Parenthèse 9e art : Traquemage, Dans la tête de Sherlock Holmes et Éclat(s) d’âme

Aucune thématique dans ce fourre-tout : de la BD française et du manga japonais, de l’aventure et du drame, du comique et du sérieux…

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Traquemage (3 tomes)
de Wilfrid Lupano (scénario) et Relom (dessin) (2015-2019)

Cette série bouclée en trois tomes m’a fait passer un délicieux moment de lecture ! Voici l’histoire de Pistolin, éleveur de cornebiques et petit producteur de pécadous, un fromage authentique (comprendre « particulièrement odorant »), qui, exaspéré de voir son troupeau boulotté par les armées des mages, décide d’aller les exterminer.

De la fantasy rurale et irrévérente – ici, les fées virent alcooliques et les sirènes se font à moitié bouffer (la moitié poisson, je précise) – et un humour assez décapant. Entre les mésaventures loufoques de Pistolin et la tête blasée de Myrtille la cornebique, ce fut un divertissement efficace et amusant.

Si je regrette cette conclusion un peu rapide qui précipite la fin de cette excellente lecture (dont j’aurais bien voulu un quatrième tome), j’apprécie le fait qu’il s’agisse d’une série achevée et bouclée qui ne perd pas de sa saveur en cours de route !

Traquemage (3 tomes), Wilfrid Lupano (scénario) et Relom (dessin). Delcourt, 2015-2019. 56 pages par tome.

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Dans la tête de Sherlock Holmes, tome 1, L’affaire du ticket scandaleux
de Cyril Lieron (scénario) et Benoît Dahan (dessin) (2019)

Dans la tête de Sherlock Holmes, tome 1 (couverture)Un médecin amnésique trouvé errant en chemise de nuit, une poudre mystérieuse, un ticket de spectacle, voilà Sherlock Holmes et le docteur Watson sur les traces d’un complot des plus étranges…

Je me suis régalée avec cette enquête de Sherlock Holmes qui nous plonge, plus que jamais, dans l’intellect du célèbre détective. Page après page, d’une case à l’autre, il nous fait visiter sa « petite mansarde » tout en suivant le fil de ses pensées, de ses raisonnements et déductions. On le voit arpenter ses bibliothèques mentales pour piocher dans les connaissances engrangées, visualiser les témoignages sous forme de pièces de théâtre, peindre dans son esprit un portrait-robot, suivre un fil rouge ici bien visible. C’est dans ce cerveau optimisé, cet intérieur bien rangé de faits, d’indices et de savoir, que nous plongent les auteurs.

La mise en page et l’agencement des cases diffèrent au fil de l’ouvrage pour un résultat soigné, passionnant et particulièrement original. Le trait de de Benoît Dahan est atypique, avec des faciès très marqués, et j’ai tout de suite adoré ces pages couleur sépia.

Bref, me voilà absolument enchantée de cette mise en image de l’un des plus fameux cerveaux de la littérature.

 Petit bémol : ce n’est pas une histoire complète ! (encore une fois…) Je ne m’y attendais pas (ou plutôt, j’ai commencé à m’y attendre en voyant fondre le nombre de pages restantes pendant que le mystère n’allait que s’épaississant) et la césure a été déroutante, brutale et frustrante. Dommage car cela casse le rythme, sans parler du fil de l’enquête !

Dans la tête de Sherlock Holmes, tome 1, L’affaire du ticket scandaleux, Cyril Lieron (scénario) et Benoît Dahan (dessin). Ankama, 2019. 48 pages.

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Éclat(s) d’âme (4 tomes)
de Yuhki Kamatani (2015-2018, série terminée)

Lorsqu’un de ses camarades de classe découvre un porno gay sur son smartphone, Tasuku ne pense plus qu’à mourir. Or, à l’instant T, il voit une femme s’élancer dans le vide à l’endroit où il pensait faire de même. Sauf que celle-ci est toujours parfaitement vivante… et est l’hôte d’un salon de discussion où se réunissent des personnes LGBT+. Dans ce monde safe, Tasuku va pouvoir découvrir qui il est tout en retrouvant une confiance insoupçonnée.

