Lu dans le cadre du meilleur des rendez-vous aka Les Classiques, c’est fantastique. (Oui, l’image indique un prénom dans le titre, mais le bilan d’octobre stipulait un nom et/ou un prénom !) (Je voulais lire aussi un titre-prénom, mais je n’ai pas eu le temps…)
Ce tome fait directement suite au précédent et met en scène le jeune fils de couple Mouret, Serge, abbé fraîchement installé aux Artauds – hameau nommé d’après ses habitants, une seule et même grande famille. Farouchement dévot, il enchaîne rites dans une église déserte et visites à des incroyants invétérés jusqu’à ce qu’une fièvre le terrasse. Or, au cœur de ce pays aride – tant par le climat que par le tempérament de ses ouailles –, s’étend un jardin d’Eden, parc abandonné d’un manoir délaissé où il sera soigné par une jeune fille, Albine.
Zola n’est pas tendre envers le catholicisme qui est au cœur de cet opus avec son cortège d’interdits abscons, de morales rigoristes, d’adoration aveugle. Aux côtés d’un Frère Archangias au prénom évocateur, homme obtus, misogyne et violent, franchement détestable du début à la fin, l’abbé Mouret apparaît ridicule dans sa pudibonderie, son refus d’approcher la vie, les animaux, dans cette manie religieuse de voir l’impur dans la nature, dans ses défaillances physiques et dans sa passion mystique pour la Vierge. Puis, les souffrances psychiques, la mortification que s’impose l’abbé Mouret, en refusant l’amour, en reniant ses sentiments, en favorisant la dévotion à une entité fictive, apparaîtront tout aussi incompréhensibles à l’athée que je suis – et que sont bon nombre de personnages autour de lui !
Pour son plus grand malheur, le voilà entourée de deux jeunes filles pleines de vie : sa sœur Désirée, une « innocente » qui habite avec lui, et Albine, la nièce de l’intendant du Paradou. L’une amoureuse des bêtes, l’autre de la verdure du Paradou ; l’une s’occupant de sa basse-cour, l’autre courant les bois et les prés ; l’une sans crainte du fumier, l’autre des ronces et des chardons ; toutes deux se régalant de la fécondité de la nature et s’y épanouissant de plus belle. Aussi fortes, roses, résistantes, qu’il est frêle, pâle et timoré.
Le premier livre raconte la dévotion et la religion rigoriste, le second la convalescence qui se développe en une réécriture de la Genèse. (Le troisième et dernier livre parle quant à lui du dilemme et du déchirement de Serge/l’abbé Mouret entre son amour pour Albine et sa foi.) Or, la transition entre ces deux premiers livres est un peu déstabilisante et surprenante car le revirement est profond, total même, et donc déconcertant. Je l’avoue, au début, je me suis parfois demandée où étaient passés les autres protagonistes, la foi dévorante de l’abbé Mouret… et où Zola était en train de m’emmener.
Car, avec un petit saut dans le temps, voici l’abbé Mouret redevenu Serge. Avec la maladie de Serge soigné par Albine, nous passons de l’aridité de la religion à la douceur généreuse de la nature. Leur amour innocent (du moins, au début, la nature de la faute n’étant pas une surprise) m’a rappelé celui de Miette et Silvère dans La Fortune des Rougon.
Deux « enfants » (de 16 et 26 ans…) naïfs, un peu fatigants avec leurs jeux et leurs cris, d’une innocence poussée à l’extrême. Pureté et chasteté découvrant les sentiments amoureux et le désir dans un Paradis, isolé de tout et de tous, seulement peuplé de mille plantes et bêtes paisibles. Je regrette d’avoir parfois eu du mal à y croire, à croire à leur innocence pleine et entière qui m’a quand même paru bien mièvre par moments. J’ai ressenti une certaine platitude et quelques longueurs dans cette seconde partie.
Écho démultiplié de la serre de La Curée, la nature, derrière le mur du Paradou, est un lieu sensuel, vivant, vibrant de vie et de sensations. Un lieu protecteur par son isolement et tentateur par ses musiques, ses senteurs, ses frôlements, le sucre de ses fruits… Un endroit qui ne peut être qu’inquiétant pour ce jeune abbé fragile, désireux d’être tout à son âme et loin de son corps. Opulence, moiteur, ombres, quand il recherche une vie rude, spartiate, dans la sécheresse caillouteuse des Artauds.
