Urgence, de Pépito Matéo (2003)

Urgence (couverture)C’est l’histoire de quelqu’un d’ordinaire – vous, moi, n’importe qui – qui se rend aux urgences. Il a un panaris et veut se faire soigner très vite. Mais voilà, dans la salle, il y a déjà du monde. Contraint et forcé, il doit prendre son mal en patience. Et il fait ce que tout le monde fait : il observe les autres, il spécule sur leur vie, leur passé, la raison de leur présence.

« Quand on est aux urgences comme vous, on guette un peu comment ça se passe. On n’a pas envie de s’installer, on n’est de passage, on n’est pas de ce monde-là qui ne va pas bien… »

Né d’expériences personnelles et de discussions avec les infirmières, Urgence présente une micro société où diverses histoires de vie se côtoient, s’épient ou s’ignorent. Les urgences, comme le dit la Cerise, l’un des personnages, « c’est comme au bistrot et on voit défiler le monde ». Les urgences sont remplis d’histoires folles et de gens en quête de compagnie, de chaleur « parce qu’ils ont le mal des mots et d’autres qui sont aux urgences de la parole ».
Pépito Matéo sait observer et il s’interroge sur ce qu’il voit. On écoute les autres et on expérimente la colère, la pitié, la peur, la rêverie… Ce sont ces rencontres et ces émotions qui permettent au « héros » (qui est lui, qui est vous) d’accomplir son voyage initiatique.

Comme toujours avec Pepito Matéo, la langue est jubilatoire. Jeux de mots, doubles sens et digressions nous emmènent sans cesse plus loin dans la narration. On croise des souffrances, on rencontre la Mort, mais malgré tout, on rit parfois et, à la fin, Pépito Matéo nous donne l’espoir que le monde n’est pas toujours égoïste et que chacun, à la fin, peut s’intéresser au sort des autres : « Vous, ce soir, vous étiez venu pour soigner un panaris de toute urgence et finalement, c’est peut-être le panaris qui vous a soigné d’une maladie plus grave : l’indifférence ! »

Mais Pépito Matéo, il n’est pas fait pour être lu, il est fait pour être écouté ! Donc M. Matéo, s’il vous plaît, enregistrez vos histoires !

« Si tu prends le chemin de j’m’en fous, tu risques d’arriver au village de si j’avais su ! »

 « Qu’est-ce qui vous arrive ? Vous à qui on a toujours dit : « Dans la vie, il faut y arriver ! », vous commencez à douter… Arriver où ? Et arriver à quoi ? Et comment sait-on qu’on y est arrivé ? Et si on n’y arrive pas, ça peut toujours arriver ! »

Urgence, Pépito Matéo ; suivi d’un entretien avec Nathaël Moreau. Paradox, coll. Conteur en scène, 2003. 111 pages.

Sur un ton moins loufoque, je ne peux que vous conseiller Alors voilà : les 1001 vies des Urgences, de Baptiste Beaulieu.

Couleur de peau : miel, de Jung et Laurent Boileau (France – Belgique, 2012)

Couleur de peau mielJung fait partie de 200 000 enfants coréens éparpillés dans le monde entier suite à la guerre de Corée. Né en 1965 à Séoul, il est adopté en 1971 par une famille belge. De sa vie, il en a tiré un roman graphique, Couleur de peau : miel, qui est maintenant adapté au cinéma. Il y raconte l’orphelinat, puis le déracinement et l’adoption, la vie de famille, le passage difficile de l’adolescence…

Ce film d’animation, vue en avant-première suivie d’une rencontre avec Laurent Boileau, a été un coup de cœur. Une très heureuse découverte.

Couleur de peau : miel met en images différents thèmes et se questionne ainsi sur l’identité, sur l’intégration lorsque l’on se sent différent de sa famille ou encore l’amour de la mère et la famille. Tout cela avec poésie et émotion. Et humour parfois également. Personnellement, je ne savais pas que tant d’enfants coréens avaient été adoptés de par le monde et cette histoire m’a touchée. J’ai beaucoup apprécié le fait que les défauts du – des – personnage sont montrés et non cachés pour le rendre plus touchant, plus parfait ou je ne sais quoi. Un vent de vérité souffle sur ce film.

La forme de ce film d’animation est, elle aussi, stupéfiante. En effet, aux images dessinées se mêlent des séquences réelles : par exemple, des images stupéfiantes de dizaines (des centaines ?) enfants coréens dans un avion tirées des archives historiques ou des tranches de vie de famille sorties des tiroirs des parents adoptifs de Jung. Les images historiques donnent davantage de poids au film, elles nous disent : voilà, ce n’est pas qu’un dessin, c’est vrai, c’était vraiment comme ça, en voici la preuve. Tout cela montre et raconte le passé, or le présent s’invite également dans le film avec des images de Jung, Jung adulte, retournant pour la première fois dans son pays d’origine. Ces séquences sont, à mon goût, les moins réussies et sont parfois un peu lentes, mais elles ne gâchent en rien l’intérêt du film.

Couleur de peau : miel est donc un magnifique film autobiographique qui ne devrait pas rester confidentiel.

A suivre : une note sur le roman graphique dès que je me le serai procuré ! (ce qui, me connaissant, peut mettre des mois…)