Mini-chroniques : René·e aux bois dormants, Le mari de mon frère et L’autre moitié du soleil

Je vous propose trois petites chroniques d’ouvrages ayant accompagné mon automne bien occupé par le déménagement et le nouveau travail. Je n’ai pas eu le temps ou le courage de détailler davantage, mais je souhaitais quand même vous toucher un mot de ces excellentes lectures.

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René·e aux bois dormants, d’Elene Usdin (Sarbacane, 2021)

René·e aux bois dormants (couverture)Un roman graphique étonnant. Tout d’abord, un peu dubitative quand j’ai entamé ses presque 370 pages face à cette débauche de couleurs, cette diversité de techniques de dessin, ces personnages étranges, ses transitions hallucinées… bref, face à ce rendu un peu psychédélique. Puis, je me suis prise au jeu, j’ai accepté le voyage, j’ai accepté de ne pas tout suivre.
Je me suis laissée portée par cet univers fluctuant, où rien – ni l’époque, ni le lieu, ni le genre – n’est acquis ; j’ai apprécié les rencontres surprenantes, les histoires un peu macabres et cruelles, les mythologies inconnues. Enfin, j’ai été touchée par cette histoire identitaire, par ce pan de l’Histoire canadienne, par le parcours tragique de ce petit garçon et de tant d’autres.
Une histoire non linéaire, onirique, colorée et bouleversante. Un roman graphique déroutant certes, mais véritablement atypique, tant dans ses illustrations que dans la construction narrative. Je n’étais pas sûre d’aimer, j’ai été hypnotisée.

Merci Alberte pour cette découverte !

(Quelques planches sur le site des éditions Sarbacane.)

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Le mari de mon frère, de Gengoroh Tagame (4 tomes) (Akata, 2016-2017)

Un manga en quatre tomes qui m’a vraiment attendrie.
Yaichi, père célibataire, voit sa vie bousculée par l’arrivée de Mike, le mari, le veuf de son frère jumeau expatrié depuis des années au Canada. Dans une société japonaise qui ne parle pas de l’homosexualité, Yaichi se voit confronté à ses préjugés, mais Kana, sa fille, est quant à elle plus qu’enchantée de cet « oncle du Canada ».
Je ne peux pas parler de la situation des LGBTQI+ au Japon, je ne suis pas du tout calée sur le sujet, je ne traiterai donc pas de la justesse du manga à ce niveau-là. Cependant, comme je le disais, j’ai été vraiment émue par les interactions entre ces trois personnages : elles constituent la grande force de ce manga. Kana est une fillette spontanée et totalement attachante ; vierge de tout préjugé, elle va sans le savoir aider son père à passer outre son éducation et à voir ce qui est vraiment important. Mike est ouvert et parfait dans son rôle de tonton tandis que Yaichi – personnage masculin sortant des clous également ! – tient le rôle le plus étoffé, celui qui connaît une véritable évolution (même si je précise qu’il n’était pas franchement homophobe, plutôt… ignorant et pudique). La compréhension de l’autre et la connaissance de la personne qu’est Mike au-delà d’une étiquette vont lui permettre de faire son deuil et tout ce cheminement intérieur est magnifiquement mené tout au long de ces quatre tomes.
Malgré cette dernière phrase qui pourrait laisser suggérer une lecture un peu pesante, ce n’est pas le cas du tout : la tonalité est plutôt légère et bienveillante. On ne tombe pas dans des schémas un peu classiques et le regard innocent de Kana est vraiment un angle d’attaque très doux et plaisant sans pour autant rendre le tout niais.
Je l’ai lu à une période où j’avais peu de temps à consacrer à la lecture, mais ça a été un plaisir de passer un peu de temps avec eux le temps de quelques soirées. C’est très intelligent, globalement attendrissant, parfois amusant, et la fin était totalement bouleversante, je dois bien l’avouer.