Après avoir décrit avec précision les rituels religieux – costumes, accessoires, gestes, texte… –, ce roman parle de mille façons de la nature, de la végétation, du paysage, de l’eau et du soleil que Zola sublime parfois, anthropomorphise souvent, y voyant des allures de femmes, des soupirs, des amours, des invitations charnelles… Et puis, Zola étant Zola, ce sont aussi d’interminables énumérations botaniques à travers les différentes atmosphères du parc. Découvrant avec les deux jeunes gens le parterre, le verger, les prairies, la forêt, les sources, nous croisons la route de dizaines d’espèces d’arbres fruitiers, de fleurs des champs, de résineux ou de feuillus, de plantes grasses ou aromatiques… En dépit d’un côté un peu « catalogue » par moments, il y a tout de même de très beaux moments contemplatifs.
Ce roman confronte la religion et la nature, la mort et la vie, la frugalité d’une vie dédiée à Dieu et les sentiments dans un drame qui n’est pas dénué de lyrisme. Sans avoir été une entière déception, je suis un peu déçue de cette lecture. Sans être dépourvue d’empathie à son égard, je dois avouer que le personnage principal, qu’il soit Serge ou l’abbé Mouret, m’aura fait soupirer d’ennui et/ou d’exaspération à plusieurs reprises (je lui ai préféré des personnages secondaires comme Albine, Désirée, la Teuse (la bonne du curé ♪), ou le docteur Pascal). C’est là le point noir de ce roman qui transforme ce dilemme en histoire parfois un peu fade.
« Ils naissaient, ils mouraient, attachés à ce coin de terre, pullulant sur leur fumier, lentement, avec une simplicité d’arbres qui repoussaient de leur semence, sans avoir une idée nette du vaste monde, au-delà de ces roches jaunes, entre lesquelles ils végétaient. Et pourtant déjà, parmi eux, se trouvaient des pauvres, des riches ; des poules ayant disparu, les poulaillers, la nuit, étaient fermés par de gros cadenas ; un Artaud avait tué un Artaud, un soir, derrière le moulin. C’était, au fond de cette ceinture désolée de collines, un peuple à part, une race née du sol, une humanité de trois cents têtes qui recommençait les temps. »
« Cependant, le cabriolet suivait de nouveau le chemin creux, le long de l’interminable mur du Paradou. L’abbé Mouret, silencieux, levait les yeux, regardait les grosses branches qui se tendaient par-dessus ce mur, comme des bras de géants cachés. Des bruits venaient du parc, des frôlements d’ailes, des frissons de feuilles, des bons furtifs cassant les branches, de grands soupirs ployant les jeunes pousses, toute une haleine de vie roulant sur les cimes d’un peuple d’arbres. Et, parfois, à certain cri d’oiseau qui ressemblait à un rire humain, le prêtre tournait la tête avec une sorte d’inquiétude. »
« L’abbé Mouret ne put tenir davantage, dans la chaleur qui montait des portées. La vie, grouillant sous ce poil arraché du ventre des mères, avait un souffle fort, dont il sentait le trouble à ses tempes. Désirée, comme grisée peu à peu, s’égayait davantage, plus rose, plus carrée dans sa chair. »
« – C’est étrange ; avant d’être né, on rêve de naître… J’étais enterré quelque part. J’avais froid. J’entendais s’agiter au-dessus de moi la vie du dehors. Mais je me bouchais les oreilles, désespéré, habitué à mon trou de ténèbres, y goûtant des joies terribles, ne cherchant même plus à me dégager du tas de terre qui pesait sur ma poitrine… Où étais-je donc ? qui donc m’a mis enfin à la lumière ?
Il faisait des efforts de mémoire, tandis qu’Albine, anxieuse, redoutait maintenant qu’il ne se souvînt. »
« Et, cependant, ils ne trouvaient dans le parc qu’une familiation affectueuse. Chaque herbe, chaque bestiole, leur devenaient des amies. Le Paradou était une grande caresse. Avant leur venue, pendant plus de cent ans, le soleil seul avait régné là, en maître libre, accrochant sa splendeur à chaque branche. Le jardin, alors, ne connaissait que lui. »
Les Rougon-Macquart, tome 5, La Faute de l’abbé Mouret, Emile Zola. Typographie François Bernouard, 1927 (1875 pour la première édition). 446 pages.
Les Rougon-Macquart déjà lus et chroniqués :
– Tome 1, La Fortune des Rougon ;
– Tome 2, La Curée ;
– Tome 3, Le Ventre de Paris ;
– Tome 4, La Conquête de Plassans.