Le journal d’une femme de chambre, de Benoît Jacquot, avec Léa Seydoux, Vincent Lindon (France, 2015)

Journal d'une femme de chambre (affiche)J’avais tellement aimé le roman de Mirbeau, ce Journal d’une femme de chambre si immoral, si vif, si impertinent ! Pourquoi suis-je allée voir ce film que je pressentais plutôt mal, avec une actrice qui me hérisse le poil ? La réponse est simple : j’accompagnais quelqu’un. En tout cas, il n’a pas déçu mes attentes : c’est une catastrophe.

Le pitch du film en deux mots : Célestine, une jeune bonne, quitte Paris pour aller servir un couple de provinciaux. Madame est sèche et méprisante, Monsieur est faible et coureur de jupon. Il y a aussi Joseph, un vieux domestique bourru. Quelques autres protagonistes autour et l’histoire du film s’arrête là. (Attention, je parle bien du film ! Le film est autrement plus fouillé !)

Tout d’abord, les acteurs. Léa Seydoux mérite d’être félicitée pour son exploit. Elle est tout de même parvenue à rendre la piquante Célestine fade et insipide. L’inexpressive Léa Seydoux est égale à elle-même : un seul jeu, une seule expression quel que soit le film. (Quand je pense que le génial Dolan va réaliser un film avec elle et Marion Cotillard, j’ai envie de fuir les salles obscures.)

Vincent Lindon retrouve un rôle de bourru qu’il semble affectionner et est plus inaudible que jamais. Jacquot semble avoir eu un souci de direction d’acteurs car les autres ne sont pas beaucoup mieux, notamment le jeune Vincent Lacoste.

L’histoire ensuite (et je terminerais là). Le livre était une critique des bourgeois comme des domestiques car le portrait que Célestine faisait de ses « collègues » n’était pas particulièrement flatteur. Ici, quelques phrases du livre jetées de temps à autre ne suffisent pas à rendre ce caractère irrévérencieux du chef-d’œuvre de Mirbeau. Loin de la vivacité de Célestine, le film est lent et mou.

Rien de l’impertinence du livre, de sa verve qui nous plonge avec passion dans ce monde de bourgeois et de domestiques. Lisez le livre de Mirbeau et oubliez le film de Jacquot !

Fidelio, l’odyssée d’Alice, de Lucie Borleteau, avec Ariane Labed, Melvil Poupaud… (France, 2014)

Fidelio (affiche)Marin, Alice est embauchée comme mécanicienne à bord d’un vieux cargo, celui de sa première traversée. Elle laisse sur le quai, comme le font les marins, Félix et retrouve à bord Gaël, amour de jeunesse et commandant du Fidelio. Deux hommes, deux histoires, l’une sur la terre, l’autre sur la mer.

Fidelio, l’odyssée d’Alice, est le premier film de Lucie Borleteau et c’est une réussite ! On y découvre la vie d’un cargo. Un quotidien rythmé par des codes et des rites, comme la scène du baptême lors du passage de l’Équateur. Un univers essentiellement masculin et doucement graveleux dans lequel Alice se fond aisément. Elle dirige ses hommes et respecte ses supérieurs sans toutefois se laisser marcher sur les pieds. Ainsi lorsque le mécanicien en chef tente d’abuser d’elle, elle lui fait comprendre simplement mais fermement qu’il ferait mieux de débarrasser le plancher.

Fidelio 3 Alice (Ariane Labed)

              Alice (Ariane Labed)

Fidelio est avant tout un portrait de femme. Ariane Labed incarne une héroïne tout en nuance. A la fois forte et fragile, elle est séduisante sans fioriture et parcourt le pont avec une grâce toute particulière. Son cœur balance entre deux hommes, mais elle n’est pas une amoureuse tragique et mélancolique ; elle croque la vie à pleine bouche.

Melvil Poupaud, que j’avais découvert dans Laurence Anyways, me séduit toujours autant par son jeu et son regard. Revêtu de l’uniforme de commandant, il est touchant dans son rôle d’amoureux. Comme Alice, ce n’est pas un personnage à un seul visage et j’ai particulièrement aimé cette profondeur des personnages.

