Parenthèse 9e art : cinq mini-chroniques de mes lectures graphiques du mois de mars

Un melting-pot avec un peu de tout : de l’humour, du très sérieux, des biographies, du fantastique, de l’onirique, des lectures excellentes, d’autres un peu moins…

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 Le Baron,
de Jean-Luc Masbou
(2020)

Le Baron (couverture)C’est un Baron de Münschhausen vieillissant qui découvre le livre qui a été écrit sur ses aventures. S’il en est évidemment fier, cet ouvrage le confronte également à la mort, le transformant en personnage légendaire, en héros de papier.

La Baron ici mis en scène est éminemment sympathique : fantasque, bon vivant, affabulateur, conteur vibrant, sa bonne humeur et son plaisir des histoires sont communicatifs. Avec ses aventures loufoques, oniriques et exotiques, il fait briller les regards et rêver les cœurs. Il donne à voir la vie avec émerveillement et imagination, et peu importe si tout n’est pas tout à fait vrai après tout. Enchâssées dans le récit principal, ces historiettes se détachent grâce à des styles graphiques divers qui apportent une variété très plaisante.

Une bande dessinée colorée et pétillante qui, si elle est une ode aux histoires et aux rêveries, parle également de postérité et d’héritage.

Le Baron, Jean-Luc Masbou. Delcourt, 2020. 72 pages.

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Enferme-moi si tu peux,
d’Anne-Caroline Pandolfo (scénario) et Terkel Risbjerg (dessin)
(2019)

Enferme-moi si tu peux (couverture)Augustin Lesage, Madge Gill, le Facteur Cheval, Aloïse, Marjan Gruzewski et Judith Scott : six histoires de vie d’artistes hors du commun, ces femmes et ces hommes que rien ne prédestinait à l’art et que l’on regroupe sous cette appellation d’« Art brut ».

Un roman graphique plein de découvertes (j’avoue que je ne connaissais que le facteur Cheval…) et de récits bouleversants. On découvre avant tout leur vie et la naissance de leur art : leurs œuvres sont esquissées par l’illustrateur, mais si vous voulez en voir davantage, ce sera l’occasion d’une petite recherche internet. J’ai été particulièrement émue par leur imagination, leur art leur offrant une porte de sortie d’un réel trop dur ou traumatisant.

J’ai trouvé cette lecture très instructive et touchante, mais je regrette de n’avoir pas accroché plus que ça au style graphique de Terkel Risbjerg en dépit de quelques pages marquantes et originales.

Enferme-moi si tu peux, Anne-Caroline Pandolfo (scénario) et Terkel Risbjerg (dessin). Casterman, 2019. 168 pages.

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 Pénis de table : sept mecs racontent tout sur leur vie sexuelle,
de Cookie Kalkair
(2018)

Pénis de table (couverture)

En dépit d’un titre que je trouve plutôt moyen, il se trouve que j’avais entendu du bien de cet ouvrage et j’ai donc décidé de passer outre mon blocage « couverture et titre » pour lui laisser une chance.

Ça se lit bien, c’est décomplexé, les sujets abordés sont variés, mais je dois m’avouer un peu déçue : je m’attendais à quelque chose d’un peu plus profond. Or, le ton léger de cette BD fait que l’on retombe dans les idées que je pensais voir balayées. De plus, le côté « on se retrouve tous, on se charrie, on déconne entre potes » fait que je suis quelque peu dubitative sur la véracité de certains témoignages. De même, les profils m’ont paru trop similaires, ce qui est un peu dommage : ils ont tous plus ou moins le même âge et, en dépit de sexualités différentes, ont tous vécu peu ou prou les mêmes expériences.

Les dessins ne m’ont pas transportée, mais ça n’aurait pas été grave si le fond avait été plus consistant. Clairement, je m’attendais donc à quelque chose d’un peu plus creusé.

Pénis de table : sept mecs racontent tout sur leur vie sexuelle, Cookie Kalkair. Éditions Steinkis, 2018. 180 pages.

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La Bête, tome 1,
de Zidrou (scénario) et Frank Pé (dessin)
(2020)

La Bête (couverture)

Voici une revisite plus mature et plus sombre du Marsupilami. Le trait de Frank Pé m’a séduite par ses visages expressifs tandis que ses couleurs donnent vie tantôt à une Belgique pluvieuse et morose, tantôt à un cocon familial plein de vie.

Après une entrée en matière bien lugubre, j’ai tout de suite aimé le fait de situer cette histoire dans un contexte historique précis – la Belgique de 1955 – avec toutes les tensions et histoires personnelles compliquées nées de la Seconde Guerre mondiale. L’occasion de développer les personnages et d’aborder des thématiques diversement cruelles. De même, avoir offert au Marsupilami un peu plus de sauvagerie constitue l’un des attraits de ce roman graphique : ce n’est plus une petite créature comique, mais un animal puissant et potentiellement dangereux.

Cette histoire recèle des moments bien tristes tout en gardant une certaine fraîcheur grâce à François et son amour des animaux ou au professeur Boniface et son apparemment inépuisable enthousiasme. Les personnages sont attachants, l’histoire forte, certains passages poignants : c’est une très jolie réussite.

La Bête, tome 1, Zidrou (scénario) et Frank Pé (dessin). Dupuis, coll. Grand public, 2020. 155 pages.

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L’épouvantable peur d’Épiphanie Frayeur, tome 2, Le temps perdu, de Séverine Gauthier (scénario) et Clément Lefèvre (dessins) (2020)

L'épouvantable peur d'Epiphanie Frayeur, T2 (couverture)

J’avais adoré le premier tome dans lequel une fillette apprenait à vivre avec sa peur et la parution d’une suite m’avait laissée dubitative tant le premier opus se suffisait à lui-même. Or, j’ai été séduite par ce second tome dans lequel Épiphanie tente de rattraper le temps perdu et de vivre l’enfance qu’elle n’a pas vécue à cause de sa peur.

C’est donc un nouveau voyage initiatique qu’elle entame, toujours à l’aide de son étrange guide flottant dans les airs par manque de sérieux. D’un parc d’attraction désaffecté à un cinéma rempli de visages familiers en passant par un coffre à jouet et une cabane dans les arbres, Épiphanie continue son périple pour trouver en elle-même les solutions à ses problèmes.

Une fois encore, c’est finalement très réussi. J’ai été très touchée par ce regard en arrière, ce sentiment de regret des choses ratées, ce cheminement vers l’apaisement. Encore une fois, ce tome regorge de métaphores malignes, de clins d’œil et de références, pour une lecture des plus réjouissantes.

Onirique, profond, riche, ce second tome tient toutes ses promesses tandis que Clément Lefèvre m’a une fois de plus charmée par la douceur de ses illustrations.

L’épouvantable peur d’Épiphanie Frayeur, tome 2, Le temps perdu, Séverine Gauthier (scénario) et Clément Lefèvre (dessins). Éditions Soleil, coll. Métamorphose, 2020. 80 pages.