« Ils se marièrent et eurent beaucoup d’enfants. »
Ce n’est certainement pas par cette formule traditionnelle que se termine cette version revisitée du conte de Blanche-Neige.
On connaît tous le conte, donc un résumé ne sera pas nécessaire. Quant à la fin, elle est bien différente de celle de Disney, mais je ne la spoilerai pas.
J’ai beaucoup aimé la manière dont sont approfondis les caractères de ces personnages célèbres : la reine, les nains, le prince, Blanche-Neige… Leur importance se vaut et Blanche-Neige n’est plus la seule héroïne et les méchants occupent bon nombre des pages de ce roman. Ils apparaissent plus modernes, plus humains, torturés par leurs désirs.
La reine – prénommée Lilith (elle était prédestinée au mal avec ce prénom) – n’est pas présentée comme étant LA méchante sorcière, un-point-c’est-tout, on découvre pourquoi elle est comme ça, son passé, sa bisaïeule qui lui a enseigné l’art de la magie, son mariage forcé, sa jalousie qui lui ronge le cœur et qui lutte (et vainc) les remords qu’elle ressent parfois. Son inhumanité n’est pas sans causes et est aggravée par des événements inattendus. J’ai beaucoup aimé ce personnage. Décidée et autoritaire, belle et captivante, intelligente et manipulatrice, mais pourtant tourmentée. Son fameux miroir n’est pas vraiment un objet régulièrement sollicité, mais une voix
Les nains souffrent de leur travail de mineurs, peuple d’exploités. L’un d’eux, Manchot, a même connu un épisode particulièrement traumatisant dans les profondeurs de la terre. Les chants, les livres pour Rêveur et Blanche-Neige leur apportent un peu de joie et de lumière dans cette obscurité.
Le prince… Je n’en dirai rien car il est plein de surprise, ce prince. Il nous rappelle que la cruauté peut prendre bien des visages, même celui de l’amour et de la beauté.
Quant à Blanche-Neige, elle est certes quelque peu ingénue car elle vit dans le bonheur, l’action et le plaisir de vivre et ne connaît pas de difficultés au quotidien, mais elle n’est pas sans caractère. Elle est forte et décidée. Elle tente de changer sa belle-mère, dompte les plus fougueux étalons, se lie d’amitié avec les miséreux et les domestiques, etc. N’étant pas une demoiselle niaise en détresse, elle n’agit pas comme une princesse de son rang le devrait, ce qui ne plaît pas à tout le monde.
On peut noter que le roi, le père de Blanche-Neige, nous est un peu plus présenté que dans d’autres versions du conte. Outre un portrait physique, l’auteure définit sa relation à sa défunte femme et à Lilith, ses motivations pour son royaume ou son amour pour sa fille.
J’ai beaucoup aimé que d’autres contes interviennent dans celui-ci : Aladdin, Hansel et Gretel, les pantoufles de verre de Cendrillon, etc. Ainsi que l’intervention de l’arrière-grand-mère de Lilith qui jouera un rôle important dans l’empoisonnement de la belle princesse.
Le ton est plus adulte. Autant il y a des tensions entre les personnages qui rajoutent à l’épaisseur de leur caractère (je pense à Lilith, Blanche-Neige ou le chasseur), autant la nuit de noces de Blanche-Neige y est relatée de manière particulièrement érotique. Etait-ce nécessaire ? Je ne sais pas. Ça ne m’a pas dérangée, mais je ne trouve pas que cela apporte énormément de choses.
Autre point sur lequel j’apporterai une nuance : la fin. Je trouve l’idée audacieuse, originale et sombre à souhait, mais j’aurais aimé qu’elle soit un peu plus étoffée. Les derniers chapitres se sont déroulés à une vitesse folle, une ultime vision de chaque protagoniste, mais elle m’a laissée un petit goût de manque.
Le livre en lui-même est très beau également. Sa couverture cartonnée et écarlate à l’extérieur et les illustrations de Noëmie Chevalier à l’intérieur (une pour chaque chapitre) en font un magnifique objet.
N’ayant jamais été fan de Blanche-Neige, j’ai passé un bon moment avec cette version pleine de noirceur et ces personnages profonds, qu’ils soient bons, méchants ou un peu des deux.
Je suis curieuse de découvrir les deux tomes suivants – Charme (sur Cendrillon) et Beauté (sur la Belle et la Bête) – et j’espère qu’il ne s’agira pas trop d’un copier-coller (du genre « on reprend la même recette en changeant les noms »).
« Tout le monde l’aime, n’est-ce pas ? Et comment pourrait-il en être autrement ? Elle est si belle et si gentille, et en même temps, libre et indocile. Elle pourra choisir parmi les princes celui dont elle tombera amoureuse. Oui, elle est vraiment la plus belle du royaume. N’est-ce pas magnifique ? »
Contes des Royaumes, tome 1 : Poison, Sarah Pinborough. Bragelonne, coll. Milady, 2014 (2013 pour l’édition originale). Traduit de l’anglais (Grande-Bretagne) par Frédéric Le Berre. 221 pages.
La trilogie des Contes des Royaumes par Sarah Pinborough :