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L’autre moitié du soleil, de Chimamanda Ngozi Adichie (Folio, 2016. 2006 pour l’édition originale)

L'autre moitié du soleil (couverture)

Après mon excellente lecture d’Americanah il y a presque trois ans, il était temps que je lise cet autre roman de la célèbre autrice nigériane qui raconte la guerre du Biafra et les années qui l’ont précédée, à travers le quotidien d’Olanna et Kainene, deux sœurs fraîchement rentrées d’Angleterre où elles avaient suivi leur cursus universitaire, d’Odenigbo, universitaire engagé, d’Ugwu, jeune boy de treize ans, de Richard, Anglais tombé fou amoureux de ce pays, de son histoire et de ses arts.

Encore une fois, une excellente lecture pour laquelle je pourrais reprendre les mots de ma chronique d’Americanah bien que ces romans soient bien différents (ce qui serait plus simple car, le livre quelque part dans un carton et mes notes égarées dans le déménagement, j’avoue avoir du mal à poser des mots sur cette lecture vieille de plus de deux mois …).
Chimamanda Ngozi Adichie nous immerge dans le Nigeria des années 1960 et 1970 et m’a permis d’en savoir plus sur cette guerre dont je ne savais pas grand-chose, je l’avoue (à part la famine liée à ce conflit). En l’abordant par le prisme de l’intime – des histoires individuelles bouleversées par la guerre civile –, elle facilite l’entrée dans ce pan de l’Histoire nigériane (en tout cas, elle m’a immédiatement captivée) et le résultat est bouleversant grâce à ces personnages vivants et touchants, contradictoires, faillibles, humains, vrais. L’immersion dans la sauvagerie de la guerre – la brutalité, la famine, la peur et l’espoir qui se mêlent sans cesse, la perte, les inévitables exactions… – est intense et terrible.
La diversité d’âge, de situation, de nationalité, permet de tracer un riche portrait des interactions sociales : privilèges de classe, colonialisme, discrimination, préjugés et tensions entre ethnies, la lutte entre éducation et superstitions…  Avec les deux couples – non conventionnels – qui constituent le noyau des personnages, c’est également un récit sur le couple, ce qui le porte, ce qui le construit, ce qui le renforce ou le détruit. C’est enfin un roman sensoriel, porté par les bonnes odeurs des plats d’Ugwu, chauffé par la lumière brûlante du soleil dans laquelle flotte la poussière des chemins…
L’écriture de Chimamanda Ngozi Adichie est une nouvelle fois d’une grande efficacité : fluide, vibrante, précise, marquante. Grâce à elle et à ces personnages, plus qu’instructif, ce roman s’est révélé puissant, éloquent et déchirant.

« La famine était une arme de guerre nigériane. La famine a brisé le Biafra, a rendu le Biafra célèbre, a permis au Biafra de tenir si longtemps. La famine a attiré l’attention des gens dans le monde et suscité des protestations et des manifestations à Londres, à Moscou et en Tchécoslovaquie. La famine a poussé la Zambie, la Tanzanie, la Côte d’Ivoire et le Gabon à reconnaître le Biafra, la famine a introduit l’Afrique dans la campagne américaine de Nixon et fait dire à tous les parents du monde qu’il fallait finir son assiette. »

« C’était comme s’il saupoudrait du piment sur sa plaie : des milliers de Biafrais étaient morts et cet homme voulait savoir s’il y avait du nouveau sur la mort d’un Blanc. Richard écrirait là-dessus, sur cette règle du journalisme occidental : cent Noirs morts égalent un Blanc mort. »

Prochaine lecture (dans deux-trois ans probablement…) : L’hibiscus pourpre !

Mini-critiques : Fille noire, fille blanche, La Vallée des Fleurs et Couleur de peau : miel, tome 4

Ce petit florilège a quelque chose en commun : il s’agit de trois ouvrages qui se sont révélés imparfaits, mais intéressants malgré tout. Pas de coups de cœur dans cet article donc, mais aucun regret quant au temps consacré à les lire.
Je vais donc vous parler rapidement de Fille noire, fille blanche de Joyce Carol Oates, de La Vallée des Fleurs de Niviaq Korneliussen et du quatrième tome de la BD Couleur de peau : miel de Jung.

