Cendrillon, de Joël Pommerat (2012)

Cendrillon (couverture)Joël Pommerat propose une réécriture moderne du célèbre conte de Cendrillon, alias Sandra, alias « la très jeune fille ». Si l’on retrouve les étapes incontournables – le travail de la jeune fille et la méchanceté de la marâtre, la fête, la rencontre avec le prince, les histoires de chaussures… –, j’en ai apprécié certaines différences. À commencer par le fait que le mariage n’est ni le but ni la finalité de cette histoire.
À la place, c’est la mort de la mère qui acquiert une importance prépondérante. Cette Cendrillon-là nous parle avant tout du deuil, de la culpabilité, de la peur d’oublier les morts : à cause de quelques mots mal compris, la très jeune fille s’empêche de vivre pour ne pas faire mourir sa mère. S’ensuit un comportement quelque peu masochiste qui mettra parfois mal à l’aise, Sandra recherchant ainsi l’inconfort de sa chambre-cave, les tâches ingrates et répugnantes, les insultes et la mise à l’écart, percevant ces abus comme une punition bien méritée.

Cette pièce parle également des enfants, de leur place, de la façon dont les adultes les traitent : on leur ment, on leur dissimule la vérité (parfois pour les protéger), on leur demande de se taire, on ignore ou on minimise leurs peines… Et puis, il y a la jalousie de la belle-mère, envers l’absente trop présente à travers sa fille, envers ses propres descendantes, potentielles rivales à sa beauté. Elle devient insupportable, détestable – comme toute marâtre de conte qui se respecte – mais en même temps, on devine aussi ses fêlures, nées d’un rêve d’une autre vie – un rêve qu’elle refuse d’appeler ainsi pour le faire réalité –, d’une ambition inassouvie, d’une peur de vieillir.
Tous les personnages, au-delà des archétypes, sont en même temps très humains. Très imparfaits. Ce qui permet, peut-être, de comprendre la passivité du père face aux maltraitances subies par sa fille. On dépasse la simple dualité entre les méchantes et la douce et bonne jeune fille.

Certaines scènes sont dérangeantes, d’autres absurdes et cocasses, apportant une touche de légèreté, à travers le ridicule fréquent des personnages ou cette fée qui, par ses talents discutables et sa passion pour la fausse magie qui « peut rater », ne ferait pas tache entre le Merlin et la Dame du lac de Kaamelott.

J’ai pu voir une captation et, outre l’excellence des comédiennes et comédien, le rendu était d’autant plus intéressant avec le jeu entre ce que l’on entend et ce que l’on voit (la voix de la narratrice couplée avec la gestuelle d’un homme, la tristesse du texte avec le grotesque de certaines scènes…).
Je dois avouer que je regrette certaines expressions vulgaires qui, certes, modernise le texte, mais ne sont pas forcément celle que j’aime trouver dans une histoire.

Intelligente, décalée, parfois pesante parfois drôle, cette pièce résolument moderne donne un bon coup de plumeau à ce conte. La morale n’est point « Ils vécurent heureux et eurent beaucoup d’enfants », mais parle de la nécessité – tout en en reconnaissant la difficulté – de faire son deuil pour avoir des souvenirs plus apaisés de la personne disparue et continuer sa propre vie.
Je pensais avoir aimé sans plus, mais je m’aperçois en écrivant cette chronique que j’ai en réalité passé un bon moment – plus encore en regardant la pièce – et qu’elle a suscité quelques réflexions.

« La voix de la narratrice :
Les mots sont très utiles, mais ils peuvent être aussi très dangereux. Surtout si on les comprend de travers. Certains mots ont plusieurs sens. D’autres mots se ressemblent tellement qu’on peut les confondre.
C’est pas si simple de parler et pas si simple d’écouter.
 »

« La très jeune fille :
Je crois que des fois dans la vie, on se raconte des histoires dans sa tête, on sait très bien que ce sont des histoires, mais on se les raconte quand même. »

Cendrillon, Joël Pommerat. Actes Sud, coll. Babel, sous-coll. Théâtre (2013). 162 pages.

Contes des Royaumes, tome 2 : Charme, de Sarah Pinborough (2014)

Contes des Royaumes 2 - Charme (couverture)Dans ce second tome, c’est le conte de Cendrillon qui est revisité. On retrouve les deux belles-sœurs, Ivy et Rose, la belle-mère, Esmée, ainsi qu’Henry, le père (qui n’est pas mort, pas plus que ne l’était celui de Blanche-Neige). Par contre, pas de souris et d’oiseaux qui confectionnent des robes ou de citrouille qui se transforme en carrosse.

