Notre-Dame de Paris, de Victor Hugo (1831)

Notre Dame de ParisAprès Les Misérables l’an passé, je me suis plongée dans Notre-Dame de Paris. Et pas toute seule, cette fois, puisque j’ai eu la meilleure des copilotes, Alberte Bly, qui a rendu ma relecture (car je l’avais lu il y a dix ans, mais ma mémoire étant ce qu’elle est, un rafraîchissement ne pouvait pas faire de mal) encore plus passionnante grâce à nos échanges réguliers. C’était vraiment trop bien de débriefer ainsi, chapitre après chapitre !

> La chronique d’Alberte
est juste ici ! <

Je ne prétends pas écrire une critique détaillée de cet incroyable bouquin ; juste, si possible, donner envie à quelques personnes de le découvrir. Pour mettre les choses au clair, je considère qu’il n’est absolument pas dans mes cordes de parler d’un tel roman !

Notre-Dame de Paris, c’est une histoire que tout le monde connaît un peu. Grâce au livre, grâce à la comédie musicale, grâce au dessin animé (même si, d’après Alberte, la fidélité à l’œuvre d’Hugo n’est pas franchement au rendez-vous (en ce qui me concerne, je ne l’ai – encore – jamais vu)). C’est l’histoire d’Esmeralda, cette jeune gitane autour de qui gravitent Quasimodo, Frollo, Phoebus et Gringoire. C’est l’histoire de la cathédrale et de la ville grouillante qui l’entoure. C’est l’histoire de quelques jours de 1482. C’est une histoire de passions, de trahisons, de quiproquos.

Tout d’abord, pour moi, ça a été une redécouverte des personnages. Je me souvenais de leur destin respectif, mais pas des détails les concernant. Et Hugo nous les présente, nous les fait vivre d’une manière si fluide, si passionnée, si visuelle que chaque rencontre est un régal.
Avant de commencer, j’étais sûre que mon personnage favori serait Quasimodo, ce sonneur de cloches difforme, rejeté de tous, incompris et mal-aimé. Que nenni. Comme prévu, j’ai ressenti beaucoup de compassion et de tendresse pour lu ; j’ai savouré toutes ses apparitions et j’ai été fascinée par ce chapitre où Hugo raconte son rapport intime avec Notre-Dame, son osmose avec cette carapace de pierre dont il connaît le moindre recoin, l’harmonie entre la pierre et la chair ; mais ce n’est pas celui qui m’a le plus passionné.
Car ce titre est remporté haut la main par Claude Frollo, l’archidiacre. Diantre, si je m’étais attendue à un personnage pareil ! Ce n’est pas un personnage que l’on aime purement et simplement ; Frollo est bien plus complexe que ça. Là où un personnage comme Quasimodo ne suscite qu’un sentiment positif constant, Frollo nous fait faire les montagnes russes. Hugo nous offre un protagoniste que l’on peut à la fois aimer et détester. C’est un érudit éminemment cultivé, tiré de ses chères études par la vie qui l’a laissé seul responsable de son jeune frère ; un savant versé dans tous les arts, de la médecine à l’alchimie, qui n’est pas aussi aveuglément croyant que je le pensais ; un personnage austère d’apparence mais qui adore son diable de frère et qui, seul, s’émeut du garçonnet contrefait abandonné devant sa cathédrale qu’il protégera du bûcher, qu’il soignera avant de lui donner un travail au cœur de l’édifice adoré ; un homme qui, ayant toujours renié la chair, vit l’apparition d’Esmeralda comme une révélation et une torture. Cela ne l’empêche pas d’être un terrible anti-héros : il est parfois détestable, manipulateur et cruel, son discours à base de « si elle n’est pas à moi, elle ne sera à personne » ne peut être excusé et, avouons-le, il devient complètement timbré tandis que le récit progresse. Cependant, toutes ses facettes font tout simplement de lui le personnage le plus fouillé, le plus intéressant du roman, en bref, celui qui se détache du lot.
J’ai eu un second favori en la personne de Gringoire. Personnage secondaire, personnage « à-côté », il ne fait pas grand-chose, n’a que peu d’influence sur le récit et paraît être quelque peu notre alter ego de papier. Par sa pleutrerie, sa tempérance au milieu de tous ces personnages extrêmes, il m’a semblé plus proche de moi que les autres protagonistes. Je l’ai aussi adoré pour son côté décalé, pour ses réflexions détachées, pour sa facette « artiste torturé » que l’auteur semple caricaturer à plaisir, pour ses amours versatiles – d’Esmeralda à Djali, la petite chèvre de l’Égyptienne, en passant par les pierres sculptées –. Personnage unique car personnage terriblement drôle, Gringoire fut une très sympathique rencontre.
En revanche, pas de surprise : j’ai haï Phoebus sans discontinuer. Fat, lâche, vulgaire, coureur de jupons, narcissique… imbuvable.
Quant à Esmeralda, tout tourne autour d’elle, mais elle m’a laissée plutôt indifférente. Au mieux, je me suis interrogée sur sa naïveté. Je suis restée assez perplexe face à son côté « jeune ingénue » qui, même si elle n’a que seize ans et n’a jamais connu l’amour, tranche un peu trop avec le fait de vivre à la Cour des Miracles et de côtoyer toutes sortes de brigands. Une exception : l’histoire de sa naissance qui m’a émerveillée, enthousiasmée, questionnée pendant une bonne partie du récit.

