Le combat ordinaire (intégrale), de Manu Larcenet (2015)

Le combat ordinaire - intégrale (couverture)Le combat ordinaire, à l’origine, ce sont quatre tomes publiés entre 2003 et 2008 : Le combat ordinaire, Les quantités négligeables, Ce qui est précieux et Planter des clous.

Dans les années 2000, Marco quitte tout. La région parisienne, son psy, son boulot de photographe. A 600 km de là, à Chazay, il essaie de faire le point, de retrouver un sens à la vie et de gérer ses crises d’angoisse. Autour de lui, sa mère et son père – qui perd peu à peu la mémoire –, son frère et complice de toujours, Adolf son chat caractériel, et bientôt Emilie qui va bousculer sa petite routine quotidienne.

C’est une histoire qui parle de détresse, de peurs, de la mocheté de la vie et des hommes, mais aussi du bonheur, de l’amour, de la famille (dans toute sa complexité). Sur le temps qui passe pour le meilleur comme pour le pire.
Et le dessin de Manu Larcenet exprime tout cela à merveille. On se projette sans peine dans ses planches, tant les personnages sont expressifs, que ce soit dans la joie, dans la tristesse, dans le doute, la colère ou la peur. Les crises d’angoisse de Marco sont terribles, on ressent parfaitement la violence de ces moments.

Le combat ordinaire, c’est une BD sublime. C’est drôle, tendre, violent, triste. C’est réaliste et totalement universel. Simple et compliqué à la fois, c’est tout bonnement la vie, disséquée par le trait précis et attendrissant de Manu Larcenet. Mélancolique, humaine, légère et grave… voilà une BD pas si ordinaire.

« Mes histoires d’amour m’ont montré que j’aime la solitude. J’ai toujours été fasciné par l’absence, tant la présence m’ennuie. »

« La vie nous donne beaucoup. Nous ne comprenons pas parce que nous avons obstinément appris à nous contenter de peu. »

Le combat ordinaire (intégrale), Manu Larcenet. Dargaud, 2015. 246 pages.

Les nuits rouges du théâtre d’épouvante, d’Alexandre Kha (2014)

Les nuits rouges du théatre d'épouvante (couverture)L’histoire d’un théâtre pas comme les autres. Dirigés par un metteur en scène tyrannique (ce qui peut être comme dans les autres théâtres…), ses comédiens sont un jeune homme à la tête vitriolée enveloppée de bandages, un épouvantail harcelé par ses corbeaux, un étudiant décapité, des zombies et une jeune femme sans papiers et vivante autour de laquelle tourne un loup-garou un peu mélancolique.

Cinq histoires, cinq chapitres de leur vie quotidienne.

 

Sur la couverture rouge vif, deux yeux nous regardent comme ceux des crânes qui clôturent chaque chapitre. Décor, protagonistes et couleurs sont annoncés. Car tout est en noir et rouge dans ce grand livre qui joue sur d’étranges duos. Car ces histoires sont à la fois comiques et tragiques, la mort se mêle à la vie, des tableaux morbides mais érotiques se dessinent peu à peu. La mort d’un corps n’entraîne pas celle des sentiments et Elena déchaîne certaines passions.

Les morts, les bizarres, les exclus, comme tout un chacun, sont la proie d’obsessions et de désir. Chez Alexandre Kha, même les vivants ressemblent à des défunts. Que ce soit la face osseuse du propriétaire de l’épouvantail avant la fugue de celui-ci ou les grands yeux noirs d’Elena, noirs comme les trous des orbites d’un crâne, l’ombre de la mort passe déjà sur leur visage.

Le format est très classique, or je m’attendais à quelque chose de plus inédit dans la forme, et le contenu, original certes, a peiné à me convaincre. Les personnages sont dignes de Tim Burton que ce soient les monstres attachants et sensibles ou la jeune femme au tient diaphane et cette ambiance de nuit, de sang et de sensualité avait tout pour me plaire, mais je n’ai pas été vraiment embarquée.

 

Avec un côté Grand-Guignol, théâtre parisien qui faisait frissonner les dames avec des pièces macabres et sanglantes, Alexandre Kha nous propose une visite dans un univers décalé qui ne manque pas de poésie malgré la présence de tripes, de sang et d’orbites creuses.

Un ouvrage sympathique, sensible, au trait fin très agréable, mais qui ne me marquera pas pour très longtemps.