J’ai beaucoup aimé les relations familiales qui sont très approfondies dans ce roman. On part avec l’idée qu’Esmée et ses filles sont cruelles envers la pauvre Cendrillon qui doit trimer du matin au soir, mais mes sentiments envers tous ces personnages ont énormément évolué au fil du récit. Cendrillon est au cœur du récit plus que ne l’était Blanche-Neige, on connait davantage ses pensées et son caractère. D’ailleurs, elle m’a assez rapidement agacée (même si ça a encore changé plus tard) par sa jalousie envers ses sœurs (« Je pourrais tuer pour une robe pareille. Ou même pour un simple tour dans ce bel équipage, songea Cendrillon. Oui, sans doute pourrait-elle tuer pour cela. En revanche, elle n’était pas certaine qu’elle aurait été jusqu’à donner un seul baiser au vicomte pour l’un ou l’autre de ces trophées. ») et par la manière dont elle traite son ami Bouton qui prend mille risques pour elle (« Certes, Bouton était plein de qualités, mais elle attendait plus de la vie. Elle voulait ce qu’Ivy avait, avec un homme grand et beau pour époux en plus. Elle le souhaitait si fort que cela en devenait douloureux. »). Malgré tout, elle change, éprouve de la compassion et de la compréhension pour sa belle-famille et ouvre les yeux sur la vie de palais qu’elle idéalisait tant.
De la même manière, belle-mère et belles-sœurs perdent leur image de méchantes personnes. Rose se révèle notamment très fine et intelligente (loin des bécasses de Walt Disney) tandis que l’on comprend de mieux en mieux le caractère changeant d’Esmée.
Bref, je m’arrête là avant de vraiment trop en dire.
Certains des personnages principaux de Poison jouent à nouveau un rôle très important : Lilith, qui était la belle-mère de Blanche-Neige, le prince et le chasseur. C’est très plaisant de les retrouver car cela permet de leur donner encore un peu plus d’épaisseur.

Pour ce qui est des croisements avec d’autres contes, Hansel et Gretel est à nouveau présent à travers des disparitions d’enfants dans la forêt et l’étrange récit d’une fillette à propos d’une maison en pain d’épices (j’espère d’ailleurs qu’on en saura plus dans le troisième tome, Beauté, puisque la sorcière était déjà présente dans Poison). On rencontre également Robin des Bois. Il s’agit ici d’un ami très proche de Cendrillon, surnommé Bouton, qui travaille au palais mais au service des pauvres : « Je vole les riches pour donner aux pauvres, lui avait-il dit un jour. C’est la seule façon d’être un voleur heureux. »

Le côté érotique de ce conte revisité ne m’a pas laissée aussi perplexe que lors de ma lecture de Poison. Peut-être parce que j’ai dû m’y habituer, peut-être aussi parce qu’elles sont mieux amenées (je repense à l’étreinte entre Blanche-Neige et le chasseur, pourquoi ? quelle nécessité ? quel intérêt ?). Et ça change des princesses naïves et éloignées de tout ce qui se rapporte au sexe, elles sont plus humaines avec leurs fantasmes et leurs désirs.

Pour ce qui est de la fin, elle est, dans ce second tome, beaucoup plus heureuse que dans le premier. Heureusement, elle diffère tout de même grandement de la fin connue de Cendrillon, mais je n’ai pas ressenti la même surprise que pour Poison.

Ce second volume ne m’a pas déçue, bien qu’il soit moins sombre que Poison. Il y a des belles descriptions pleines de féérie, les personnages sont toujours aussi profonds et humains et des questions restent en suspens, questions dont j’espère trouver la réponse dans Beauté. Ma curiosité est ouverte en ce qui concerne la fin du troisième et dernier volume.

« Son esprit n’était plus qu’un nœud de noires pensées auxquelles elle ne parvenait même plus à donner la moindre forme cohérente. La jalousie était à l’œuvre, elle le savait. L’envie mêlée d’une touche d’auto-apitoiement. Elle n’y pouvait rien, c’était plus fort qu’elle. »

« La vie n’est pas un conte de fées, Cendrillon. J’aimerais qu’elle le soit, mais ce n’est pas le cas. »

Contes des Royaumes, tome 2 : Charme, Sarah Pinborough. Bragelonne, coll. Milady, 2014 (2013 pour l’édition originale). Traduit de l’anglais (Grande-Bretagne) par Frédéric Le Berre. 254 pages.

La trilogie des Contes des Royaumes par Sarah Pinborough :