En dépit de quelques difficultés parfois à distinguer certains personnages masculins, Éclat(s) d’âme est une série poétique et sensible abordant le sujet de l’identité, du genre, de la sexualité et de la différence.
Sa galerie de personnages éclectiques présente différentes personnalités et différentes sensibilités. Diverses façons de vivre sa vie, au grand jour ou en secret, seul·e ou accompagné·e. J’ai également aimé la façon de souligner que la souffrance pouvait naître d’un excès de bienveillance, douloureuse dans son innocence, aussi bien que par des gestes ou des mots ouvertement blessants.

 Les sujets sont bien traités, avec pertinence et réalisme. Yuki Kamatani dénonce la violence du monde, les stéréotypes, les combats intérieurs et extérieurs, sans lourdeur et sans pathos, mais avec une empathie puissante. Les moments que vit Tasuki au cœur du salon de discussion apportent une douceur et une parenthèse bienvenues, tant pour lui que les lecteur·rices.

Si le premier tome m’avait plu, mais sans enthousiasme particulier, les trois tomes se sont révélés très bons. J’ai fini par me sentir impliquée et par m’attacher aux personnages. C’est très fin, très juste et assez poignant par moment.

Éclat(s) d’âme (4 tomes), Yuhki Kamatani. Éditions Akata, 2018 (015-2018 pour les sorties originales). Traduit par Aurélien Estager. 178 pages (T1), 162 pages (T2), 178 pages (T3), 242 pages (T4).

Freaks’ Squeele (7 tomes), de Florent Maudoux (2008-2015)

À la Faculté des Etudes Académiques des Héros (F.E.A.H.), Chance, Xiong Mao et Ombre entament leur cursus. Ces trois nouveaux étudiants vont découvrir les joies de la vie universitaire, la concurrence sans pitié entre étudiants, les professeurs sadiques et le stress des examens. Une université pour apprendre à gérer son image et obtenir un permis de super-héros : il fallait y penser.

Si j’ai lu les trois premiers tomes avec plaisir mais aussi avec le sentiment que toute cette histoire serait rapidement oubliée, j’ai eu la surprise de me retrouver complètement attrapée et j’ai dévoré les tomes suivants, avide de poursuivre cette aventure certes, mais surtout de retrouver ces personnages. L’affectif est important pour moi dans mes lectures, et là, il a plutôt bien fonctionné.
Chance, la jeune démone, n’y est pas pour rien. J’ai adoré son enthousiasme, son insouciance, sa légèreté. Loin d’être bête, elle prend la vie du bon côté, une façon d’être qui s’est révélée réjouissante d’un bout à l’autre de la série. Sa relation toute en contraste avec Funérailles, personnage étrange et mutilé (archétype du grand ténébreux mystérieux, sauf que celui-là n’a pas le physique d’un tombeur et semble davantage flirter avec Thanatos plutôt qu’Eros) contribue à la luminosité du personnage.
Sa camarade Xiong Mao en semble du coup tout effacée malgré la force et l’intelligence de cette fille de parrain chinois. Elle que je croyais au début de ma lecture être l’héroïne principale a finalement cédé le pas à Chance. Le fait que son histoire soit développée dans une série à part (à l’instar de Funérailles) contribue peut-être à réduire non pas son importance mais sa présence, notamment par le biais d’un passé plus approfondi, dans l’histoire.
Seul personnage masculin de ce trio, Ombre est quant à lui un personnage attachant qui renverse un peu les clichés sexistes : malgré sa carrure imposante, Ombre est un cuisinier hors-pair et lui seul dispose d’assez d’amour à offrir pour donner vie à de petits personnages en biscuit, il liera d’ailleurs avec l’un d’eux un lien de tendresse filiale très fort. J’ai longtemps attendu d’en savoir davantage sur lui (son passé, l’origine de sa forme de loup, ses motivations…) car quelques mystères ont été rapidement posés dans les premiers tomes. Quelques interrogations subsistent malgré les éclaircissements dispensés au fil de la série.
Je vais m’arrêter là même s’il y a bien d’autres personnages à découvrir, à aimer ou non dans ces BD : ma préférence va à Funérailles et Scipio, mais il y a aussi Valkyrie, Sablon, Gunther, Saint-Ange et Claidheamor, etc.