Si, autour d’eux évoluent une bonne dizaine d’autres protagonistes, cuistot, mécano, amis, camarades, tous observateurs de la passion d’Alice.

Mais Alice est également accompagnée par son prédécesseur qui, à sa mort, laisse dans sa cabine ses journaux. Ses déboires amoureux et sa mélancolie résonne comme un étrange écho aux tergiversations d’Alice… Fidélité, attirance sexuelle et sentiments amoureux sont au centre de ce film.

Fidelio 2 Gael (Melvil Poupaud)

              Gaël (Melvil Poupaud)

Un très beau film pour son scénario, mais également visuellement très réussi. Les acteurs sont lumineux et profonds. Et les contrastes sont omniprésents. On passe de l’extérieur à l’intérieur des entrailles du navire, de la pureté azurée de l’océan et des cieux à la crasse des moteurs. On passe de la cacophonie des machines, monstres de fer près à exploser au bruissement feutré des vagues. Ainsi Lucie Borleteau enchaîne des moments de calme et des séquences presque violentes auditivement et visuellement parlant.

Air iodé et machines assourdissantes pour huis-clos sur un vieux cargo. Le regard sensible de la réalisatrice et le naturel de l’actrice font d’elles deux artistes à suivre et de ce film une petite perle…

« Ce qui se passe en mer reste en mer. »

Fidelio  Alice

Les garçons et Guillaume, à table !, de et avec Guillaume Gallienne (France, 2013)

Les garçons et Guillaume, à table ! 1

« Moi, quand j’étais un adolescent,

J’ai essayé les vêtements de ma mère,

J’étais pourtant sûr que ça allait vous plaire

Et que tous les gens s’y habitueraient.

Pourtant on m’a regardé de travers… »

Je sors tout juste du cinéma. J’en suis encore époustouflée. Quand je suis partie, je n’avais plus d’accès Internet, plus d’électricité ; je rentre, tout fonctionne, des fruits exotiques embaument ma chambre, c’est comme si Guillaume avait tout résolu. Je suis sortie de là avec l’envie d’y retourner. C’est une perle.

J’avais aimé la pièce du même titre qui m’avait laissé pour seule déception le fait de ne pas avoir vu Guillaume Gallienne la jouer. Le film a un peu rattrapé cela puisqu’il intercale à l’histoire des scènes filmées comme si on était spectateur de la pièce. Quel plaisir ! J’en suis sans voix.

Il y a tout dans ce film : un excellent acteur et réalisateur, de l’intelligence, de l’humour…

Les garçons et Guillaume, à table ! 5Je n’ai jamais eu le plaisir de voir Guillaume Gallienne sur scène, mais j’espère en avoir l’occasion. Il incarne ici deux personnages : Guillaume et Maman. Et on y croit : ce sont deux personnes différentes. Ce travestissement est un hommage très touchant à sa mère. Finalement, qui pouvait mieux l’interpréter que lui, lui qui l’a imité pendant des années ? Il est incroyable. Et sa voix ! J’adore sa voix, ses intonations…

Premier film de Gallienne. Je ne suis pas une spécialiste des techniques cinématographiques (très loin de là), mais je l’ai trouvé original. Dans sa manière de filmer, d’enchaîner les scènes. Ce n’est pas linéaire comme souvent. Il alterne les gros plans, les points de vue (parfois nous sommes extérieurs à la scène, parfois nous la voyons par les yeux de Guillaume), les périodes et les lieux (on passe de la scène du théâtre au jeune Guillaume en Espagne par exemple).

CULTURE-THEATRE-GALLIENNEL’intelligence et la finesse de la pièce se retrouvent ici. La recherche de soi, le poids du regard, l’imitation, les femmes… Fille, garçon, homo, hétéro… Guillaume nous fait traverser ses années de jeunesse avec innocence et sincérité. Il nous confie ses doutes, ses peurs. La pension, les chevaux, le service militaire, les premières expériences sexuelles, les séances chez les psys, tout est là. Il se dévoile totalement et se met à nu (au sens propre comme au sens figuré).