En dépit des descriptions, on est loin du gros pavé rébarbatif complètement illisible (tout le monde ne partagera sans doute pas mon opinion cependant). Bon, je ne vais pas vous mentir, le Livre troisième et spécialement le chapitre II, « Paris à vol d’oiseau », m’ont fait piquer du nez une ou deux fois (il faut dire que quand tu es plongée dans l’intrigue et que tu viens de passer un moment génial dans la Cour des Miracles, ça surprend un tantinet). Le chapitre I était encore relativement intéressant, notamment à lire en 2020 car on y retrouve les débats qui ont succédé à l’incendie de Notre-Dame : comment rénover ? faire comme avant, opter pour le moderne, qu’est-ce qui défigure l’édifice, qu’est-ce qui signe simplement une évolution logique de l’architecture, etc. En revanche, la musique n’a pas été la même pour le second chapitre : cette énumération de rues, ponts, portes, monuments, enceintes de la capitale a été longue. Très longue. Trop longue. Mais après les égouts de Paris vus sous tous les angles des Misérables, j’étais rodée et ce n’est pas ce chapitre qui m’a fait déchanter. Surtout qu’il a été le seul à m’ennuyer autant. Après ça, les digressions ou les citations latines à tire-larigot, c’était du pipi de chat ; ses autres exposés (comme « Ceci tuera cela ») m’ont davantage permis de renouer avec le Hugo érudit, passionné et par là passionnant.

Et surtout, autour de ce passage quelque peu laborieux, ce n’était que pur bonheur.

J’ai été tenue en haleine du début à la fin. C’est une histoire de passions extrêmes, que ce soit dans l’amour ou dans la haine, les deux n’étant d’ailleurs pas forcément indissociables. C’est une histoire de quiproquos. Ah, ces petits ratés qui donnent envie d’hurler, de rentrer dans le livre pour corriger les personnages ! Hugo a indubitablement ce talent qui rend l’histoire trépidante, haletante, qui attise la curiosité, une maîtrise incroyable du romanesque. Cette excitation à la découverte de la Chantefleurie ! Quel plaisir alors d’échanger des hypothèses avec une autre lectrice tout aussi enthousiaste.
C’est un récit terrible évidemment. La fin est déprimante au possible et le roman est ponctué d’épisodes poignants à serrer le cœur (encore une fois, Chantefleurie, comment ai-je pu t’oublier ?). La scène du couronnement du pape des fous est très forte également dans son genre avec toutes les émotions qu’elle suscite : la joie diffuse de Quasimodo, les rires de la foule, l’emprise de Frollo… Je ne suis que pure admiration face à ses scènes aux sentiments exacerbés qui rendent la lecture incroyablement puissante. C’est d’un déchirant tout simplement grandiose.
Et pourtant, Victor Hugo démontre encore une fois son humour. A travers le personnage de Gringoire dont j’ai déjà parlé, mais aussi au travers de ses adresses aux lecteur·rices ou grâce à de petites réflexions à l’acidité mordante. Dans le chapitre un peu ennuyeux évoqué ci-dessus, il se moque du Palais de la Bourse avec une ironie qui m’a laissée morte de rire.

Voilà ce que je trouve fascinant : l’alternance des genres et des atmosphères. Hugo nous fait passer d’un passage décalé à un autre profondément poignant – à tel point que cela pourrait paraître tire-larmes si ce n’était pas magistralement géré – à un chapitre quasiment pédagogique sur l’architecture avant que vienne s’intercaler une péripétie totalement ubuesque – à l’instar du dialogue de sourd qu’est le procès de Quasimodo. Et puis, il y a cette facette incontestablement tragique qui rappelle les funestes destinées des héros et héroïnes de la Grèce antique. Ainsi, la préface dit, au sujet du mot grec « ananké », fatalité, « C’est sur ce mot qu’on a fait ce livre. »
Résultat : à l’instar des Misérables, une œuvre marquante qui me touche et dont certains passages resteront gravés dans ma mémoire et dans mes tripes.

 Bref, c’était sombre, c’était drôle, c’était burlesque, c’était crispant, c’était horripilant, c’était barbant (une fois), c’était monstrueux, c’était palpitant. C’était dingue. C’était Victor Hugo, pourrait-on dire.