Une mention spéciale pour l’une des dernières pages (page 115 exactement) qui rend hommage sur un cri d’Elena au peintre Edvard Munch en reprenant plusieurs tableaux : Cendres, Le baiser sur la plage au clair de lune, Le Cri, Le Printemps, La Puberté, Le jour d’après, Héritage (et, pour l’une des premières cases, peut-être – je ne suis pas sûre de moi pour ceux-là – Le Désespoir ou Soirée sur l’avenue Karl Johan). Un artiste que j’aime beaucoup, j’ai immédiatement reconnu le pastiche.

Pour redécouvrir le Grand-Guignol, je vous conseille de découvrir l’excellente compagnie des Femmes à Barbes qui propose dans son nouveau spectacle d’improvisation, Le Grand Frisson, de revisiter ce genre en impliquant toujours le public.

« La vie est un cauchemar où chacun occupe son rôle. »

« Tétanisés par le cri le plus effroyable qu’une oreille humaine puisse entendre, les spectateurs regagnent la ville, hagards. Ils déambulent… Le cri d’Elena résonne en eux, réveillant démons enfouis et vils instincts. Certains se dévorent au clair de lune. D’autres sombrent dans la folie et s’enferment chez eux, hantés par ce cri ancestral. Sur cette note un peu stridente, s’achève ainsi l’extravagante aventure du théâtre d’épouvante. »

Les nuits rouges du théâtre d’épouvante, Alexandre Kha. Editions Tanibis, 2014. 120 pages.

Liens de sang, de Yves H. (scénario) et Hermann (dessins) (2000)

Liens de sang (couverture)Sam Leighton quitte sa campagne pour la métropole et travaille à la criminelle. Meurtres en série, mystérieuse chanteuse, parrain de la mafia, il se met en tête de découvrir faire tomber le big boss, Joe Beaumont que personne n’a vu depuis vingt ans. Pour cela, il se lie avec un détective privé du nom de Philip Meadows (Philip Meadows Taylor, romancier et administrateur de l’Inde au XIXe siècle, a travaillé dans un bureau d’investigation criminelle luttant contre une puissante société secrète, les Thugs. Anecdote en passant…).

 

Liens de sang emprunte beaucoup au film noir américain. Dans une ville des années 1950 gangrenée par le crime et la corruption évolue des détectives et flics au passé sombre ou au comportement trouble. Silhouette au coin des rues, imper, visage dissimulé sous les larges bords d’un chapeau, clope rougeoyante au bec. Mais le tableau ne serait pas complet sans la femme fatale pour leur faire perdre la tête… La nuit et la pluie enveloppe l’album d’un rideau noir de violence et de mort.

Qui est-il ? Telle est la question que le lecteur peut se poser à propos de chaque personnage. Quelle est leur relation ? Entre complexe d’Œdipe et mensonges familiaux, cette BD se complexifie à chaque page. Quant à Joe Beaumont, qui est-il ? Existe-t-il vraiment ? Est-il le Diable ?

 

Je suis toutefois restée perplexe par moments et, par deux fois, j’ai fini par décrocher de ce scénario un peu trop tarabiscoté. Cinquante-six pages est peut-être un format trop court pour ce type d’histoire.

Nouvelle collaboration pour Hermann et Yves Huppen, les dessins du père sont une excellente mise en scène pour le scénario du fils. Sans fioriture, il plante efficacement décors et protagonistes. Pourtant, je n’accroche décidément pas au style d’Hermann même si je peux comprendre ce qui peut plaire.

Difficile de qualifier Liens de sang de bon ou mauvais, mais il s’agit sans nul doute la plus complexe des BD « Signé » lues et critiquées jusqu’à présent.

« Joe… c’est l’homme le plus riche et puissant de la ville et même au-delà. Il se fait que personne ne l’a vu depuis vingt ans. Un vrai mystère. Alors, il se raconte des choses. Rumeurs ou vérités ? Il est devenu un mythe. »

Liens de sang, Yves H. (scénario) et Hermann (dessins). Le Lombard, coll. Signé, 2012 (2000 pour la première édition). 56 pages.

Les autres BD « Signé » :

Afrika, d’Hermann (2007)

Afrika (couverture)Afrika est une BD qui ne m’a pas transcendée. Je l’ai lu. Je ne l’ai pas détestée, je ne l’ai pas aimée non plus. C’est tout à fait le genre de bande dessinée qui me laisse indifférente. Que puis-je en dire à par « Ça se lit » ?