Mais avant d’être réellement intéressée par les personnages, ce qui m’a beaucoup amusée – et donné envie de poursuivre ma lecture – avec Freaks’ Squeele, ce sont les références et autres clins d’œil.
Références à l’imaginaire collectif tout d’abord. Il y a là tout un bestiaire puisé parmi les figures des histoires populaires, des contes, des religions ou des mythologies. Bonhommes en pain d’épices, grand méchant loup (pas forcément si méchant), sorcière, changelin, vampire et squelette, nains chercheurs de pierres précieuses, ange et démon, etc. De quoi se retrouver plongée dans les histoires de son enfance !
Références à la culture populaire ensuite. L’enfant a grandi et a découvert les films, les séries, les jeux… et ça devient un jeu de retrouver ses allusions plus ou moins discrètes. Elles peuvent prendre plusieurs formes : un nom de personnage ou d’objet qui fait le lien avec une autre œuvre littéraire, cinématographique, télévisuelle ou autre (Le Seigneur des Anneaux, Supernatural, les Monty Pythons, Les loups-garous de Thiercelieux…), une silhouette familière dissimulée parmi les personnages de Freaks’ Squeele (Clint Eastwood, Charlie des livres Cherchez Charlie, Wolverine, des monstres qui rappellent le « Sans-visage » de Chihiro…), une image qui reprend un plan de tel ou tel film (Totoro, Predators, Hamlet…), etc. Autre fait amusant : tout le monde ne verra pas les mêmes références selon ses connaissances et ses goûts. Par exemple, ce n’est pas moi qui ai identifié Predators !

Sinon, en ce qui concerne l’histoire en général, j’ai trouvé qu’il y avait une fracture que je situerais entre les tomes 3 et 4.
L’univers des trois premiers opus m’a rappelé le film Monstres Academy pour des raisons évidentes : l’univers de la fac, les personnages qui évoquent plus souvent des monstres que des super-héros, le fait que notre trio ne soit pas parmi les meilleurs élèves de leur promotion dans les premiers tomes, un concours qui pousse des équipes estudiantines à s’affronter. L’humour y est présent à chaque page que ce soit dans les dialogues, les situations parfois loufoques ou le comportement très extraverti de Chance.
Or, tout prend une autre dimension dans la suite. Mine de rien, intrigue et personnages s’approfondissent. Il n’est plus vraiment temps de parler des cours quand c’est toute la fac qui est menacée. Autant cela m’a plu car cela complexifie les enjeux, mais malheureusement, cela devient parfois un peu brouillon dans les derniers tomes (le dernier tome seulement ?) comme si l’auteur avait voulu dire trop de choses dans un nombre de pages limité, faisant des coupes ou des raccourcis parfois brutaux. Ça ne m’a pas gâché la lecture, mais je pense qu’il était temps que cela se termine.

Question dessin, le moins que l’on puisse dire, c’est que le résultat est fort vivant. Il y a du mouvement, du rythme, notamment certaines scènes mi-combat mi-danse. Les personnages, très expressifs, émeuvent et amusent (parfois à leurs dépens). En revanche, la représentation du physique des femmes ne propose pas de grande innovation : à l’exception de Chance qui est plutôt menue, les femmes sont plantureuses. Poitrines volumineuses et/ou fessiers tous en courbes sont légion entre Xiong Mao, Valkyrie, Lunettes… Je dois dire que cette hypersexualisation m’a parfois irritée lorsqu’elle était vraiment trop poussée.
Les éditions que j’ai lues font alterner noir et blanc et couleurs. La transition est parfois si subtile que je réalisais quelques pages plus loin que nous étions passé à la couleur (en revanche, le passage au noir et blanc était souvent plus violent). J’ignore les raisons de ce choix (si quelqu’un possède des éléments de réponse, je suis curieuse !), mais les deux versions m’ont convenue. Les dessins de Florent Maudoux regorgent de détails et c’est un plaisir de disséquer les planches.