Juste un dernier mot sur mon édition, à savoir la version illustrée par Benjamin Lacombe pour la collection Métamorphose. Indubitablement sublime, j’ai beaucoup aimé les illustrations – même si elles auraient pu être plus nombreuses – qui, par leur noirceur, colle plutôt bien à l’ambiance du récit. Le rouge est la seule couleur qui dénote vraiment. La jupe d’Esmeralda, la crinière de Quasimodo, la cape de Phoebus font ainsi écho au sang et à la passion qui semblent guider ce récit vivant et ardent. Je regrette simplement l’échec de Lacombe à rendre la laideur de Quasimodo si appuyée par Hugo et si cruciale dans ses relations au monde. Il a beau le faire bossu, borgne, avec une dentition chaotique, son Quasimodo n’est pas aussi affreux qu’il le devrait.
(Je ne m’attarderai pas sur les fautes de frappe qui, d’autant plus dans un ouvrage soigné comme celui-ci, ont le don de m’agacer prodigieusement… Mais quand même… « une plaie allez large », « tout implement », sérieusement ? Grr.)

« Avec le temps, il s’était formé je ne sais quel lien intime qui unissait le sonneur à l’église. Séparé à jamais du monde par la double fatalité de sa naissance inconnue et de sa nature difforme, emprisonné dès l’enfance dans ce double cercle infranchissable, le pauvre malheureux s’était accoutumé à ne rien voir dans ce monde au-delà des religieuses murailles qui l’avaient recueilli à leur ombre. Notre-Dame avait été successivement pour lui, selon qu’il grandissait et se développait, l’œuf, le nid, la maison, la patrie, l’univers.
Et il est sûr qu’il y avait une sorte d’harmonie mystérieuse et préexistante entre cette créature et cet édifice. Lorsque, tout petit encore, il se traînait tortueusement et par soubresauts sous les ténèbres de ses voûtes, il semblait, avec sa face humaine et sa membrure bestiale, le reptile naturel de cette dalle humide et sombre sur laquelle l’ombre des chapiteaux romans projetait tant de formes bizarres. »

« L’écolier observait son frère avec surprise. Il ne savait pas, lui qui mettait son cœur en plein air, lui qui n’observait de loi au monde que la bonne loi de nature, lui qui laissait s’écouler ses passions par ses penchants, et chez qui le lac des grandes émotions était toujours à sec, tant il y pratiquait largement chaque matin de nouvelles rigoles, il ne savait pas avec quelle furie cette mer des passions humaines fermente et bouillonne lorsqu’on lui refuse toute issue, comme elle s’amasse, comme elle s’enfle, comme elle déborde, comme elle creuse le cœur, comme elle éclate en sanglots intérieurs et en sourdes convulsions, jusqu’à ce qu’elle ait déchiré ses digues et crevé son lit. L’enveloppe austère et glaciale de Claude Frollo, cette froide surface de vertu escarpée et inaccessible, avait toujours trompé Jehan. Le joyeux écolier n’avait jamais songé à ce qu’il y a de lave bouillante, furieuse et profonde sous le front de neige de l’Etna. »

« Alors les femmes riaient et pleuraient, la foule trépignait d’enthousiasme, car en ce moment-là Quasimodo avait vraiment sa beauté. Il était beau, lui, cet orphelin, cet enfant trouvé, ce rebut, il se sentait auguste et fort, il regardait en face cette société dont il était banni, et dans laquelle il intervenait si puissamment, cette justice humaine à laquelle il avait arraché sa proie, tous ces tigres forcés de mâcher à vide, ces sbires, ces juges, ces bourreaux, toute cette force du roi qu’il venait de briser, lui infime, avec la force de Dieu. »

Notre-Dame de Paris, Victor Hugo, illustré par Benjamin Lacombe. Editions Soleil, coll. Métamorphose, 2013 (1831 pour la première édition). 589 pages.

Elyon (tomes 1 à 3), de Patrick Carman (2005)

Avec Elyon, je me suis replongée dans une trilogie de mon adolescence. Des livres dont je n’avais absolument aucun souvenir. Par ailleurs, Livraddict m’a appris qu’il existait deux tomes supplémentaires dont je n’avais jamais eu connaissance et que je n’avais même jamais recherché la mention « trilogie » figurant sur les trois premiers volumes.

Alexa, 12 ans, se rend avec son père, comme tous les étés, à Bridewell, la principale cité de leur petit royaume. Sauf que, cette fois, elle est bien décidée à franchir les murailles qui les isolent de l’extérieur pour partir à l’aventure. Elle ne se doutait que cela l’amènerait à parler avec des animaux et surtout à prendre conscience qu’un terrible danger menace sa ville. Son destin vient de se mettre en marche.