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Fille noire, fille blanche, de Joyce Carol Oates (2006)

Fille noire, fille blanche (couverture)Dans les années 1970, Genna et Minette partagent une chambre sur le campus de Schuyler College. L’une est blanche, réservée, amicale, issue d’une famille riche aux membres dispersés ; l’autre est noire, solitaire, sans concession, issue d’une famille respectable sous la tutelle de son pasteur de père. La première souhaite devenir l’amie de la seconde et la protéger des actes racistes qui se succèdent.

Cette relique de ma PAL m’était tombée des mains il y a fort longtemps, mais j’en suis cette fois arrivée à bout pour un résultat assez perplexe.

C’est un roman plein ambiguïté, à commencer par ce personnage de Minette qui est particulièrement troublant. Si, ici ou là, elle se révèle touchante et potentiellement attachante, elle reste la plupart du temps difficile, voire impossible à cerner. Personnage énigmatique que sa compagne de chambre – et nous avec – essaie désespérément de comprendre. Il faut avouer que Minette se montre aussi fortement antipathique par moment, repoussant toute tentative d’amitié ou de sympathie, rejetant les critiques en blâmant les autres, restant irrémédiablement fermée.
Les personnages sont finalement assez peu sympathiques, tant la hautaine Minette que Genna avec son désir absolu d’être l’amie de Minette, son abandon d’elle-même malgré la manière dont elle est mille fois repoussée. Genna semble placer Minette sur un véritable piédestal : sa couleur de peau l’oblige à être forte, sa famille est stable et présente et, pour une fois, elle pourra peut-être aider quelqu’un, être utile.
Toutes deux partagent un attachement démesuré au père : craint et respecté pour Minette, adoré et parfois incompris pour Genna. Cette influence de la famille – qu’elle soit libertaire ou stricte – offre des instants poignants avec les deux filles qui peinent à trouver leur place. Genna se révélera même une enfant traumatisée aux souvenirs qui referont surface au fil de l’année scolaire.

La culpabilité, avérée ou fantasmée, est omniprésente dans ce roman qui questionne la responsabilité de chacun, les choix effectués – choix influencés par le passé, les espoirs, les attentes, le bagage émotionnel… Culpabilité d’être blanche également étroitement liée avec la peur d’être raciste « sans le vouloir » : telle ou telle pensée est-elle raciste ? critiquer Minette est-il du racisme ? Enfin, culpabilité du père (dont la lutte pour un monde qu’il espère meilleur finit par entraîner la mort) et culpabilité de la narratrice liée à ce père.

Les tensions raciales sont également palpables au cours du récit. Actes racistes, étudiantes noires dénotant parmi les Blanches malgré cette université ouverte et égalitaire. Cependant, alors que l’intrigue se déroule, on s’apercevra que tout ne tourne pas autour de Minette : si Genna est la narratrice, c’est sans doute parce qu’elle aura un long parcours quasi initiatique pour se révéler et comprendre son passé. En dépit d’un manque d’amitié pour elle, j’ai ressenti de l’empathie tandis que son histoire se dévoilait, que les enjeux amplifiaient et que le drame se nouait.

Fille noire, fille blanche est un texte à la hauteur de Minette : difficile à cerner. (D’où une chronique confuse que vous me pardonnerez, j’espère.) S’il m’a parfois semblé chaotique et décousu dans sa narration, il reste atypique et troublant dans les questionnements qu’il soulève, intéressant dans sa forme et parfois surprenant. Néanmoins, j’ignore totalement s’il me laissera un souvenir impérissable.

« Comment se fait-il que nous nous rappelions plus vivement la honte que la fierté ? Notre propre honte plus que celle des autres. »

« Les souvenirs que j’avais de mes parents se confondaient avec mes rêves. Les rêves que je faisais de mes parents se confondaient avec mes souvenirs. »

Fille noire, fille blanche, Joyce Carol Oates. Points, 2011 (2006 pour l’édition originale, 2009 pour la traduction française). Traduit de l’anglais (États-Unis) par Claude Seban. 375 pages.