Derrière ces couvertures assez appétissantes, se cache une histoire prenante entre BD occidentale, comics et manga. L’idée de l’école de super-héros était déjà assez alléchante – d’autant plus lorsque l’on comprend que la notion de « super-héros » va être un peu malmenée – et les personnages ont rendu cette aventure très agréable. En mélangeant action, humour et références multiples, cette lecture s’est révélée très ludique bien que pas inoubliable à cause de derniers tomes un chouïa chaotiques.

(Désolée, pas beaucoup de photos, il semblerait que j’ai un peu zappé d’en faire davantage et les livres sont depuis longtemps retournés à la bibliothèque…)

Freaks’ Squeele (7 tomes), Florent Maudoux. Ankama, Label 619, 2008-2015 :
– Tome 1, Etrange université, 2008, 144 pages ;
– Tome 2, Les chevaliers qui ne font plus « Ni ! », 2009, 145 pages ;
– Tome 3, Le tango de la mort, 2010, 153 pages ;
– Tome 4, Succube Pizza, 2011, 145 pages ;
– Tome 5, Nanorigines ?, 2012, 145 pages ;
– Tome 6, Clémentine, 2013, 145 pages ;
– Tome 7, A-Move & Z-Movie, 2015, 152 pages.

Challenge de l’imaginaire
Challenge de l'imaginaire (logo)

Le chevalier d’Eon, tomes 1 et 2, d’Agnès Maupré (2014 – 2015)

Le chevalier d'Eon, t1 LiaNouveau diptyque d’Agnès Maupré après Milady de Winter, Le chevalier d’Eon est enfin complet aux éditions Ankama.

Après la grande méchante des Trois mousquetaires de Dumas, Agnès Maupré revisite  la vie de Charles Geneviève Louis Auguste André Timothée de Beaumont, dit le chevalier d’Eon.

Le premier volume, intitulé Lia, raconte comment au cours d’un bal le roi Louis XV découvre le talent de d’Eon pour le travestissement et l’envoie auprès de la tsarine Elisabeth, dans une cour de Russie plutôt hostile à la France, pour négocier une alliance : il s’y rend sous le costume de Lia de Beaumont, lectrice.

Dans le second volume, Charles, le chevalier a vieilli et forci, il est maintenant en Angleterre : portant toujours jupons et corsets, il espionne les côtes de l’ennemi pour le compte de la France. Nommé temporairement ambassadeur sous la règne du roi George, il n’apprécie pas être déchu par le roi au rang de secrétaire du comte de Guerchy et les deux hommes entament un conflit ouvert. Le récit se poursuit jusqu’à la mort du chevalier, en femme, dans une grande misère.

 

Le chevalier d'Eon, t2 CharlesLe portrait d’une époque traversée, comme l’on s’y attend, par les rois, les courtisanes (dont la célèbre et décriée Pompadour), les intrigants, les ambitieux qui pullulent dans les cours. Celui de la situation politique de la France : les guerres contre la Prusse et l’Angleterre, les brouilles et réconciliations avec la Russie…

Mais encore une fois, la vision d’Agnès Maupré passe sur l’Histoire officielle et propose un récit que l’on peut presque qualifier de féministe. D’Eon, considéré comme une femme par ceux qui l’entoure lorsqu’il se travestit, contribue à changer la vision de la femme. Il le dit lui-même dans le second tome (« Je suis une figure féministe. ») après qu’une jeune femme de la cour lui ai dit que son courage et son énergie « ont fait avancer la cause des femmes ». Son ami confirme que, même s’il ne voit « pas bien l’intérêt que cela présente », il rend en effet les femmes fières de leur sexe. D’Eon sème le doute. Homme ou femme ? Serait-ce une femme ? Une femme espionne, une femme capitaine des dragons, une femme ambassadeur ? Le mystère ne fut levé qu’à sa mort, alors qu’il avait passé près de la moitié de sa vie dans des atours féminins.

 

De même, sa narration ne raconte pas des personnages historiques, mais des hommes. D’Eon, évidemment, dans sa gloire puis son déclin, plein d’ambitions, mais parfois doutant et désespérant. Mais aussi, le roi de France Louis XV, surtout dans le second volume. Un homme faible qui refuse d’aller voir la femme qu’il a aimé, la Pompadour, alors qu’elle est agonisante. Un souverain qui perd l’amour de ses sujets. Un homme avec ses turpitudes, ses hésitations, loin de l’autorité et la fermeté d’un roi.