Le premier tome, Le mystère des Monts Obscurs, peut se lire seul. Il y a un début et une fin bien propre et presque aucune question n’est laissée en suspens. Seuls les mystères entourant certains protagonistes – tels Thomas et Renny Warvold ou encore Elyon, le créateur de cette Terre – trouveront des réponses dans les deux volumes suivants.
Cette première lecture m’a été agréable. La Terre d’Elyon est un monde original, intrigant et onirique (quoique étonnement restreint en terme de géographie) sur lequel planent les reliquats d’une ancienne magie presque évaporée, oubliée. Ce récit recèle de très belles trouvailles, comme les Jocastes, ces pierres dont les gravures subtiles recèlent des motifs cachés ou ces récits poignants de famille (d’animaux mais cela importe peu) séparées par les murailles érigées par les humains. Bien qu’ayant démasqué « le méchant de l’histoire » bien avant Alexa, le jeu d’énigmes et d’enquête s’est révélé sympathique et plaisant à suivre.

Avec le second tome, La Vallée des Épines, mon enthousiasme a commencé à décroître. Un an après les événements du premier volume, les aventures d’Alexa continuent et celui qu’elle doit défaire est presque l’égal d’Elyon lui-même. Une histoire de toute évidence inspirée de la Chute, Elyon étant Dieu, Abaddon Lucifer et les Séraphins les anges déchus (Séraphins étant un terme désignant dans la Bible des créatures célestes dotées de trois paires d’ailes et présentes autour du trône de Dieu.
En premier lieu, j’ai trouvé ce tome très lent. C’est avant tout un voyage qui s’embrouille parfois dans des indications pas toujours claires et pendant lequel l’action se fait moins régulière. Ensuite, en dépit de cette lenteur, les nouveaux personnages traversent l’histoire sans susciter la moindre émotion puisque qu’ils restent méconnus et peu caractérisés.

Le troisième tome, La Dixième Cité, a tout d’abord souligné une étrange erreur qui me questionnait depuis le premier lorsque j’étudiais la carte de la Terre d’Elyon. Voici le passage en question :
« – Je connais l’existence de neuf cités sur la Terre d’Elyon.
(…)

– Neuf cités que j’ai vues de mes yeux, poursuivit Warvold.
Et il les énuméra, trop bas pour que j’entende ces noms familiers : Bridewell, Turlock, Lathbury, Lunenburg, Ainsworth, le Royaume de l’Ouest, Castalia et le Royaume du Nord.
– Il en est cependant une autre, reprit-il plus fort. Une autre dont je pensais que nul ne pouvait l’atteindre…
Il s’interrompit, se retint aux poutres tandis qu’une nouvelle vague cognait contre la coque.
– … La Dixième Cité, par-delà le Traître-Champ et les brumes éternelles, située en un lieu que personne n’a jamais découvert. »
Sauf que nous sommes bien d’accord qu’il n’énumère que huit cités (qui apparaissent sur la carte) : du coup, où est passée la neuvième ? Ou est-ce que l’auteur trouvait simplement que la Dixième Cité sonnait mieux que la Neuvième Cité ? Quoi qu’il en soit, c’est le genre de détail qui m’agace…

Ensuite, ce troisième opus a confirmé ce qui m’était déjà apparu dans le second : les personnages sont beaucoup trop lisses. Sujets à aucune évolution, ils représentent un caractère inébranlable tout au long de la trilogie. Les méchants sont atrocement caricaturaux : même le traître du premier tome, qui a tout de même connu l’héroïne depuis sa naissance, n’apparaît finalement que comme un homme cruel et violent sans la moindre nuance une fois dévoilée sa véritable identité. Dans les tomes 2 et 3, les apparitions de Victor Grindall, l’âme damnée d’Abaddon, sont risibles tant elles sont exagérées. Finalement, le seul personnage avec une psychologie un tant soit peu intéressante est Pervis Kotcher, le chef de la garde qui, malgré l’aversion mutuelle entre Alexa et lui, se révèlera d’une aide précieuse ; il possède un caractère plus complexe que les autres personnages. Bien entendu, tout cela est terminé dans le tome 2 puisque Pervis devient alors irrémédiablement « un gentil ».
Sans surprise, c’est la même chose du côté de l’histoire. On en devine la plupart des rebondissements, notamment grâce à des indices aussi discrets qu’un troupeau d’éléphants. Sans compter que tout semble trop facile puisqu’Elyon parle directement Alexa, la guidant dans sa quête et annihilant, pour le lecteur, le moindre sentiment de danger. Ses incertitudes apparaissent presque factices car elle ne semble finalement prendre aucune décision, se laissant guider par les autres et son ami omniscient. De plus, le discours « Elyon nous aime et veille sur nous, je ressentis alors tout l’amour qu’Elyon avait pour moi, etc. » était un peu exagéré pour moi, avec une connotation religieuse trop marquée.