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La Vallée des Fleurs, de Niviaq Korneliussen (2022)

La vallée des fleurs (couverture)Ayant beaucoup aimé le premier livre de Niviaq Korneliussen, Homo Sapienne, je n’ai pas hésité quand une Masse Critique Babelio m’a permis de découvrir son deuxième bébé. À travers la narratrice, jeune Groenlandaise tentant de gérer son existence entre sa copine, ses études sur le continent, sa famille et les morts qui, malgré son jeune âge, parsèment déjà sa vie, l’autrice évoque le mal-être et les suicides qui se multiplient dans son pays.

J’ai retrouvé la plume de Niviaq Korneliussen, à la fois poétique et crue, sans fard. Une écriture pleine de sensualité dans l’appréhension de la vie. Comme dans Homo Sapienne, elle raconte des thématiques très actuelles – l’identité, la recherche de qui l’on est et où l’on va, l’amour, le sexe, la solitude – et surtout un sujet qui touche particulièrement le Groenland : les trop nombreux suicides, devenus banals dans sa population. Mélange de volonté de vie et de désespoir, le livre avance par vagues, fluctuations de l’humeur du personnage principal.

 Malgré tout, le mal-être est prégnant et suinte entre ces pages. Les titres des chapitres sont des chocs : liste implacable de personnes suicidées, récit d’un suicide, réflexions sur la mort. La tentation du suicide, le souvenir de celles et ceux qui ont franchi le pas, cette lassitude insidieuse… Cette sensation de piège qui se referme et contre lequel il est inutile de lutter sera peut-être ce qu’il me restera le plus de ce roman. Une fracture en soi, une sensation de noyade, un gouffre intérieur dans lequel on trébuche. Fatalité ?
Celui-ci dénonce aussi la société des apparences dans lequel nous vivons et l’hypocrisie des likes, des enterrements et des faux-semblants. Ignorés dans la vie, encensés dans la mort à grand renfort de pleurs, de compliments, de « on ne t’oubliera jamais ».

Cependant, malgré toutes les qualités de ce roman intimiste et mélancolique, il ne m’a pas totalement convaincue, contrairement à son grand frère. La faute à des longueurs qui m’ont parfois ennuyée ? Cela reste une bonne lecture, mais qui, le temps passant, me laissera rapidement davantage une impression – de malaise et de mort – que de réels souvenirs.

« Un corbeau est posé sur la grande croix à l’entrée du cimetière. Aucun de ceux que j’aime ne repose dans ce cimetière. Aanaa n’y repose pas. Pourtant, je sens que j’ai perdu quelqu’un ici. Cela réveille de durs souvenirs. Cela réveille des souvenirs des nuits de printemps, où j’étais assise là, dans l’angoisse du soleil de minuit à venir. Cela réveille des souvenirs de la nuit d’été rose, il y a un an, où, assise sur une hauteur surplombant Sermitsiaq et toutes les croix des morts, je pensais à la vie. »

« Je dis seulement que certaines personnes ne sont pas aussi douées pour la vie que d’autres, et peut-être que ce n’était que ça, qu’elle n’appartenait pas à cette terre, qu’elle n’avait pas envie de vivre, je murmure, paniquée. »

« On ne trouve pas d’explication incontestable au fait que les gens se tuent quand arrive le soleil de minuit, mais une des hypothèses serait qu’ils deviennent dépressifs quand ils dorment trop peu, une autre que, après un hiver sombre et froid, ils gagnent des forces à mesure que les journées se font plus claires et plus chaudes, mais que, lorsqu’enfin elles sont là, ils réalisent que la vie ne s’améliorera pas pour autant. Jamais. »

La Vallée des Fleurs, Niviaq Korneliussen. Editions La Peuplade, 2022 (2020 pour l’édition originale). Traduit du danois par Inès Jorgensen. 371 pages.

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Couleur de peau : miel, tome 4, de Jung (2016)

Couleur de peau miel T4 (couverture)Après une relecture des trois premiers tomes – que j’ai autant appréciés qu’à la première lecture il y a huit ans –, j’ai enfin découvert le quatrième tome (avec un tout petit peu de retard).