Le second tome s’assombrit par rapport au premier. Dans sa jeunesse, D’Eon, tantôt Lia, tantôt Charles, expérimentait, voyageait, intriguait, tout à sa gloire de servir la France en dupant le monde. La vieillesse faisant son œuvre, son identité interroge, lui cause des problèmes. Descendu de son piédestal, contraint de vendre sa bibliothèque, dénigré en France, forcé de vivre sous les robes, D’Eon n’a plus le prestige qu’il avait plus tôt et, bien qu’il conserve son allant, la mélancolie le prend parfois. De son côté, le roi de France est marqué par le deuil de sa favorite et par la haine de son peuple.

 

J’ai également énormément apprécié le dessin tout en finesse et en éclatantes couleurs. Avec sa plume et ses encres, Agnès Maupré a réalisé un fabuleux travail autour des robes, des drapés, des tentures et des sols. Des détails qui font le charme d’une bande dessinée ou d’un album. Beauté également des paysages : campagne russe dans le premier, côtes anglaises dans le second.

Une belle BD qui revisite passionnément l’histoire de France et celle de ce grand, de ce pauvre, de ce mystérieux chevalier d’Eon. Dialogues plein d’esprit et couleurs vives, le tour est joué !

« La langue et l’esprit acéré, la lame vaillante, le cœur hardi, une point trop mauvaise naissance et le désir de conquérir ce que la vie ne lui a pas offert spontanément… de quoi prendre un bon départ dans l’existence. »

Tome 1

« C’est pour moi faire œuvre utile que de montrer aux soudards que les femmes savent parfois se défendre.

– Mais c’est la nature même des femmes et leur charme que d’être désarmées !

– Uniquement parce que ça arrange les hommes, sir Douglas. Passez de l’autre côté, vous verrez. »

Tome 1

« Finir par se sentir plus chez soi dans le pays que l’on était venu espionner que dans son propre pays, j’imagine que c’est le paradoxe de l’espion. »

Tome 2

Le chevalier d’Eon, tome 1 : Lia, Agnès Maupré. Ankama, 2014. 91 pages.

Le chevalier d’Eon, tome 2 : Charles, Agnès Maupré. Ankama, 2015. 124 pages.

Milady de Winter, par Agnès Maupré (2010 – 2012)

Milady de Winter T.1

Agnès Maupré revisite avec ces deux tomes parus chez Ankama l’œuvre d’Alexandre Dumas, Les Trois Mousquetaires. Mais ce n’est pas sur D’Artagnan et ses trois compagnons qu’elle fixe son regard, mais sur leur terrible et mortelle ennemie, Milady de Winter. Les 134 pages du tome 1 retrace la vie de la belle Anglaise depuis sa pendaison par son époux, le comte de la Fère (alias Athos) jusqu’à sa déclaration de guerre à D’Artagnan qui, par la ruse, s’est introduit dans son lit et a « mis à nu un secret dangereux » : Milady est marquée d’une fleur de lys. Le second tome, fort de ses 141 pages, raconte la haine de Milady pour les quatre amis, ses intrigues pour faire assassiner le duc de Buckingham jusqu’à sa mort.

Mais ce que ces bandes dessinées mettent en avant, ce sont des aspects inédits de la vie de Milady : sa rencontre avec le comte de Winter, sa grossesse ou encore sa relation avec son fils ainsi qu’avec Constance Bonacieux, sa prisonnière. Ces éléments absents des livres, Agnès Maupré les réinvente pour donner une nouvelle vie à cette célèbre méchante.

