la pitié, la sympathie, l’exaspération, voire un chouïa de mépris. Cependant, ces mêmes sentiments lui offrent une humanité plus réaliste, car faillible, à côté de tant d’autres personnages si admirables de caractère.
La petite Fadette parle de gémellité, de jalousie, d’amour sous différentes formes, mais aussi des a priori basés sur les apparences et les réputations. La petite Fadette est surnommé « grelet » (grillon) pour sa laideur, et « fadet, follet » pour son image de sorcière. Le récit invite donc à dépasser les apparences, mais l’on touche là à un des défauts du livre…
Pour le reste, l’évolution est très classique : on se doute bien que la pauvre, laide, méchante et méprisée petite Fadette grandira et deviendra par un moyen ou un autre riche, jolie, gentille et estimée. C’était évident et un peu facile : tout en doutant d’y couper, je l’ai vivement regretté car j’avais beaucoup aimé le passage où, discutant avec Landry, elle fait preuve d’indépendance, de force, de raison et de conviction, exprimant qui elle est en toute honnêteté. Ainsi, le roman inviterait à regarder au-delà du physique ou des racontages de village, à apprendre à connaître la personne pour son esprit et son cœur, ce que Landry fait très bien au départ. Sauf que la petite Fadette finit par adopter une apparence « plus convenable », se pliant complètement aux attentes et au regard des autres.
Le discours reste très chrétien : avoir bon cœur, mettre du cœur à l’ouvrage, avoir foi en Dieu en restant humble, rendre le bien pour le mal, etc. À ces notions de générosité, d’ardeur travailleuse et de piété, s’ajoutent – surtout pour la petite Fadette – celles de rentrer dans le rang, de ne pas faire de vagues, de faire bonne figure. J’avoue avoir été surprise par certains propos très genrés et conservateurs car j’avais dans l’idée – erronée de toute évidence – que l’autrice aurait dépassé cela (en partie tout du moins), mais le roman reste, à ce niveau-là, très ancré dans son époque.
Ce roman champêtre n’est pas exempt de défauts, mais conserve pourtant un charme désuet indubitable. Outre la délicatesse et la musicalité de l’écriture, il y a de la poésie dans la façon dont George Sand raconte la campagne berrichonne du XIXe siècle, ses habitants, leurs coutumes et superstitions. Une lecture agréable et tendre. Dommage toutefois que George Sand n’ait pas su proposer jusqu’au bout une femme indépendante, forte de son intelligence, de sa débrouillardise et de sa connaissance des plantes et de la nature.
« Il allait, toujours se remémorant et creusant dans sa tête pour y retrouver toutes les petites souvenances de son bonheurs passé. Ça n’eût paru rien à un autre, et pour lui c’était tout. Il ne prenait point souci du temps à venir, n’ayant courage pour penser à une suite de jours comme ceux qu’il endurait. Il ne pensait qu’au temps passé, et se consumait dans une rêvasserie continuelle. »
« Je n’ai pas besoin de plaire à qui ne me plaît point. »
La petite Fadette, George Sand. Éditions Baudelaire, 1966 (1849 pour l’édition originale). 246 pages.
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