Ce quatrième tome poursuit la quête des origines, les questions sans réponses, les questionnements sur l’identité et la famille, la place à trouver entre le pays natal et adoptif, le chemin parcouru et à venir. Comme le dit Jung, un voyage qui durera probablement toute une vie, bien que notre petit héros ait, de puis le premier tome, trouvé un certain apaisement.

Le propos reste touchant, mais je l’ai trouvé en-deçà de ses prédécesseurs. Je trouve que le discours tourne un peu en rond, n’ajoutant pas grand-chose à ce qui a été dit auparavant. Pourtant, de nouvelles étapes de sa quête identitaire sont abordées, mais elles sont traitées de manière brève et confuse. L’interview avec sa mère adoptive ou ses voyages en Corée auraient peut-être mérités de s’y attarder un peu plus. Sans parler de cette fameuse piste vers, peut-être, sa famille biologique et ses tests ADN dont les résultats nous restent inconnus. (Il faut croire que je suis difficile à satisfaire car je trouve que, à l’inverse, il aurait pu s’éterniser un peu moins sur son film, aussi bien soit-il).
De plus, le dessin m’a semblé légèrement différent et m’a moins séduite. Le trait est plus fin et moins rond. Moins agréable finalement.

 Même si ce tome souffre à mes yeux d’une certaine redondance, il reste la poursuite d’une histoire personnelle racontée avec beaucoup de sincérité. Couleur de peau : miel reste un témoignage passionnant et sensible sur l’adoption et ses traumatismes.

(Petit détail : que son frère soit appelé Cédric après avoir été Erik dans les trois premiers m’a interrogée et déstabilisée…)

Couleur de peau : miel, tome 4, Jung. Soleil, coll. Quadrants, 2016. 141 pages.

Autobiographie d’une courgette, de Gilles Paris (2002)

Autobiographie d'une courgette (couverture)Courgette, c’est Icare, 9 ans. Pour faire plaisir à sa maman qui boit trop de bières à cause de son père qui est parti avec une poule et du ciel qui est « grand pour nous rappeler qu’on n’est pas grand chose dessous », il décide de tuer le ciel. Il tire et le ciel est toujours là. Mais plus sa maman. Jugé « incapable mineur », il est placé aux Fontaines au milieu de bien d’autres enfances difficiles. Et là où l’on s’attendrait à de la tristesse, Courgette découvre l’amitié, le rire, la joie et l’amour.

Après avoir adoré l’adaptation en film d’animation (Ma vie de courgette par Claude Barras), j’ai enfin lu le livre. Et c’est un nouveau coup de cœur qui ne me fait pas déprécier le film pour un sou.

L’histoire de Courgette, c’est un drame abominable comme ceux qui ont bouleversé les enfances de chaque protégé des Fontaines. C’est l’inénarrable qui est narré ici. Ce sont des mots innocents qui racontent l’horreur. Ce sont des mots pleins d’images, de couleurs et de soleil.
Autobiographie d’une courgette, c’est une montagne de tendresse au cœur de l’indicible. C’est un roman lumineux, c’est la découverte de l’amour – l’amour des copains, l’amour des adultes, l’amour amoureux.
Un roman à hauteur d’enfant, un roman triste, un roman drôle, un roman dur, un roman profondément touchant.

En gros, je vous ai dit l’essentiel. Que pourrais-je raconter d’autre ?
Les personnages si attachants – chacun de ces enfants bousculés, cabossés, brisés évidemment, ainsi que certains adultes touchants par l’amour et le soutien qu’ils abordent aux enfants – et si réalistes qu’on a l’impression de les connaître depuis toujours.
Les sujets durs et crus qui contrastent avec la grâce incroyable, avec la pureté candide de la narration simple et enfantine.
L’humour qui transperce cette histoire.
L’amitié, la tendresse du gendarme et les bons moments qui nous font espérer le meilleur pour le futur de Courgette.

Je n’ai rien de dire de plus, ce livre est un bijou. Une perle que l’on referme bien trop vite, à regret.