Je ne vais pas faire que critiquer cependant. Côté personnages, la relation entre Alexa et Murphy, un écureuil surexcité, s’est révélé plutôt touchante dans la manière dont ces deux-là se réconfortent et s’encouragent mutuellement.
C’est aussi une histoire sympathique sur le fait de grandir, la vie qui se complique, les jeux qui n’en sont plus, les pertes qui ponctuent le chemin de l’existence, les regrets lorsqu’on regarde en arrière et l’impossibilité de redonner vie au passé. Si je pense être devenue trop âgée – et surtout trop exigeante – pour ces livres, je vois ce qui m’avait plu à l’époque et ce qui peut encore plaire à des adolescent·es.

Je sais que ma chronique n’est guère positive, cependant je pense que cela est dû à mon âge et à des romans trop enfantins à mon goût. Le premier tome fut une bonne redécouverte (et puis une héroïne qui adore lire et passe des heures à la bibliothèque, c’est toujours agréable !), mais la suite un peu trop monotone m’a moins emballée. J’aurais aimé quelque chose de plus creusé, avec des développements et dénouements moins évidents.

« Murphy en profita pour grimper encore plus haut et s’installer sur l’épaule de Yipes. Murphy sur Yipes, Yipes sur Armon : cela ressemblait à un numéro de cirque qui soulignait la nature unique de notre groupe. A présent, nos faiblesses me semblaient moins apparentes, et ce qui faisait notre force, plus évident. Les événements de la journée avaient prouvé que chacun de nous était doté de capacités que les autres n’avaient pas. Comme si nous étions les parties d’un même corps, nous dépendions les uns des autres et fonctionnions au mieux lorsque nous agissions ensemble. Ne sachant quelle partie de ce corps j’étais, je me sentis soudain inadaptée. »

Elyon (tomes 1 à 3), Patrick Carman. Bayard jeunesse.
– Tome 1, Le mystère des Monts Obscurs, 2006 (2005 pour l’édition originale), 327 pages ;
– Tome 2, La Vallée des Épines, 2007 (2005 pour l’édition originale), 279 pages ;
– Tome 3, La Dixième Cité, 2008 (2005 pour l’édition originale), 327 pages.

La sublime communauté, tome 1, Les Affamés, d’Emmanuelle Han (2017)

La sublime communauté T1 (couverture)La fin du monde est proche, la Terre est dévastée. Un seul espoir : des Portes qui s’ouvrent sur différents continents. Elles donnent accès vers Six Mondes dont on ne sait rien, mais pour les humains terrifiés, la promesse d’une vie meilleure est plus forte que la peur. Cependant, quelques personnes doutent de ces terres promises. Parmi eux, Ekian, Tupà et Ashoka. Ils sont des Transplantés qui ont grandi bien loin de leur pays natal. Ils ne le savent pas, mais leurs destins sont liés.

Sur cette Terre, la nature s’essouffle et la nourriture vient à manquer. Les humains rêvent d’un autre monde avec de la nourriture pour tous et une nature préservée. Pour moi, cela fait écho à une situation très actuelle, à toutes celles et ceux qui ferment les yeux sur le sort de la Terre, qui se disent « de toute façon, je ne serai plus là quand la situation sera totalement dramatique » ou qui semblent penser que les ressources sont illimitées. Bref, celles et ceux qui se voilent la face et nient la réalité au lieu de prendre conscience que l’on va droit dans le mur, voire de vraiment prendre les choses en main pour tenter de faire bouger les choses, de sauver ce qu’il reste à sauver.

Ce premier tome est dense et prend le temps de présenter ses trois jeunes personnages. On les suit dans leurs réflexions, leurs découvertes et leurs prises de conscience qui leur permettra dans les tomes suivants de réaliser leur destinée. Les Portes et les Affamés font leur véritable apparition que tardivement dans le roman, permettant à l’univers de se mettre tranquillement en place.
Cependant, il intrigue aussi en laissant en suspens de nombreuses questions : qui sont ces Guetteurs qui semblent avoir toutes les cartes en main ? Où mènent réellement les Portes ? Qu’est-ce que cette Sublime Communauté ? Quel est le destin des trois héros ? Quant aux Affamés, hordes d’êtres plus ou moins délabrés, autrefois humains, aujourd’hui plus proches du zombie, ils fascinent et révulsent en même temps. Comment en sont-ils arrivés là ?

