Traversant un campus en rentrant du travail, Oscar est attiré dans une chapelle par la musique de l’orgue. Celle-ci, hypnotique, s’empare de lui. Ce soir-là, il rencontre Iris et son frère, Eden, le mystérieux organiste. En entrant dans leur cercle d’amis, Oscar va découvrir les étranges théories d’Eden sur les pouvoirs de guérison de l’orgue et de la musique baroque.
Avec ce premier roman, Benjamin Wood a su m’entraîner dans un domaine que j’apprécie, celui de la folie et des névroses. Surtout lorsque, comme dans ce roman, les choses ne sont pas si tranchées. L’aliénation flirte avec le génie (cela dit, à quel point sont-ils dissociables ?) dans ce récit qui se penche également sur le sujet de l’hypnose et de la musicothérapie. Tout cela crée une ambiance parfois trouble qui bouscule et interroge.
Arrivée à la fin du roman, je me disais que j’en attendais plus – sans réellement savoir ce que recouvre ce fameux plus, davantage de manipulation machiavélique peut-être – et, à la réflexion, j’en suis tout de même satisfaite. On reste à un niveau crédible, réaliste, à l’image des personnages. L’auteur ne s’est pas lancé dans un thriller effréné, mais dans une histoire humaine et touchante, avec des personnages bien construits aux caractères complexes et crédibles, fluctuants selon les moments, comme dans la vraie vie, un récit qui n’est pas exempt de suspense pour autant.
Au fil de ma lecture, j’ai énormément été poussée par la curiosité. L’auteur ouvre des portes et on attend de voir où elles vont mener. Je constate que les quelques notes prises pendant la lecture tiennent essentiellement en questions sur des détails apparemment anodins mais auxquels j’attendais une réponse.
La fin de l’histoire étant dévoilée dans le prélude, cela fait naître non pas l’envie de savoir comment les choses vont tourner – mal, on le sait dès la première page –, mais quel a été le chemin emprunté pour aboutir à cette tragédie.
C’est un livre que j’ai dévoré. Je l’ouvrais et, lorsque je m’arrêtais de lire, j’avais lu peu ou prou une centaine de pages. C’est un roman qui m’a absorbée, m’attrapant par mon désir de réponses et par une plume qui, sans être exceptionnelle, est d’une grande fluidité.
Nous vivons cette histoire par les yeux d’Oscar, personnage auquel il est aisé de s’identifier. Gentil, humble, intelligent, simple, Oscar est relativement neutre parmi les fortes personnalités qui l’entourent. Deux mondes se rencontrent, s’apprivoisent, se choquent parfois. D’un côté, les Bellwether sont riches, cultivés, aristocratiques, pieux et, ayant suivi ou suivant actuellement de longues études payées par l’héritage familial dans de prestigieux établissements, ils sont loquaces, parlent bien, n’hésitent pas à exprimer leurs idées. De l’autre, Oscar vient d’un milieu plus modeste où l’on préférait la télévision aux livres, il est athée et, bien qu’il soit jeune, il travaille depuis quelques années déjà, poussé par la nécessité de gagner sa vie et le besoin d’indépendance.
L’histoire se déroule en 2003 (les dates sont mentionnées et des éléments, comme les téléphones, viennent rappeler que nous sommes dans les années 2000) et pourtant, il y a quelque chose de désuet dans l’atmosphère de ce roman. Cela s’explique sans doute par cette intrigue qui traverse de vieux colleges de Cambridge, une grande maison de maître, de jolis salons de thé distingués et une maison de retraite. Eden, Iris et leurs amis ont eux-mêmes un côté hors du monde moderne, que ce soit par leur langage, leur éducation, leur rapport détaché à l’argent.
Pour un premier roman, Le complexe d’Eden Bellwether est très réussi et prometteur. Ce n’est pas un coup de cœur, mais une lecture très sympathique. L’intrigue et les personnages sont intéressants et creusés, mais il y a un petit quelque chose dans le traitement de l’histoire qui pêche un peu. Je m’attendais probablement à être un peu plus captivée, à être davantage prise émotionnellement par le récit.
En fait, je me dis que ma critique doit sembler contradictoire, entre « j’ai été absorbée », « je n’ai pas été captivée »… Essayons de clarifier les choses. La lecture est facile et rapide, pas de problème de longueurs pour moi. La fin annoncée et les détails intrigants laissés ici et là poussent à lire plus pour savoir tout ce qui s’est passé. Mais il m’a manqué un soupçon de fascination pour en faire une lecture réellement marquante.
(En plus, j’ai découvert le mot qui désigne l’odeur de la terre après la pluie. Pétrichor. Me voilà plus instruite et dispensée de toujours dire « l’odeur de la terre après la pluie ».)
« J’ai beaucoup écrit sur l’espoir. Ma théorie est que l’espoir est une forme de folie. Une folie bénigne, certes, mais une folie tout de même. En tant que superstition irrationnelle, miroirs brisés et compagnie, l’espoir ne se fonde sur aucune espèce de logique, ce n’est qu’un optimisme débridé dont le seul fondement est la foi en des phénomènes qui échappent à notre contrôle. »
« Plus la musique déferlait sur lui, plus il se sentait triste, car il pouvait aussi bien imaginer Eden tenir l’orgue dans une magnifique cathédrale comme Saint-Paul ou Notre-Dame, que l’imaginer interné dans un service psychiatrique aux murs blancs, pianotant des toccatas silencieuses sur l’appui d’une fenêtre. »
« Pour ceux qui ont la foi, aucune explication n’est nécessaire. Pour ceux qui ne l’ont pas, aucune explication n’est possible. »
Le complexe d’Eden Bellwether, Benjamin Wood. Le Livre de Poche, 2017 (2012 pour l’édition originale. Editions Zulma, 2014, pour la traduction française). Traduit de l’anglais (Grande-Bretagne) par Renaud Morin. 571 pages.