 

JMilady de Winter T.2e n’avais jamais lu Les Trois Mousquetaires bien que j’avais adoré Le Comte de Monte-Cristo ou bien La Reine Margot. Mais cette histoire de mousquetaires que j’imaginais, pour je ne sais quelle raison, comme une histoire de cape et d’épée manichéenne ne m’attirait pas du tout. Mais à force de voir Milady de Winter dans les librairies, j’ai commencé à être intriguée. Puis peu avant le Livre sur la Place 2012, j’ai vu que la dessinatrice serait l’une des invitées de la Parenthèse, bonne librairie spécialisée BD de Nancy. J’ai alors pensé « c’est l’occasion, je vais lire Les Trois Mousquetaires et si ça me plaît, je lirai Milady et j’irai voir Agnès Maupré. » Ni une ni deux, je prends mon bouquin (que j’avais acheté plus d’un an auparavant à une bourse aux livres et je me suis plongée dans ma lecture. « Plongée » est le mot car j’ai littéralement dévoré les deux livres qui composaient mon édition des Trois Mousquetaires. J’ai adoré l’histoire de ces quatre amis à la vie à la mort, avec chacun leurs qualités mais aussi leur défauts, se heurtant à la colère de Richelieu, puis de Mazarin, poursuivis par Milady ou par son fils. Et donc je suis allée chercher Milady de Winter pour retrouver ce personnage si intrigant qui, pour moi, le plus intéressant du livre, méchante charismatique, vipère dissimulée sous le masque de la beauté, femme meurtrie qui rend tous les coups, espionne meurtrière.

(Si ça ne s’appelle pas parler pour ne rien dire…)

 

Après avoir lu le tome 1, j’ai été incapable de dire si j’avais vraiment aimé ou pas. Sur le coup, je veux dire. Le dessin est assez particulier, simpliste à première vue et les personnages des mousquetaires si ennoblis dans les livres malgré leurs défauts sont ici montrés si ridicules que je suis restée perplexe. Puis j’ai acheté le deuxième tome et j’ai relu le premier pour bien me remettre dans l’ambiance. J’ai alors vu la BD sous un jour différent. Et totalement positif !

Alexandre Dumas nous montrait le monstre, Agnès Maupré nous montre la femme. Tout en suivant le récit de l’auteur, elle réalise un beau travail d’écriture pour nous montrer ce que l’on ne peut qu’imaginer dans les livres. Milady n’est plus seulement la femme machiavélique de Dumas, c’est aussi une victime qui a connu la souffrance et qui tente de se relever de ces épreuves et de fuir son passé qui la rejoint bien souvent. C’est aussi une femme qui aime, mais qui refuse de se laisser dominer par les hommes qui pourtant dominent ce XVIIe siècle, c’est aussi une femme à la recherche d’une amie qu’elle trouve en quelque sorte auprès de Constance Bonacieux, sa prisonnière (qu’elle empoisonnera tout de même pour se venger de D’Artagnan). Agnès Maupré rend à Milady sa part d’humanité en montrant que c’est la douleur qui lui a donné cette détermination et cette cruauté. De plus, elle nous la présente sous un jour totalement absent dans l’œuvre de Dumas : elle nous la montre en mère. Mère indigne peut-être, mais qui finalement aime son fils. La maternité était un sujet important pour Agnès Maupré qui tenait à montrer cet aspect de Milady (elle a expliqué ceci au Livre sur la Place pendant les dédicaces). Quant aux hommes, ils ne tiennent vraiment pas le beau rôle : lâches, ivrognes, volages, acariâtre (pour Athos), arriéré (Porthos), débauchés. En un mot : ri-di-cu-les.

Au final, un récit tragique raconté avec légèreté et violence avec un dessin à la plume et à l’encre qui, finalement, se révèle très agréable. Une très bonne découverte !

 « Ces histoires de déshonneur qui tombe sur la pécheresse comme la foudre divine ne sont que des mythes destinés à convaincre les femmes de garder leurs fesses bien sages. »

 « J’ai cru qu’il suffisait pour revivre de tourner le dos à son passé, mais il faut le fouler aux pieds, l’écraser, le brûler pour enfin renaître sur une terre aride, nette et pure comme un désert. J’ai cru aussi que le temps cicatrisait les blessures, naïveté ! Chaque nouvelle plaie rouvre les anciennes. Elles s’additionnent, se superposent, et l’on finit exsangue. »

 Milady de Winter, tomes 1 et 2, Agnès Maupré. Ankama, 2010-2012. 134-141 pages.

Retrouvez également ma chronique sur sa seconde série autour du chevalier d’Eon !