Emmanuelle Han nous transporte en Amérique du Sud, dans le désert africain et à Varanasi en Inde. On sort des pays/continents souvent visités (Europe et Amérique du Nord) pour se projeter dans des cadres plus atypiques : l’humidité de la forêt amazonienne, les dunes de sable brûlantes le jour et glaciales la nuit, les rituels dans la ville des morts au bord du Gange… Même si nous sommes dans une dystopie avec des codes et des éléments récurrents, la découverte des cultures amazonienne, touareg et indienne apporte une touche de fraîcheur et de nouveauté.
On doit également à ces lieux l’onirisme de certains passages. Chaque membre du trio passe par une sorte d’initiation. Pour Tupà, c’en est clairement une, suivant les rites des Indiens Guarani, tandis qu’Ekian et Ashoka en expérimentent une, la première en traversant le désert, le second en rencontrant une sorcière. Une touche de magie et de poésie qui saupoudre délicieusement le tout !

Certes, j’aurais sans doute apprécié un peu plus de réponses pour sortir du flou qui a nimbé une bonne partie de ma lecture, mais j’ai toutefois apprécié ce rythme plutôt lent où l’accent est davantage mis sur le cheminement intérieur des personnages que sur l’action. Mélangeant dystopie et légendes ancestrales, science-fiction et fantastique, ce premier tome minutieusement construit met en place un univers prometteur et intéressant.

« C’était peut-être ça, toute la vertu et la raison d’être de l’illusion. Permettre aux innocents de fermer les yeux sereinement. »

« Longtemps Ekian s’était souvenue du désert. De ce sanctuaire de sable, immensité jadis sous-marine, dont le magnétisme éclipsait encore parfois dans son imaginaire toute autre lumière, toute autre féerie ; de ce grand cirque volcanique, immergé dans les dunes, où chaque soir les montagnes de sable se couchaient sur les montagnes de granit. Par les nuits de pleine lune, leurs deux ombres sacrées s’unissaient en silence pour n’en plus former qu’une – alors le monde était en paix. »

La sublime communauté, tome 1, Les Affamés, Emmanuelle Han. Actes Sud Junior, 2017. 373 pages.

Les âmes croisées, de Pierre Bottero (2010, roman posthume)

Les âmes croisées (couverture)J’ai parlé il y a peu de temps de la trilogie L’Autre du même auteur, j’ai ensuite enchaîné avec ce livre que je n’avais jamais lu non plus : Les âmes croisées. Jamais lu parce que, étant paru à titre posthume, la suite restera à jamais inconnue et je n’avais pas envie de connaître une trop intense frustration. Finalement, cinq ans plus tard, l’opportunité se représentant, je me suis décidée et, je vous le dis tout de suite, je suis frustrée !

Mais reprenons.

Les âmes croisées, c’est l’histoire de Nawel Hélianthas, une jeune adolescente très privilégiée, une Perle, qui vit dans la cité d’AnkNor. Comme tous les autres Aspirants, elle doit demander une Robe, une caste : Mage, Gouvernante, Historienne, Prêtre… Ou Armure. Prenant peu à peu conscience des conséquences que peuvent avoir ses choix, elle décide de tracer son propre chemin – et non celui que l’on attend d’elle – à travers le monde.

Nawel est très surprenante car, au début, elle ne ressemble pas aux autres héros/héroïnes de Pierre Bottero. Autant Ewilan, Salim, Ellana, Natan ou Shaé sont sympathiques (bien que Shaé soit quelque peu sauvage et parfois distante), autant Nawel est d’une suffisance et d’une arrogance insupportable. Elle se moque des Cendres – qui sont les pauvres, exploités par les Perles, riches et puissants – ou de Ol Hil’Junil, le fou du roi, évoque l’autre monde d’où il vient, elle vit dans son univers et peine à accepter des critiques sur sa ville. Cela s’explique certes par son éducation, par ses parents qui ont réglé sa vie avant même sa naissance, mais cela ne la rend pas vraiment agréable à côtoyer. Jusqu’à l’événement tragique qui lui ouvrira les yeux.
Là, elle évolue, prend en profondeur et en maturité. Et par conséquent, ressemblera davantage à Ewilan, Ellana ou Shaé. Comme elles trois, elle est décidément promise à un destin extraordinaire qui se marie avec ses capacités qui surpassent celles de ceux qui l’entoure. Par exemple, la synergie à 100% avec Venia, son Armure, m’a fait penser au cercle noir d’Ewilan. Duom explique après avoir testé Ewilan que « c’est impossible (…), cette figure n’existe que dans les livres. » et Lounia dit à Nawel : « Je n’ai jamais entendu parler d’une synergie supérieure à 83%. »

Parmi les personnages qui entourent Nawel, j’ai simplement deux remarques à faire. Tout d’abord, la description d’Anthor Pher m’a fait sourire tant j’ai eu l’impression de retrouver Edwin.

