La constellation du chien, de Peter Heller (2012)

La constellation du chien (couverture)Neuf ans ont passé depuis que des épidémies ont ravagé le monde, effaçant de la Terre la plupart des êtres humains et bon nombre d’espèces animales. Hig et Bangley, épaulés par Jasper le chien, survivent depuis tout ce temps. Plus de méchants, plus de gentils : il faut être prêt à tout pour survivre dans un monde brutal. Même lorsque l’on possède une âme poète, comme Hig. Surtout lorsque l’on a une âme de poète.

Vous aimez les univers post-apocalyptique ? Vous aimez le Nature Writing ? Vous aimez les deux, comme moi ? Alors La constellation du chien est fait pour vous. Je ne sais pas comment ce roman est arrivé dans ma PAL et, quand je l’en ai tiré, je ne savais pas de quoi il parlait : j’ai juste lu « Quelque part dans le Colorado, neuf ans après la Fin de Toute Chose, dans le sillage du désastre » et j’ai pensé : « tiens, ça me dit bien, ça ». Et voilà. Je suis partie.

Je me suis envolée avec Hig dans le ciel des États-Unis ravagé par la fin de l’humanité, hanté par quelques survivants prêts à tout pour vivre un jour de plus. Hig et Bangley font partie de ceux-là : planqués dans un petit aérodrome, ils défendent bec et ongle leur périmètre. Mais Hig n’est pas un tueur. Hig est un rêveur, un amoureux de la nature, un pêcheur, un homme qui aime prendre son temps, dormir contre son chien et observer les étoiles. J’avoue, j’ai beaucoup aimé Hig.

La constellation du chien ne ressemble pas à la plupart des romans post-apo. Il est davantage dans la contemplation que dans l’action. S’il fallait faire une comparaison, on le rapprocherait de McCarthy et de La route. Mais pourquoi comparer ? C’est un roman qui prend son temps, qui raconte la nature qui reprend ses droits, qui pleure sur les animaux disparus à jamais, qui parle de la vie quand le monde que l’on connaissait s’est évanoui dans le feu et la douleur. Un monologue sur les êtres humains, sur ce qui les réunit, sur les sentiments que l’on tait, sur ceux dont on ne prend conscience que lorsque vient la séparation.

On commence à lire, sans attentes particulières, on écoute Hig qui nous parle de son petit avion, de son chien à moitié sourd, de sa tristesse face à la disparition des truites, et puis, d’un coup, on se rend compte que l’on est happé par ce roman, qu’on a envie de savoir ce qu’il se passe ensuite. De suivre Hig dans son quotidien, pas toujours facile avec un camarade de galère tel que Bangley, puis dans ses aventures à la recherche de ses pairs. Je ne dirai rien du scénario, mais rassurez-vous si vous aviez peur de vous ennuyer, on a l’occasion de s’éloigner un peu des limites connues de l’aérodrome.

Contemplatif, mais jamais ennuyant. Littérature post-apo, mais qui se débarrasse de tous les poncifs du genre. Une narration hachée – comme peut l’être le discours qu’un être humain se tiendrait à lui-même ou le récit qu’il ou elle ferait de sa vie à un tiers –, des phrases courtes, coupées, des ellipses et des flash-backs : une plume originale. Des morts et de la poésie. De la cruauté et des zestes d’humanité. De l’optimisme là où l’on ne s’y attend pas. Un roman atypique, intelligent et percutant.

« Mon unique voisin. Qu’est-ce que je pouvais répondre à Bangley ? Il m’a sauvé la peau plus d’une fois. Sauver ma peau est son job. J’ai l’avion, je suis ses yeux, il a les fusils, il est les muscles. Il sait que je sais qu’il sait : il ne sait pas piloter, je n’ai pas assez de cran pour tuer. Dans toute autre circonstance il resterait sans doute plus qu’un de nous deux. Ou aucun. »

« Les règles d’avant ne tiennent plus Hig. Elles ont subi le même sort que le pivert. Disparues en même temps que les glaciers et le gouvernement. C’est une nouvelle ère. Nouvelle ère nouvelles règles. Pas de négociation. »

La constellation du chien, Peter Heller. Actes Sud, 2013 (2012 pour l’édition originale). Traduit de l’anglais (États-Unis) par Céline Leroy. 328 pages.

Challenge de l’imaginaire
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Faillir être flingué, de Céline Minard (2013)

Faillir être flinguéFaillir être flingué, c’est une quinzaine de personnages qui se croisent, qui se poursuivent, qui se battent, qui tombent amoureux, qui se tirent dessus, qui s’associent, qui se découvrent. On rencontre un voleur de chevaux, une contrebassiste, un éleveur de mouton, une tenancière de saloon, deux frères qui voyagent avec leurs bœufs, leur mère et le fils de l’un d’eux, une Chinoise, des Indiens, une guérisseuse, et bien d’autres personnages. Tout ce beau monde finit par se rassembler dans une ville qui pousse au milieu des plaines.