Les femmes – et sa mère avant toutes les autres – sont le cœur de ce film. Tout vient de « Maman ». Guillaume Gallienne est un véritable amoureux des femmes : il les a imitées, il les a étudiées, il a appris à les connaître et à les écouter, et maintenant, il les a filmées. Les attitudes, les gestes, les regards, les paroles, les voix.

Les garçons et Guillaume, à table ! 3Tout cela peut sembler plutôt sombre, mais non. On rit pendant ce film ! On rit sans cesse parce que c’est hilarant, tout simplement ! La scène avec le psychiatre de l’armée, son père le surprenant en train de jouer à Sissi et sa belle-mère, l’archiduchesse Sophie, le pensionnat et mille autres moments. Et par cet humour, ce film m’a vraiment touchée. C’est vrai qu’il fait parfois rire avec la gorge nouée.

On oscille toujours entre des extrêmes, le film est rempli de contrastes : la virilité de la mère et le maniérisme du fils, les rêves d’amour et la trivialité du sexe, le féminin et le masculin, le rire et les larmes, le théâtre et le cinéma… A côté de scènes hilarantes, d’autres – aidées par la musique – nous transportent comme celle avec le cheval dans le manège.

les garçons et guillaume

Les émotions humaines sont riches et Guillaume parvient aussi bien à nous le montrer et nous le faire ressentir. La candeur et le talent se sont rencontrés et en ressort l’un des meilleurs films que j’ai pu voir cette année. Je suis ressortie charmée, charmée par Guillaume et par toutes les femmes, par « les filles et Guillaume ».

Courrez voir ce film ! (Et moi, je me demande si je ne vais pas courir le revoir…)

Les garçons et Guillaume, à table ! (pièce de théâtre)

La vie d’Adèle – Chapitres 1 et 2, de Abdellatif Kechiche, avec Léa Seydoux et Adèle Exarchopoulos (France, 2013)

La vie d'AdèleComme tout le monde le sait suite à la remise de la Palme d’or au réalisateur et aux deux actrices et suite aux polémiques sans fin de cet été, La vie d’Adèle, c’est l’histoire d’amour passionnée entre deux femmes, Adèle et Emma.

Il faut savoir que le film est librement adapté de la merveilleuse bande dessinée Le Bleu est une couleur chaude de Julie Maroh. J’avais donc quelques appréhensions. J’ai parfois pensé « tiens, il manque telle scène, c’est dommage » ; parfois, des phrases, des images de la BD (par exemple, la tête hallucinée de Clémentine après son premier baiser avec une fille), les pensées que confiait Clémentine (devenue Adèle) venaient flotter dans mon esprit. Mais effectivement, c’est une libre adaptation. Il ne faut pas aller le voir en voulant trouver toute la BD au risque d’être déçu (par exemple, la fin en a été changée, ce qui, sur le coup, m’a un peu déçue jusqu’au moment où j’ai séparé le film de la BD), mais en allant retrouver l’esprit, l’idée du Bleu.

(Au fait, le « Chapitres 1 et 2 » est là car Kechiche ne se ferme aucune porte pour donner une suite à la vie d’Adèle (d’où la fin, ça aurait été potentiellement difficile en suivant le Bleu).)

Je craignais que le film ne se transforme en film militant ou en film pour lesbiennes, mais non, Kechiche a su garder l’esprit de la BD en faisant un film sur l’amour. Certes, il traite de l’homosexualité féminine, c’est une histoire entre lesbiennes, mais celle-ci est banalisée. J’espère que beaucoup de monde ira voir ce film et qu’ils comprendront que ce n’est pas une tare, que ce n’est pas une raison pour insulter quelqu’un, pour le taper ou pire. Apparemment, la première partie de ce souhait est en passe d’être réalisée car il paraît qu’il a fait un bon démarrage, mais la seconde relève sûrement du rêve.