« – Le ciel, ma Courgette, c’est grand pour nous rappeler qu’on n’est pas grand chose dessous. »

« Des fois, les grandes personnes faudrait les secouer pour faire tomber l’enfant qui dort à l’intérieur. »

« Et les grandes personnes c’est pareil.
C’est plein de points d’interrogation sans réponses parce que tout ça reste enfermé dans la tête sans jamais sortir par la bouche. Après, ça se lit sur les visages toutes ces questions jamais posées et c’est que du malheur ou de la tristesse.
Les rides, c’est rien qu’une boîte à questions pas posées qui s’est remplie avec le temps qui s’en va. »

Autobiographie d’une courgette, Gilles Paris. Editions France Loisirs, coll. Piment, 2003 (éditions Plon, 2002, pour la première édition). 281 pages.

Oh, boy !, de Marie-Aude Murail (2000)

Oh, boy ! (couverture)Siméon, Morgane et Venise sont orphelins. Et leur trouver une nouvelle famille se révèle plutôt compliqué. Surtout quand les deux tuteurs potentiels se détestent et que tous ne portent pas un intérêt bien sincère aux jeunes Morlevent. Qui, de leur côté, ont fait un « jurement » de toujours rester ensemble : « Les Morlevent ou la mort ! ».

Alors que tout le monde semble avoir lu Marie-Aude Murail dans son enfance, ce n’est pas mon cas. Je l’ai découverte l’année dernière avec Miss Charity (gros coup de cœur) et je récidive cette année avec Oh, boy ! (gros coup de cœur bis).

On s’attache très fort à cette fratrie tout simplement irrésistible en dépit de quelques stéréotypes. Siméon, 14 ans, intelligent et sagace. Morgane, 8 ans, réservée et cultivée. Venise, 5 ans, douce et attendrissante. Et puis leur grand demi-frère, Barthélemy, 26 ans, lunaire, maladroit et généreux. Tous se complètent à merveille. Que serait Bart sans la perspicacité de Siméon ? Que serait Siméon sans la tendresse de ses sœurs ? Que serait Venise sans les explications de Morgane ?

Difficile de ne pas songer à Quatre sœurs avec ce récit qui propose une vision de la vie parfois loufoque, mais néanmoins pas dépourvu de justesse et de réalisme. C’est très drôle certes, mais c’est également très dur par moments, une tristesse que je ne soupçonnais pas le moins du monde. Je tairai les sujets abordés car j’ai pris tellement de plaisir à découvrir ce livre sans rien savoir de plus que ce que le résumé survolé m’avait appris que je vous recommande de faire de même. Sachez toutefois que leur nouvelle condition d’orphelins et les difficiles questions de tutelle et d’adoption ne sont pas les sujets les plus pénibles.

Enfin, si vous n’êtes pas encore convaincu.es, sachez que Oh, boy ! est porté par une écriture absolument fantastique. C’est extrêmement bien écrit, on se régale des remarques de Venise, on se délecte des échanges entre ces personnalités si diverses, on savoure les mots de la première à la dernière page que l’on tourne à regret. C’est fin, c’est sensible et délicat, c’est une réussite dans le rire et dans les larmes.

Un livre qui se croque, se déguste ou se dévore comme un carré de chocolat !

« Depuis la veille, ils étaient des enfants-qui-n’ont-pas-de-parents. Venise l’admettait parfaitement. Les gens n’avaient pas de raison de lui mentir. En même temps, ça n’avait aucun sens. Maman était peut-être morte, mais elle devrait la conduire à la danse, lundi, parce que la dame du cours de danse, elle n’aime pas qu’on manque. »

« C’était drôle, ce cadeau que la vie lui avait fait, cette fratrie un instant offerte sur un plateau et qui, maintenant, lui passait sous le nez. Depuis le début, avant même d’être né, il avait déjà tout perdu. »

« Morgane avait profité d’un temps de silence pour parler. Elle, la petite qu’on oubliait, coincée entre son frère surdoué et sa sœur si facile à aimer. »

Oh, boy !, Marie-Aude Murail. L’Ecole des Loisirs, coll. Médium, 2000. 207 pages.