Nous sommes au début de la Conquête de l’Ouest, au beau milieu d’un Far-West encore peuplé par les multiples tribus indiennes, par les bisons et autres cowboys poussiéreux. Le chemin de fer n’est pas encore là et les échanges avec les Indiens ne sont pas que meurtriers : les hommes troquent et s’aident même s’ils se tuent parfois. Une terre où tout est à découvrir et où tous les rêves sont possibles. Il faut créer les échoppes, les commerces ; échanger, trafiquer, voyager pour s’approvisionner. C’est la fondation d’un pays, une histoire devenue mythe qui fait rêver les écrivains, les réalisateurs et le public.

J’ai entendu dire que l’on se perdait quelques fois parmi tous les personnages. Oui, éventuellement, quand on ne les a rencontré qu’une fois et qu’ils reviennent quelques chapitres plus loin ; après, ils sont assez particuliers, assez singularisés pour que l’on fasse une distinction entre eux. Je me suis totalement laissée embarquée par cette histoire, je n’ai pas vu le temps passer. Je lisais, il était neuf heures du soir et quand j’ai relevé la tête, il était onze heures : je suis restée dix secondes la bouche ouverte à me demander ce qui s’était passé.

On retrouve toutes les caractéristiques du western : le saloon, les Indiens, les revolvers, les chevaux et les bottes de cowboys, la diligence, un petit massacre ou deux, le barbier, les poignées de dollars. Mais les personnages sont hauts en couleur, résistants, volubiles ou taciturnes, drôles et attachants, dissimulant leur sensibilité sous leur rudesse. Au Far-West, les lois ne sont pas les mêmes que celles de la ville : les hommes blancs scalpent les Indiens aussi, les femmes tirent aussi bien que les hommes et dirigent les saloons (à l’instar de Vienna, alias Joan Crawford, dans Johnny Guitar).

Accompagnés de leurs bêtes (chevaux, moutons, bœufs), ils se dessinent dans un tableau contemplatif. La nature est omniprésente, tantôt amicale et fertile, tantôt dangereuse.

Céline Minard m’a donné soif des grands espaces, envie de courir en forêt ou dans les champs, d’écouter les oiseaux, le craquement sec des branches mortes sous les pieds, de sentir l’eau fraîche sur ma peau, l’air froid brûler ma gorge.

Parler de nature sauvage, de chevaux, de revolvers, fait venir dans mon esprit le nom de McCarthy, mais ce n’est en rien le même ton – il y a beaucoup plus d’espoir de s’en sortir, de vivre, dans Faillir être flingué –, en rien la même écriture – celle de Céline Minard est bien plus fluide – et en rien le même destin que vivent les personnages – ceux de McCarthy vivent moins longtemps ! Je pense à lui, mais ne les compare pas. Et je n’ai pas retrouvé dans ce livre tout ce que j’éprouve en lisant McCarthy (qui est, pour moi, l’un des – si ce n’est LE – plus grands écrivains américains contemporains).

« Il sourit en pensant qu’il lui suffisait d’avancer pour s’enrichir. D’avancer et de se baisser de temps en temps. Il décida d’en faire sa ligne de conduite et reprit son chemin le cœur léger. Il sifflait en chevauchant. »

 « La bourse de plumes était le seul bagage qu’il s’était autorisé depuis qu’il avait jeté sa mallette de cuir dans le brasier où brûlaient les corps des hommes, des femmes et des enfants qu’il avait tués. Il s’était juré devant le premier nid qu’il avait observé après sa renaissance, que la connaissance des oiseaux serait la seule science à laquelle il s’adonnerait pour le reste de sa vie. La collecte des contes, le seul passe-temps. Il avait fait serment de ne plus jamais approcher ses mains d’une lancette ou d’une seringue, ni son esprit d’une plaie. Ce savoir blanc dont il s’était fait le passeur et qui avait provoqué tant de mal autour de lui, il l’avait jeté dans les flammes. Avec le désir de domination qui le sous-tendait et dont il ne s’était pas douté avant de décimer un village entier et de voir de ses yeux vivants, les corps gonflés et souffrants de ceux qu’il avait voulu sauver, détruits par ses soins. Des corps qui, la veille, étaient pleins de santé. »

 « Jeffrey marchait à grands pas et repassait dans son esprit les objets indiens qu’il avait vus à l’occasion de la veillée funèbre et des préparatifs de l’attaque. Les bols peints, les bâtons ornés de perles, d’os, d’écus. Les coffres rutilants, les jambières brodées, les capes polychromes. Les panières, les sacs de peau, l’osier. Il y avait une âme dans chacune des choses façonnées par leurs mains, et assez de raffinements pour témoigner de la liberté sans effrayer les Blancs. Brad était persuadé qu’il était possible de développer un autre mode de relation que la guerre entre les deux mondes. »

Faillir être flingué, Céline Minard. Payot & Rivages, 2013. 336 pages.