Evacuons tout de suite ce qui ne m’a pas plu : les scènes de sexe. Comme je le craignais. Déjà – ce n’est pas que je sois particulièrement prude ou quoi –, je n’apprécie pas vraiment les longues scènes détaillées, donc là j’étais servie. Mais cette exposition de sexe, c’était froid. Je les ai trouvées fausses. Un peu un Kama Sutra lesbien avec inventaire des positions. Julie Maroh le disait mieux que moi : « En tant que lesbienne… il me semble clair que c’est ce qu’il manquait sur le plateau : des lesbiennes. (…) c’est ce que ça m’évoque : un étalage brutal et chirurgical, démonstratif de sexe dit lesbien, qui tourne au porn. » Alors peut-être que certains les trouveront magnifiques, fortes, etc., ce n’est pas mon cas, mais ce n’est pas non plus dramatique. La scène dure sept minutes (c’est ce que j’ai lu, je n’ai pas chronométré pendant que j’étais au cinéma) : sept minutes sur un film de trois heures, ce n’est quand même pas grand-chose. Ce serait un peu dommage de résumer le film à ça. Finalement, Kechiche fait un film très vrai sauf pendant ces scènes pendant que je pensais « merde, qu’est-ce que c’est que ça ? qu’est-ce que c’est que cette vision du sexe entre femmes ? qu’est-ce que les gens vont imaginer après ? » L’émotion que j’ai pu ressentir pendant tout le film a disparu pendant ces scènes. C’est décevant. De plus, lorsque je suis allée le revoir une seconde fois, il y a eu quelques ricanements dans la salle qui m’ont mise d’autant plus mal à l’aise.

Il y a quelque chose qui ne m’a pas dérangée car j’ai fait le lien grâce à la BD, mais que l’on m’a demandé en sortant du film : où est passée la famille d’Adèle ? Ils ont filmé cette scène où ses parents la rejettent, mais elle n’est pas dans le film.

Il y a des scènes assez dures, à la Kechiche, de scènes qui remuent un peu. Il a le don de me toucher sans en avoir l’air, c’est-à-dire qu’une scène qui ne paraît pas me toucher outre mesure sur le coup peut m’obséder ensuite pendant plusieurs jours ; généralement, je pense à ses films plusieurs jours après les avoir vu, comme si je les habitais et que je ne vivais plus vraiment dans la « vraie vie ». Il y a des scènes très vraies comme celle au lycée (où Adèle étudie Marivaux, comme les élèves de L’esquive) pendant laquelle Adèle est en butte aux préjugés (« T’es gouine (et en plus, Adèle ne sait pas encore vraiment où elle en est), je suis une fille, t’es venue dormir chez moi, tu veux me brouter ! ») ; outre le vocabulaire et le ton particulièrement insultants, c’est juste complètement idiot, même si ça se passe parfois comme ça.

Il y a des scènes drôles, des scènes tristes. Un film sur l’amour, de la naissance de celui-ci à la mort. Mort finalement, plutôt qu’au fait qu’Adèle ait couché avec un collègue,  due à une différence de milieu, malgré tous les efforts faits pour s’adapter et pour comprendre, entre Emma, l’artiste prônant la création, la liberté, et Adèle, plus terre-à-terre. Emma ne peut comprendre qu’Adèle soit heureuse et épanouie sans rien créer, sans être une écrivaine ou une artiste. Elles ne viennent pas du même milieu : les séquences chez leurs parents respectifs (où l’on sent une léger incrédulité des deux familles pour la petite amie de leur fille) et la fête qui rassemble tous les amis d’Emma. Le film parle des choix personnels, de la recherche de qui on est, des déchirements, des conséquences parfois désastreuses.

Les deux actrices sont incroyables. Je ne suis pas fan de Léa Seydoux (elle a d’ailleurs un certain talent pour m’agacer lorsque je la vois à la télé par exemple, ce qui est assez rare vu que je ne regarde pas la télé) et j’étais un peu sceptique car elle ne correspondait pas à l’idée que je me faisais d’Emma, mais son interprétation est superbe, elle est parfaite dans son rôle d’artiste, de lesbienne assumée, de femme libre.

Tout comme celle d’Adèle Exarchopoulos que je ne connaissais pas du tout. Adèle, c’est un personnage de Kechiche comme Rym ou Saartjie, donc elle est loin de la timide Clémentine du Bleu. Tant pis, elle est très juste. Elle est incroyablement naturelle ! Elle est montrée en gros plan, chaque millimètre de sa peau (ou presque) est filmé, elle n’est pas toujours mise en valeur (ce qui est assez agréable à force de voir toutes ces actrices « parfaites ») et on rentre peu à peu dans sa peau, dans son intimité.