« D’autant qu’Anthor était un petit homme sec et musclé, le cheveu ras, les traits burinés par le soleil et les intempéries, qui passait facilement inaperçu.
Du moins tant qu’on ne l’avait pas vu bouger.
Dès qu’il se mettait en mouvement, il dégageait en effet une stupéfiante impression d’énergie contrôlée, de calme efficacité et de dangereux sang-froid qui inspirait le respect et incitait à la prudence. »

C’est Edwin, non ? En plus, tous deux ont le titre de maître d’armes.

Et deuxièmement, je suis très contente de Philla. Effacée, timide, elle semble assez transparente – Nawel le dit elle-même, vive l’amitié… – et son avenir ne paraît glorieux. Toutefois, elle va faire mentir Nawel car, une fois la Robe d’Historienne revêtue, Philla s’épanouit, prend confiance dans ses capacités et on lui découvre de  nombreuses qualités. Son avenir, avenir qu’elle prend fermement en main, semble finalement s’annoncer heureux.

Comme lors de ma lecture de L’Autre, ce qui m’a particulièrement plu, c’est de chercher les petits (ou gros) indices reliant le monde de Nawel à Gwendalavir ou à la Fausse Arcadie.
Tout d’abord, Ol Hil’Junil. Avec un nom pareil, si typiquement alavirien, impossible de passer à côté. Outre le fait qu’« il n’était pas jurilan, nul ne savait d’où il venait », Nawel a un jour avec lui une conversation très éclairante pour nous et très absconse pour elle :

« – Je dois te quitter, demoiselle. J’ai rendez-vous avec la Dame.
– Toi, un rendez-vous ?
– Un rendez-vous imaginaire, il va sans dire.
– Je croyais que le chemin des rêves conduisait à une impasse.
– Ne confonds pas le rêve et l’Imagination. Si le premier vient à toi de son propre chef, c’est volontairement que tu décides d’arpenter la deuxième. Cela peut s’avérer périlleux, j’en ai fait l’amère expérience, mais les possibles sont trop nombreux pour que tous débouchent sur des impasses. »

Or, si vous avez lu Les mondes d’Ewilan, vous vous rappellerez peut-être qu’un condisciple d’Ewilan, de Liven et des autres s’appelait… Ol Hil’Junil.

Robes, Familles… Dans mon esprit, tout cela fait écho. Me semble lié. De plus, les Guérisseurs évoquent indéniablement les rêveurs alaviriens.
On retrouve également des Ims, des Lycanthropes, des Helbrumes, etc., ce qui laisse à penser que la porte de la cité des Anciens découverte par Nawel ouvre sur le charmant monde de la Fausse Arcadie.
Quant aux Glauques à la peau mate et peinte, ne seraient-ils pas les Faëls ?
Et à la fin – et j’arrêterai là – Nawel voit trois adolescents qui ont beaucoup de points communs, dans leur physique, avant Eryn et Elio (L’Autre) ainsi que Destan, fils d’Edwin et d’Ellana (Le Pacte des Marchombres). La rencontre de tout ce petit monde aurait été tellement excitante… Voilà pourquoi je suis et je resterai définitivement frustrée.

Je suis également très curieuse aux sujets des Armures qui, plus que des objets magiques, me semblent provenir d’une technologie très avancée. Venia explique à une Nawel ahurie qu’elle est « constituée d’un alliage de métal protéiforme géré par des puces de troisième générations sur base nanotechnologique. » A tes souhaits. Cette matière aurait-elle été importée d’un autre monde parallèle aux connaissances bien plus avancées que les nôtres ?

Ce tome est peut-être parfois un peu plus grave que les autres, mais en tout cas, je l’ai lu avec émotion et regret. Comme dans les autres livres de Pierre Bottero, on voyage, on passe d’une aventure à une autre, on ressent mille émotions… On rêve. Tout simplement. La poésie que ces histoires contiennent me fait vibrer, m’entraîne, page après page. Il est tout bonnement impossible de les lâcher.

(Je m’excuse pour ces « critiques » de L’Autre et de ce livre, Les âmes croisées, qui n’en sont pas vraiment. Je voulais seulement faire partager mon enthousiasme, plus que d’en faire une analyse critique. Je ne pense pas pouvoir être assez objective sur des livres, des univers qui me bercent depuis des années. Ce serait la même chose – en pire, peut-être – pour Harry Potter.)