Pourquoi ça me n’a pas marquée ? L’histoire est basée sur de l’action : c’est une BD d’action comme il existe des films d’action. Ce n’est pas que l’action est mauvaise, mais quand il n’y a que ça, mon intérêt faiblit. De plus, le suspense est faible. On retrouve tous les ingrédients de base : des morts, des armes, un environnement hostile, une poursuite où la vie des héros est menacée.

Je me demande si l’intrigue n’aurait pas été plus intéressante sur un format plus long. L’auteur aurait pu développer, non seulement sa réflexion sur la relation de l’homme avec les animaux qu’il abat les uns après les autres, mais aussi son approche de la politique africaine notamment et des décisions prises par les hommes politiques. Le début de la bande dessinée était prometteur, mais ce qui a suivi la découverte des corps a déçu mes attentes.

Le personnage principal pourrait être intéressant. Dario Ferrer, ermite mystérieux, bourru, mais attachant. Malheureusement, c’est un stéréotype qui est trop vu et revu et qui, cette fois, n’a pas fonctionné sur moi.

J’ajoute à cela que le graphisme me laisse tout aussi froide que l’histoire. Je n’apprécie pas vraiment ces traits trop marqués. Cependant, j’aime la représentation de la nature sauvage et les scènes de vie animales qui ouvrent la BD. Notamment celle du guépard, mélange de vigilance et de nonchalance.

Une BD qui rappelle que les hommes sont plus cruels que les animaux (si quelqu’un en doutait encore…).

« La faune de ce continent unique est menacée de disparition par les intérêts vulgaires du bipède ! … L’homme envahit tout, pollue tout ! Sûr de sa seule importance ! »

Afrika, Hermann. Le Lombard, coll. Signé, 2007. 52 pages.

Les autres BD « Signé » :

Histoire sans héros, de Jean Van Hamme (scénario) et Dany (dessins), (1977) suivi de Vingt ans après (1997)

Histoire sans héros (couverture)Deux histoires dans un ouvrage. La première (Histoire sans hérosraconte le crash d’un avion au milieu de la forêt vierge et la lutte menée par les survivants pour sauver leur vie. La seconde (Vingt ans après) reprend les mêmes protagonistes qui, menacés par ODESSA, un réseau clandestin d’anciens nazis, doivent retourner sur les lieux de l’accident.

Au premier abord, lorsque j’ai feuilleté l’album, le style graphique ne m’a que moyennement plu : les hommes étaient trop virils et les femmes des pin-up. Cependant, à la lecture, même si je ne peux me dire séduite par ces illustrations, j’ai découvert qu’elles servaient parfaitement certaines scènes, notamment celles de nuit où les personnages sont rassemblés autour du feu. A l’instar des dialogues qui laissent transparaître la psychologie des protagonistes, les visages de Dany montrent leurs émotions.

Si je ne suis malheureusement pas convaincue par les dessins, l’histoire – évoquant pour moi une sorte de transposition de Dix petits nègres d’Agatha Christie au fin fond de la forêt amazonienne avec ces personnages qui meurent un à un – m’a complètement embarquée grâce à cet éventail de personnalités prêtes à tout pour survivre. Les personnages présents sur scène (une quinzaine environ) sont évidemment très différents et tous ont leurs forces et leurs faiblesse, tous sont potentiellement une aide ou une menace pour les autres.

Ni blancs, ni noirs, ce sont simplement des hommes et des femmes confrontés à une situation difficile, voire mortelle. Comment réagir ? Se battre pour sa vie ou toutes les vies ? Attendre ou agir ? Cela ressort davantage dans la première histoire : nos héros (qui n’en sont pas) sont enfermés dans une sorte de huis-clos, opprimés par les arbres géants et les lianes et leur psychologie est mise en avant au même titre que les rebondissements. La suite relève davantage du récit d’aventure, palpitant certes, mais moins original même si les rebondissements sont fréquents.

 Bien que ce ne soit pas le genre de BD qui m’attire habituellement, j’ai passé un bon moment avec ce diptyque un peu moins bourrin que ce à quoi je m’attendais…

«  Ces hommes, ces femmes, brutalement plongés dans un univers hostile, sentaient les ombres de la mort et de la peur se glisser parmi eux… »

« Les chaînes de l’homme se brisent dans la douleur, il sait ce qu’il doit faire… »

Histoire sans héros (1977 pour la première édition), suivi de Vingt ans après (1997 pour la première édition), Jean Van Hamme (scénario) et Dany (dessins). Le Lombard, coll. Signé (2008). 127 pages.

Les autres BD « Signé » :