Toutes les deux semblent à fleur de peau, elles semblent complètement dans le rôle. Kechiche arrive (c’est ce que je ressens en tout cas) à faire oublier que c’est un film en poussant ses actrices (on en a suffisamment entendu là-dessus) jusqu’au bout pour qu’elles cessent de jouer et qu’elles soient totalement le personnage. (Ce n’est pas clair, mais ce n’est pas grave.) Elles sont en parfait accord, elles sont naturelles. Elles sont géniales.

Ce film peut résonner avec la vie de tout le monde, ou en tout cas de beaucoup de personnes. Adèle et Emma me sont plus proches que Lydia (L’esquive), Rym (La Graine et le Mulet) ou Saartjie (Venus noire) car je n’ai jamais vécu ce que ces dernières ont vécu, car je ne connais pas le milieu dans lequel elles évoluent. La vie d’Adèle et d’Emma est beaucoup plus proche de la mienne et elle peut parler à tous ceux qui ont déjà connu une histoire comme la leur.

Les dialogues qui sont l’une des marques des films kechichiens rendent le film vrai, réaliste. C’est la vie sans fard.

Des critiques notent une certaine lenteur pendant ces trois heures. Je ne l’ai pas vue. Pour moi, le film passe en un éclair. C’est cru, puissant, c’est démesuré, c’est intense. C’est aussi intelligent, sensible, émouvant, subtile. C’est humain.

Ce qu’en disait Julie Maroh sur son blog le 27 mai 2013

Les autres films d’Abdellatif Kechiche :

Le Bleu et la Vie d'Adèle

Vénus noire, de Abdellatif Kechiche, avec Yahima Torres, André Jacobs, Olivier Gourmet (France, 2009)

Vénus noireLe pitch en une phrase : la vie de Saartjie Baartman au début du XIXe siècle, une jeune femme originaire de l’Afrique du Sud et surnommée la « Vénus hottentote ».

Le sujet le laisse présager, mais il faut quand même le dire : le film est dur. L’existence menée – subie plutôt – dans les « foires aux monstres » par une jeune femme qui a été exposée, exhibée, étudiée, disséquée même, à cause de son physique (elle avait une poitrine, des fesses et des organes sexuels très développés, ce qui était intriguant, choquant pour les Européens), cela ne présage pas des parties de rigolades. (Comme dirait le criminologue du RHPS, « it was clear that this was to be no picnic »).

Et décidemment, Kechiche est le réalisateur des personnages féminins, des actrices fortes. Yahima Torres est impressionnante de crédibilité. Comment dire ? Parfois, on se dit « elle est Saartjie », ce n’est plus une actrice. L’association est très forte.

J’ai trouvé ce film très perturbant. D’abord, on ne sait pas trop quelle est la position de Saartjie Baartman au début du film: est-elle complice ou victime ? Ça devient beaucoup plus dur par la suite où on l’oblige à se prostituer, à se laisser toucher, à « animer » des soirées libertines, etc. On en vient rapidement à se demander : jusqu’où va-t-on aller ? Je n’explique pas très bien, mais ces longues scènes de tortures physiques et morales sont épuisantes psychologiquement.

Ce qui m’a troublé également – et de manière très désagréable –, c’est la sensation d’être placée dans une position de voyeur. Kechiche montre tout dans ce film. Tout montrer n’est pas forcément le plus efficace. En ce qui me concerne, j’aurais pu être beaucoup plus dérangée par le film avec des sous-entendus, les sous-entendus me marquent bien davantage, comme la pression latente de La Graine et le Mulet. Ce qui accroit ce voyeurisme, ce sont les regards. Il filme beaucoup les regards. Les regards curieux, avides, méprisants, choqués, luisants de désir, dégoutés, attristés…

Ce film est à la fois horrible, magnifiquement filmé, puissant. Un choc.

Les autres films d’Abdellatif Kechiche :