Mini-critiques joyeuses : handicap, famille abîmée par la vie et avortement…

Je vous propose de découvrir trois de mes lectures de ces deux derniers mois avec deux romans ado – Comment je suis devenue un robot et Les enfants des Feuillantines – et un roman graphique, Il fallait que je vous le dise. Trois très bonnes découvertes et bien plus optimistes que ce que leurs sujets peuvent laisser penser.

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Comment je suis devenue un robot, de Nadia Coste (2019)

Comment je suis devenue un robot (couverture)Deux voix. Margot qui, suite à un accident, perd un pied et une main et qui doit réapprendre ce corps mutilé. Ambre, sa meilleure amie, déterminée à l’aider à se reprendre en main et à accepter son corps… tout en affrontant ses propres soucis, ses propres interrogations.

Un récit plutôt court (200 pages), mais efficace et intelligent. J’ai beaucoup apprécié le temps passé aux côtés de ces deux adolescentes et les suivre dans leurs émotions, leurs questionnements, leur cheminement. On ne tombe pas dans le pathos sans jamais nier les souffrances – quelle qu’en soit la source.

Un récit sensible et touchant, triste mais plein d’espoir, féministe et intimiste sur le handicap, sur les combats du quotidien, sur le regard des autres et celui que l’on porte sur soi.

Sur le même sujet : l’excellent Un si petit oiseau de Marie Pavlenko.

« – Tu crois vraiment que j’aurais pu me transformer en robot tueur ? me demande-t-elle d’un ton amusé avant de se figer d’un coup.
– À quoi tu penses ?
– Au fait que je me transforme vraiment en robot. Sans émotions, et avec des pièces mécaniques.
 »

Comment je suis devenue un robot, Nadia Coste. Syros, coll. Tempo, 2019. 201 pages.

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Les enfants des Feuillantines, de Célia Garino

Les enfants des Feuillantines (couverture)Une arrière-grand-mère de cent six ans, sept enfants de deux à seize ans, un cochon, un lapin et un perroquet, voilà le petit monde qui cohabite plus ou moins joyeusement aux Feuillantines sous la garde de Désirée, vingt-quatre ans.

Forcément, dans ce type de romans, les personnages sont très attachants. Ils et elles sont du caractère, quel qu’il soit (plus ou moins démonstratif, colérique, optimiste, révolté, amer…) et on se prend aisément d’affection pour cette famille déglinguée unie par des liens de sang et par des histoires familiales tragiques. Il y a beaucoup de tendresse dans cette histoire, d’amour aussi entre ses cousins-cousines qui s’insupportent et s’adorent mutuellement, mais aussi des passages très durs. Les chapitres racontant le harcèlement scolaire m’ont été presque insoutenables étrangement, tant cette violence verbale et physique me sidère. L’autrice parvient à aborder de nombreux sujets – l’amour fraternel, l’abandon et la peur de celui-ci, la famille, les responsabilités, etc. – sans tomber dans le pathos ni surcharger son roman. L’équilibre est parfaitement trouvé entre loufoquerie et crédibilité.
Il s’agit donc d’un roman très sympathique, qui fait passer un excellent moment, mais auquel je reprocherais un petit manque d’originalité. Après des romans comme ceux de Marie-Aude Murail (Oh, boy !, Simple…), comme Dysfonctionnelle, comme Quatre sœurs, j’ai retrouvé cette recette qui marche – il n’y a rien à redire là-dessus – mais dont je connaissais déjà la saveur : ce mélange d’humour et de drame, saupoudré d’une bonne dose d’attendrissement.
De plus, la fin m’a quelque peu dépitée, je l’ai trouvée un peu fade, un peu décevante, je n’ai pas été perméable à l’émotion qu’elle devait sans doute générer.

Un quotidien haut en couleurs avec une vie collective turbulente et des personnages à l’intériorité fouillée. Une très chouette lecture dans laquelle on se glisse avec plaisir.

« Peut-être qu’on n’a pas beaucoup d’argent, que je me tue à la tâche, que je les élève mal, qu’ils vivent avec un cochon, un perroquet et un lapin, une arrière-grand-mère qui tient plus du meuble que de l’être humain, mais ils sont heureux, ici. Aucun autre foyer ne les rendrait aussi heureux. Nous sommes une fratrie. »

Les enfants des Feuillantines, Célia Garino. Sarbacane, coll. Exprim’, 2020. 468 pages.

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Il fallait que je vous le dise, d’Aude Mermilliod (2019)

Il fallait que je vous le dise (couverture)Après ma lecture de l’excellent Chœur des femmes, j’ai eu envie de découvrir le précédent roman graphique d’Aude Mermilliod qui, je l’ignorais, fait également participer l’auteur Martin Winckler.