Challenge Voix d’autrices : un livre qu’on m’a conseillé 

Le Grand Méchant Renard, de Benjamin Renner (2015) et son adaptation en film d’animation (2016)

Le Grand Méchant Renard (couverture)Le renard est un habitué de la ferme. Il entre, salue le chien, le cochon et le lapin, tente de manger la poule, se prend une raclée par cette dernière et repart avec des navets faute de poulet pour son repas. Inspiré par le loup, il met au point un plan : voler des œufs pour élever les poussins jusqu’à ce qu’ils soient prêts à être mangés.
Mais évidemment, on se doute bien que son plan va tomber à l’eau comme tous les autres. Sinon, pas d’histoire et, surtout, pas d’humour.

Car l’humour est bien le point fort de cette bande dessinée. Elle est hilarante par les situations, les dialogues parfois caustiques, les personnages… avec en tête ce pauvre renard que l’on ne peut s’empêcher de prendre un peu en pitié tant il échoue dans toutes ses entreprises. La pauvre bête en voit de toutes les couleurs, humilié par tous les animaux, martyrisé par trois poussins trop aimants et trop dynamiques.
Mais son cœur de papa poule fond malgré tout devant ses trois terreurs et, avouons-le, nous aussi. Leur relation est touchante, pleine de taquineries et d’amour. Le renard se montrera prêt à tout pour les protéger du loup (qui, lui, est un vrai Grand Méchant). Sans oublier de se protéger lui-même de la poule et de son club d’extermination des renards ! Ce qui nous donnera de nouvelles occasions de rire de ses déboires.

Les aquarelles sont toutes douces et toutes jolies. Les protagonistes sont tous très expressifs, ce qui contribue à l’excellence de la BD. J’ai beaucoup apprécié le trait de Benjamin Renner. Les délicates petites vignettes, sans aucun détail superflu, donnent un aspect très léger et aéré à la bande dessinée. Le résultat : les pages tournent toutes seules et l’on dévore l’ouvrage sans s’en rendre compte.

Le Grand Méchant Renard est un véritable coup de cœur tant pour son scénario que pour son dessin. Oscillant entre humour et tendresse, c’est une bande dessinée originale et adorable, à mettre entre toutes les mains.

Le Grand Méchant Renard (extrait)

Et le film d’animation alors ?

Le grand méchant renard (affiche)Après avoir relu et adoré la BD, je suis allée découvrir l’adaptation cinématographique par Benjamin Renner et Patrick Imbert. Et autant vous le dire tout de suite, je suis déçue. Dans ce film d’animation, le rideau du théâtre de la ferme s’ouvre trois fois pour nous raconter trois histoires : « Un bébé à livrer », « Le Grand Méchant Renard » et « Il faut sauver Noël » (un choix peut-être étrange vu la saison, mais pourquoi pas…).

Parlons tout d’abord de la seconde qui reprend le scénario de la bande dessinée et sur laquelle se focalisait toutes mes attentes. Si les éléments et les rebondissements principaux sont bien là, je n’ai pu que constater que certaines coupes avaient été effectuées dans les dialogues notamment. Logique, allez-vous me dire, on pouvait s’y attendre. Certes, mais je ne m’attendais pas à ce que tous les passages les plus drôles à mon goût disparaissent. Le résultat est bien moins humoristique et moins fin que la bande dessinée. Idem pour certaines scènes trop mignonnes entre les poussins et leur mère adoptive. Dommage…
Quant aux deux autres histoires qui tournent autour des personnages du cochon, du lapin et du canard, elles sont assez bateau et je dois reconnaître ne pas avoir été touchée du tout. Disons que je pense que le public visé est quand même un public très jeune.

En revanche, l’animation est plutôt jolie surtout pour les paysages en aquarelle que j’ai adorés et d’ailleurs préférés aux personnages. Une remarque à ce propos sur l’apparence des poussins, bien moins mignons que dans la BD (mais peut-être plus facile à animer avec leur nouveau physique lorsqu’ils sont plus grands ?).

Voilà, une déception donc. Il est peut-être préférable de le découvrir lorsque l’on a aucune attente grâce à la BD.

Le grand méchant renard 2

Le Grand Méchant Renard, Benjamin Renner. Editions Delcourt, collection Shampooing, 2015. 189 pages.