Quartier Western, de Téhem (2010)

Quartier Western (couvertureSouvenir de vacances avec Quartier Western ou La Réunion des années 1970 vue en BD par Téhem (Téhem qui est aussi l’auteur des petites bandes dessinées Tiburce qui mettent en scène un petit Blanc des Hauts farceur et désobéissant).

Dans Quartier Western, on suit plusieurs personnages sur un temps très court (une journée de 1976).  Le « prologue » les met tous en scène une première fois dans la boutique du Chinois Ha-Fok tandis que les trois chapitres suivants s’attachent des personnages bien précis pour nous faire suivre leurs déambulations. Les mêmes événements reviennent donc plusieurs fois perçus de différents points de vue. Enfin, un quatrième chapitre les réunit tous une dernière fois pour la conclusion de cette journée épique.
Cette construction est très entraînante. Tout se met en place peu à peu et nous sommes les seuls à posséder toutes les clés de ce récit. Que fait tel personnage à tel endroit, comment telle chose est-elle arrivée, etc.

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Si son dessin peut, à première vue, sembler gentil avec ces personnages animaux, Téhem propose en réalité un portrait complet de la Réunion dans toute sa mixité : il croque les différentes ethnies (Cafres, Créoles, Zoreils, Malbars, etc.), le catholicisme inculqué avec des baffes et l’hindouisme, la richesse de certains et la pauvreté des autres… Ses personnages parlent tous créoles et l’usage de cette langue musicale contribue énormément à nous faire voyager jusqu’à la Réunion.

Quant aux « héros » et à l’intrigue, ils ne le sont pas du tout, gentils. Le rhum coule à flot et fait naître bien des démons (coup de cœur pour le caméléon au cerveau rongé par ses rhums arrangés maison), les différends se règlent à coups de sabre à canne, le curé court après ses jeunes ouailles délinquantes. Malgré tout, on ne peut pas leur en vouloir et ils sont tous attachants à leur façon. Ils tentent tous de se dépatouiller comme ils peuvent dans une société pas toujours facile : Téhem ne fait pas l’impasse du racisme, de la pauvreté, ni même des viols…

Qui aurait cru qu’une BD avec des animaux puisse être à la fois  aussi drôle, aussi grinçante et apparemment aussi juste – puisque les libraires réunionnais m’ont dit qu’elle leur avait rappelé leur enfance – ? Quoi qu’il en soit, le dessin en noir et blanc de Téhem donne vie à des personnages très différents et très expressifs et le scénario parfaitement maîtrisé nous plonge dans ces tranches de vies le temps d’une journée inoubliable.

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Quartier Western, Téhem. Des bulles dans l’océan, 2010. 125 pages.

Ma vie avec Liberace, de Steven Soderbergh, avec Michael Douglas et Matt Damon (Etats-Unis, 2013)

Ma vie avec LiberaceAttention, je révèle quelques éléments de l’histoire.

Ce film est tiré du livre Behind the candelabra : my life with Liberace écrit par Scott Thorson (Matt Damon). Il y raconte l’histoire d’amour qu’il a vécue pendant cinq ans avec le pianiste Liberace (Michael Douglas) dans la seconde moitié des années 1970.

Pour ceux qui ne connaissent pas Liberace – comme c’était mon cas avant la sortie du film –, c’était un pianiste très célèbre et très médiatisé aux États-Unis dans les années 1950 et 1970. Né en 1919, il a appris très jeune le piano d’une manière très classique et conventionnelle. Il a développé par la suite des shows hors du commun, emplis de paillettes, de kitsch et de candélabres (d’où le titre du livre et du film en version originale). Il aimait porter des manteaux avec traînes de plusieurs mètres de long, entrer sur scène en limousine et finalement s’envoler au cours du spectacle.

Liberace était non seulement un showman d’exception, mais également un homme d’affaire redoutable gérant restaurants, hôtels, boutiques, etc. Un tel homme ne laissait personne nuire à sa réputation et il attaqua chaque journal le déclarant homosexuel. Et il paraît incroyable qu’il est pu nier son homosexualité et être cru. L’un des personnages dit à Scott que personne dans le public ne le croit homosexuel. Etait-ce la réalité ? Si c’est le cas, je crois que je serai toute ma vie stupéfiée par cette capacité que la race humaine a pour ignorer ce qui la dérange.

En recherchant qui était Liberace, en regardant quelques photos avant la sortie du film, je me doutais que ce que j’allais voir allait être too much. Ce ne pouvait être autrement pour coller à la personne – au personnage, devrais-je peut-être dire – qu’était Liberace. Effectivement, c’est kitsch. Ça brille, ça étincelle, les strass tapent dans l’œil du spectateur pendant près de deux heures (c’était parfois un peu long, je l’avoue, mais un sursaut d’énergie venait rapidement relancer et le film, et mon attention). Il a fallu que je me dise que c’était vraiment comme ça, que c’était Liberace pour pouvoir accepter tant de mauvais goût (les paillettes et moi…).

Je n’ai rien à dire sur l’interprétation des deux acteurs principaux qui sont juste excellents, mais qu’est-ce que Liberace et Scott ont pu m’agacer parfois !

On sent immédiatement que Liberace est égocentrique, mais, au début de cette relation, il est également émouvant par sa solitude, par sa sollicitude et sa tendresse envers Scott. Ce que j’ai trouvé extraordinaire de la part de Soderbergh, c’est que, aussi horripilant et nombriliste qu’il soit, on ne tombe jamais dans une caricature. Il reste un être humain. Le luxe et la célébrité n’apportent pas tout et, même entouré, regardé, admiré par tout un pays, on peut être aussi seul qu’en vivant retiré. Il connaît la peur de mourir et – peut-être davantage ? – celle de vieillir.

C’est davantage un film sur Scott à mon avis. L’évolution de Liberace – déjà connu, médiatisé, déjà une star se montrant comme un séducteur de ces dames et cachant ses jeunes amants – est minime au vu de celle de Scott. Cette dernière est stupéfiante : c’est celle d’un jeune homme naïf et ébloui vêtu en jean, chemises et bottes de cow-boy qui devient en quelques mois un gigolo aigri et esseulé. La situation de Scott, faite de solitude, de rancœur et de drogues, est terriblement malheureuse. Le monstre que Liberace peut parfois être et l’attraction qu’il suscite en sont la cause et il ne sera jamais aidé par son amant pour redevenir celui qu’il fut un jour. (Mais en même temps, il ne l’a pas un peu cherché ? Quelle idée d’accepter de se faire refaire la figure ainsi ! C’est tellement loin de moi que je ne peux l’imaginer, même par amour.) Matt Damon a incroyablement incarné ce personnage et  sa transformation.

Les deux acteurs donnent une interprétation sans retenue et donnent réellement vie à ces deux hommes. (Et je ne suis pas spécialement admirative de ces acteurs, donc je ne suis ici influencée en aucune manière par des rôles précédents.)

Ce n’est pas vraiment un biopic, juste une tranche de la vie de Liberace même si l’on assiste à son décès dû au Sida en 1987 puisque Scott revient le voir. C’est une histoire d’amour qui s’est mal finie certes, mais qui donne également lieu à des moments intenses, drôles ou tendres.

Malheureusement, il ne passera pas sur les grands écrans américains car le film serait « trop gay », pas assez grand public, trop sulfureux. Eh non, ce n’est pas une blague…

Liberace