Deux récits s’articulent autour de la thématique de l’avortement. Tout d’abord, l’autrice-dessinatrice raconte son expérience personnelle : le choix, la prise en charge médicale, les émotions et les regards des autres… Vient ensuite celle du médecin : la parole des femmes de son entourage, sa formation médicale, son implication au centre de planification, l’évolution de son regard sur les femmes venant avorter, sur l’implication des hommes, etc.
Une fois encore, le résultat est un roman graphique touchant et sensible qui apporte un regard professionnel et plein d’empathie sur un sujet qui reste délicat. Le médical et le personnel s’entremêlent dans ce récit intelligent et bienveillant. Le tout est agréablement narré, rondement mené et fait le lien avec Le chœur des femmes, Martin Winckler racontant le contexte d’écriture, ses objectifs, sa volonté de faire perdurer la voix des femmes rencontrées dans sa pratique quotidienne et de transmettre ses prises de conscience personnelle.
Une très belle lecture.

Il fallait que je vous le dise, Aude Mermilliod. Casterman, 2019. 160 pages.

Missouri 1627, de Jenni Hendriks et Ted Caplan (2019)

Missouri 1627Veronica Clarke est une élève modèle : major de promo, membre de l’équipe de volley, future étudiante à Brown, populaire, etc. Sauf qu’elle est enceinte. Adieu avenir radieux. Une seule solution : une clinique d’Albuquerque à 1627 kilomètres de chez elle. Pour l’y conduire : son ancienne meilleure amie, Bailey Butler.

J’avoue que j’avais quelques doutes à la lecture du synopsis. Le côté road-trip un peu barré, ça peut fonctionner ou pas. Heureusement, le voyage s’est bien passé ici. Enfin, pas toujours pour les deux filles, mais pour moi. Certes, j’ai eu l’impression que les déboires en série étaient un peu trop rapprochés pour être totalement crédibles. Mais c’est aussi ce qui confère du piquant à ce livre, ce qui fait que l’on enchaîne les chapitres pour savoir comment elles vont se sortir de chaque mauvais pas pour continuer leur chemin.
Le côté humoristique vient adoucir le sujet fort sérieux de l’avortement. Cela ne le décrédibilise pas, mais apporte un souffle d’air frais et offre une bonne répartition de gravité et de légèreté, de joie et de tristesse, d’adolescence insouciante et de réflexions matures. D’autres sujets sont également abordés comme ceux du consentement, de la famille, de la religion, de l’amitié…

De plus, ce qui fonctionne très bien, c’est le duo Veronica-Bailey. Autrefois meilleures amies, leurs routes se sont séparées au lycée quand Veronica est devenue cette fille idéale, machine à bonnes notes, quand Bailey est devenue trop excentrique, trop colérique, trop sombre. Cet improbable voyage est l’occasion pour elles de se redécouvrir, de se retrouver, de se pardonner.
Leurs différences ne tournent cependant pas à la caricature. Veronica fait parfois preuve de cran et d’audace tandis que Bailey a évidemment des failles à nous révéler. J’ai vraiment aimé la complémentarité et l’alchimie de ces deux filles aux portraits tracés avec justesse.
C’est aussi un voyage initiatique pour Veronica. Cette occasion de réfléchir aux années passées et aux choix effectués va transformer son regard sur elle-même et sur ce qu’elle considère comme important.
Si Veronica et Bailey trouveront bien des obstacles pour leur mettre des bâtons dans les roues, elles feront également quelques rencontres teintées de bienveillance et de compréhension : ces instants qui font du bien et permettent de contrebalancer la méchanceté, l’égoïsme ou les convictions dévastatrices de certain·es.

Un roman divertissant et bien dosé : un équilibre entre le sérieux de la thématique et le fol enthousiasme qui parcourt ce périple, entre la raison de Veronica et l’insouciance apparente de Bailey, entre le jeu perpétuel des apparences et la sincérité que peuvent offrir certaines rencontres. Si certaines péripéties sont parfois un chouïa trop rocambolesques, Missouri 1627 n’en est pas moins une lecture agréable et vite dévorée.

« Tu t’enfuis au moindre problème parce que tu as peur de casser ton image. Parce que tu as besoin que tout le monde te trouve parfaite. Tu as un B à un devoir ? Tu prétends que tu étais malade et tu réclames une seconde chance. Ton mec est un connard ? Tu fais semblant d’organiser un week-end en amoureux, avec photos à l’appui, pour que tes amies ne se doutent de rien. Les parents de ta meilleure amie divorcent et elle est un peu perturbée ? Tu la largues pour des espèces de robots surdoués ! »

« Bientôt, mes parents, mes amis, tout le monde apprendra la vérité, et il ne restera plus rien de la Veronica Clarke d’avant.
Oubliées mes excellentes notes et mon investissement dans le conseil des étudiants.
La seule chose que l’on retiendra de moi, c’est que je me suis fait avorter.
 »

Missouri 1627, Jenni Hendriks et Ted Caplan. Bayard, 2021 (2019 pour l’édition originale). Traduit de l’anglais (États-Unis) par Sidonie Van den Dries. 365 pages.