« Et que lui importait une Cendre alors que ses chances de devenir une Robe Mage étaient compromises ? Que lui importait une Cendre alors qu’un effroyable mal de tête, conséquence d’une nuit entière passée sans dormir, broyait ses tempes ?
Que lui importait une Cendre ? Tout simplement. »

« Dire.
Dire ce qu’on meurt d’envie de dire.
Dire ce qu’on a besoin de dire. Besoin vital. Terrifiant.
Dire ce qu’on ignore avoir envie ou besoin de dire.
Dire pour comprendre, nettoyer, guérir, avancer.
Mais est-ce que dire suffit ? »

« « La vie est un chemin qui se parcourt dans un seul sens », m’a dit Sylia la seule fois où nous nous sommes disputés. La reprendre à zéro est impossible. On peut choisir sa destination, réfléchir quand on arrive à une intersection, ralentir, accélérer, décider de ne plus refaire les mêmes erreurs, on ne revient jamais en arrière. »

« Tu te dessines un avenir ? Belle image. Et il est de quelle couleur, ton avenir ?
– La couleur de l’aventure mélangée à celle de la découverte, sur un fond d’amitiés et de voyages. »

Les âmes croisées, Pierre Bottero. Rageot, 2010. 432 pages.

Miniaturiste, de Jessie Burton (2015)

Miniaturiste (couverture)En 1686, Petronella, dite Nella, Oortman, jeune mariée de 18 ans, quitte sa campagne hollandaise pour vivre à Amsterdam dans la maison de son époux. L’accueil est déroutant : une belle-sœur froide et puritaine, une servante impertinente, un domestique noir et surtout un mari qui fuit sa couche. Celui-ci lui offre pour se distraire une réplique miniature de leur demeure. Nella contacte une mystérieuse miniaturiste pour la meubler. Au fil des envois, les secrets de la maison des Brandt se dévoilent peu à peu et la vie de chaque protagoniste en est affectée.

A peine deux jours pour dévorer ce roman dans lequel s’entremêlent histoire et magie, à la fois fresque et enquête !

J’ai été intéressée par la vie quotidienne des Hollandais et cette ville très commerciale avant d’être séduite par l’atmosphère oppressante et pleine de secrets qui se dégage de ce livre, ces non-dits et ces rancœurs qui conduisent au pire. J’ai aimé, comme Nella, me lier peu à peu avec Cornelia, avec Otto, avec Johannes et même avec Marin, les voir s’ouvrir, cesser (un petit peu) de se regarder avec méfiance.

Si Otto, bras droit de Johannes, n’est pas un personnage conventionnel (les hommes de couleur n’étaient pas légion dans la Hollande du XVIIe siècle), si Johannes m’a touché par sa fragilité dissimulée, par son destin contre lequel il est impuissant, si j’ai été révoltée par l’intolérance qui le touchera, ce sont avec les personnages de femmes que je me suis sentie proche.

Toutes, à leur manière, se débattent avec leur destin, avec leur époque. Elles veulent être libres, indépendantes dans une époque qui ne leur en donne pas forcément le droit « même si les femmes d’Amsterdam jouissent d’une liberté que ne connaissent ni les Françaises ni les Anglaises. » Toutes sont attachantes.

Cornelia, orpheline recueillie par les Brandt, est certes parfois d’une familiarité confondante, mais elle est totalement dévouée à cette famille dans laquelle elle a trouvé sa place et sera d’un grand soutien à Nella. Jamais mariée, sans enfant, Marin dirige la maison en l’absence (fréquente de son frère), se mêle des affaires de son frère, lui demande des explications, se plonge dans les livres de compte, le pousse à vendre. Nella, héroine perdue et délaissée, espérait trouver dans son mariage une échappatoire aux horizons bouchés de la campagne et de la vie de fermière et connaître une vraie vie de femme. Lorsque cette union se révèle factice, elle tente de comprendre son histoire, son rôle dans cette maisonnée à travers les objets et les poupées de la miniaturiste.

La miniaturiste est un personnage véritablement fascinant. Une femme qui exerce un travail d’artisan. Une femme introuvable qui se dérobe à chaque fois. Invisible et omniprésente, elle s’introduit – à travers ses créations – dans les maisons amstellodamoises et bouleverse la vie des maîtresses de maison.

Sur une période très courte – seulement quatre mois –, les vies trop compartimentées des membres de cette étrange maisonnée se dévoilent peu à peu aux yeux déroutés de Nella ainsi qu’aux nôtres dans une Amsterdam divisée entre Dieu et l’argent. Un récit riche en détails et très bien ficelé qui trace de très beaux portraits, celui d’une femme et d’une ville. Vengeance, rumeurs, drames : quel espoir au milieu de tout cela ?

Maison miniature Petronella Oortman

Maison miniature de Petronella Oortman, conservée au Rijksmuseum, Amsterdam

« En échange de leurs lettres, la miniaturiste leur a donné la force de croire en elles-mêmes. Elles ont le pouvoir de déterminer leur existence et peuvent choisir de l’échanger, de le conserver ou d’y renoncer. »

« La pitié, contrairement à la haine, peut-être enfermée et mise de côté. »

Miniaturiste, Jessie Burton. Gallimard, coll. Du monde entier, 2015 (2014 pour l’édition originale). Traduit de l’anglais (Grande-Bretagne) par Dominique Letellier. 504 pages.