Je suis ton soleil, de Marie Pavlenko (2017)

Je suis ton soleil (couverture)L’année de terminale a à peine commencé que le « théorème de la scoumoune » s’abat sur Déborah. Rien que des bottes grenouilles à se mettre aux pieds, un chien obèse, puant et bavant à sortir, un père soi-disant overbooké qui trouve le temps de se balader avec une superbe brune, une mère qui passe ses soirées à découper des magazines, une meilleure amie qui ne parle que de son nouveau petit ami… L’année s’annonce brillante.

J’ai découvert Marie Pavlenko en 2015 avec l’excellent La Mort est une femme comme les autres et Je suis ton soleil confirme que c’est une autrice que j’ai très envie de suivre.

Dès le premier chapitre, nous sommes liées à Déborah, elle nous entraîne dans les rues de Paris pour partager cette dernière année au lycée. Autour d’elle des personnages tout aussi sympathiques – ses deux nouveaux amis, sa meilleure amie (qui a su me surprendre et m’attendrir), ses parents, sa libraire préférée, ses profs… et son chien de la honte !
Humour et sensibilité sont les maîtres-mots de ce roman extrêmement tendre. On savoure les phrases, les répliques, les situations. Marie Pavlenko dédramatise des sujets lourds (que je ne préciserai pas pour vous laisser la surprise) avec une incroyable justesse. Déborah analyse les gens et ses déboires avec beaucoup d’esprit. Une légère distance et une verve décapante et pince-sans-rire. C’est fin et désopilant.

L’identification est immédiate et l’attachement irréversible. On est joyeuse avec Deborah, on souffre avec elle, on se met en colère avec elle, bref, on vit les hauts et les bas de la vie avec elle. Elle est le reflet de nos réalités, imparfaite, impulsive, touchante, désabusée et néanmoins pleine d’espoir. Râler après le chien qu’on aime très fort malgré tout, traîner en pyjama, manger des pâtes, dire des choses et le regretter après, rester parfois bouche bée et manquer de répartie, toujours avoir un livre dans son sac, comment ne pas s’y reconnaître ?

C’est un livre dans lequel on se projette, un livre qui fait du bien.
Un livre avec des amis comme on en rêve, une vie comme on l’espère.
Un livre qui réchauffe le cœur, illumine le quotidien et offre un peu d’optimisme.
Un livre que l’on est triste de refermer à l’idée de quitter Déborah, et Jamal, et Victor, et les autres. Ces personnages si prégnants qui ont partagé notre vie le temps d’une lecture.

En outre, ce livre est un bijou pour celles et ceux qui aiment les mots, les livres et les jolies phrases. Outre la poésie drolatique de la plume de Marie Pavlenko, c’est également l’occasion de s’amuser en traquant toutes les références littéraires cachées ici et là. Dans les noms des personnages (le nom de famille de Déborah est Dantès, la copine de son ami Victor (Gary est son patronyme) s’appelle Adèle, prénom de la femme et de l’une des filles de Victor Hugo…), dans les titres de chapitres (3 : « Déborah veut mourir, bercée par la vague de la mer tempétueuse », 6 : « Déborah se demande si ces amants-là, qui ont vu deux fois leurs cœurs s’embraser, c’est pas du pipeau », 16 : « L’angoisse atroce, despotique, sur le crâne incliné de Déborah plante son drapeau noir », etc.) ou encore dans le texte (Harry Potter, Victor Hugo…).

Lumineux, hilarant, profond. Magnifique et tendre. Bouleversant. Je suis ton soleil est un texte superbe à ressortir les jours où la pluie s’installe à l’intérieur de soi. La vie avec ses orages, ses grisailles et ses rayons de soleil.

 « ☀ Qui est Éloïse?
Ma meilleure copine, la sœur dont j’ai toujours rêvé, une fille géniale. Bien sûr, madame Soulier, notre prof de SVT, ne partage pas mon avis. Elle a écrit sur son bulletin qu’Éloïse est « l’élève la plus nulle que j’ai jamais connue de toute ma carrière de professeur SVT. Un bocal à la place du cerveau. Elle mériterait d’être disséquée. » Je m’en fous. J’aime son côté fêlé. »

« J’ai achevé la cartographie d’une île inconnue. J’en faisais le tour depuis plusieurs semaines, mais il me manquait un bout. Désormais, j’ai l’intégralité de l’île Jamal en tête. »

« Je reprends Victor Hugo dans une sorte de bouillabaisse personnelle. Je suis transportée mieux que sur un tapis volant, mais je lui en veux. Hugo abuse grave. Il se fout de moi, il m’assassine, il me torture. Il est mort depuis longtemps, et pourtant, par un miracle un peu timbrée, il est entré dans ma tête. »

« Je vais finir vieille fille. Sur ma tombe, on lira :
« Ci-gît Déborah, la fille qui aimait les grenouilles. Las, aucune n’eut la décence de se transformer en prince charmant. » »

« Il faut une oreille pour faire des confidences. Sans écoute, on se tait. »

Je suis ton soleil, Marie Pavlenko. Flammarion jeunesse, 2017. 466 pages.

Challenge Voix d’autrice : un livre que je voudrais offrir à tout le monde