Trois familles dysfonctionnelles : Y a pas de héros dans ma famille !, Dysfonctionnelle, Le bébé et le hérisson

Aujourd’hui, je vous invite à partager le quotidien, joyeux ou non, de trois familles chez qui le bordel est roi ! Mo, Fifi et Jules nous emmènent à la découverte de leur famille « qui ne marche pas bien, enfin pas comme il faudrait… mais qui tient debout quand même ».

 

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Y a pas de héros dans ma famille !, de Jo Witek (2017)

Y a pas de héros dans ma famille ! (couverture)Maurice Dambek et Mo cohabitent dans le même corps. Le premier se montre à l’école, le second à la maison. Mais lorsque son copain Hippolyte Castant et sa mère viennent chez lui, c’est la catastrophe : tous les défauts de sa famille lui sautent aux yeux et Mo ne sait plus où se mettre.

Jo Witek dessine toute une série de portraits intéressants et met en scène une famille à la fois généreuse et courageuse. Dans la famille Dambek, je voudrais :

  • la mère, qui s’occupe de sa famille H24, qui a la main sur le cœur et qui fait des crêpes délicieuses ;
  • le père qui travaille au black depuis son accident du travail pour compenser la faible pension et mettre du beurre dans les épinards ;
  • le frère aîné, Titi, un bagarreur qui magouille un peu ;
  • le second, Gilou 2 de tension (son surnom est suffisamment explicite) ;
  • la fille, Bibiche, qui semble plus attirée par la télé que par le collège ;
  • les deux chiens, Grabuge et Assassin ;
  • et enfin, le héros de cette histoire, Maurice alias Mo, un lecteur, un bon élève, un enfant en décalage avec sa famille.

Lorsque le regard méprisant de la mère Castant insuffle dans son esprit de tristes pensées de honte face au regard des autres sur sa famille, Mo part à la recherche de modèles. Mille questionnements – sur sa famille, sur les différences entre lui et son copain, sur qui il est – accompagnent cette quête à travers l’histoire familiale et l’autrice nous plonge dans les doutes, les espoirs et toutes les émotions qu’il traversera avant de retrouver sa sérénité. Il découvre peu à peu l’importance et la valeur des héros du quotidien et apprend que l’intelligence et les prix ne font pas tout. Que la gentillesse et la générosité sont également de belles qualités.

Tout en invitant à dépasser les stéréotypes sur les classes modestes, Y a pas de héros dans ma famille ! aborde des problèmes sociaux et des situations concrètes et réalistes : le travail au noir, le manque d’argent, le coût des vacances pour une famille nombreuses, le décrochage scolaire…
Toutefois, il y a également beaucoup d’humour et de joie de vivre dans ce livre. Malgré ses difficultés, la famille reste soudée et ne s’interdit pas de rêver. Même les trois frères et sœurs de Mo, qui ont laissé tomber et/ou qui ont été laissés tomber par l’école, ne sont pas dépourvus de projets. On pardonnera au roman quelques clichés tant les actions de la famille pour remonter le moral de leur benjamin se révèleront touchantes.

Un récit drôle, loufoque et tendre qui prône des valeurs d’amour, de soutien, de bonté tout en dénonçant les préjugés sociaux. Certes un peu convenu, cela reste une lecture sympathique et non dénuée d’intérêt.

« Avant, Maurice Dambek et Mo s’entendaient vachement bien.
Avant, je pensais que tous les élèves de la classe de CM2 de Mme Rubiella étaient comme moi. Des mutants de dix ans avec deux vies et deux identités bien séparées. A l’école, des élèves avec un nom et un prénom sur leurs étiquettes de cahiers. Chez eux, des enfants affublés d’un petit surnom un peu bébé et bébête du genre doudou, minou, ma poupée, mon kéké.
(…)

Pas de prise de tête, et tout était clair entre ma classe bien rangée et ma maison loufoque. Il suffisait de ne pas se tromper de langage, de ne pas se mélanger les guibolles avec les mots, les expressions ni les façons. Mais, en général, mes deux vies école et maison ne se rencontraient jamais, sauf quand ma mère venait apporter des crêpes à la maîtresse pour les goûters spéciaux ou la kermesse de fin d’année. »

« Je sais que les vrais héros sont ceux que les gens aiment, mais aussi ceux qui savent aimer. Ceux qui rendent les gens plus forts, au lieu de se croire les plus forts. »

Y a pas de héros dans ma famille !, Jo Witek. Actes Sud junior, 2017. 133 pages.

Challenge Voix d’autrices : un roman d’une autrice que j’apprécie

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Dysfonctionnelle, d’Axl Cendres (2015)

Dysfonctionnelle (couverture)Dysfonctionnelle est le coup de cœur qui m’a fait découvrir et aimé la collection Exprim’ il y a trois ans et je me suis accordée une petite relecture, l’occasion de partager avec vous mon amour pour ce livre.

Dans le genre saugrenu, la famille Benhamoud est en tête ! Entre un père Kabyle qui multiplie les allers-retours en prison et une mère Juive Polonaise qui multiplie les allers-retours en hôpital psychiatrique, leur progéniture ne pouvait être banale :

  • Dalida, celle qui veut quitter cette famille de fous pour vivre sa vie de princesse avec un homme riche ;
  • Alyson, la fille belle de l’extérieur comme de l’intérieur qui n’aime que les mauvais garçons ;
  • Marilyne, la militante qui s’enflamme pour toutes les causes qu’elle trouve injustes ;
  • Fidèle, alias Fifi, notre narratrice, la fierté de son père, celle qui, comme lui, aime le foot, l’alcool et les filles ;
  • Sid-Ahmed junior, alias JR, le beau gosse vraiment pas malin ;
  • Jésus, un saint bien décidé à évangéliser le monde et à pardonner à sa famille toutes leurs errances ;
  • Grégo, un bagarreur.

Et tout ce petit monde grandit sous le regard attendri de leur grand-mère Zaza, la reine du couscous à l’accent à couper au couteau et sous celui, parfois moqueur, des habitués du bar Au bout du monde. La majorité des personnages sont véritablement attachants, on ferme le livre en ayant l’impression d’avoir vraiment partagé un bout de vie avec eux !

Fidèle nous raconte l’histoire de sa famille pas comme les autres sur une période de plus de trente ans. Elle joue avec la chronologie, les souvenirs se bousculent et les sauts dans le temps se multiplient. Cela donne une dynamique et une énergie incroyable ainsi que l’illusion de connaître Fifi par cœur sans jamais perdre le lecteur.
L’écriture est incroyable : vivante, imagée et hilarante. Fifi a une sacrée gouaille et n’hésite pas à moucher tous ceux qui se mettent sur son chemin. On rit autant que l’on s’émeut !

A l’instar de Mo, elle fait une rencontre bouleversante avec les beaux quartiers, un monde bien distinct de son Belleville populaire lorsque, grâce à son QI supérieur à la moyenne et sa mémoire photographique, elle intègre un prestigieux lycée. Mais à l’inverse du précédent, elle n’éprouve aucun doute : Fifi est fière de son quartier et de sa famille, elle sait qui elle est et, même si elle connaît leurs défauts, elle les aime et les défend sans cesse. C’est sa particularité et ce sont cette famille et ce quartier qui ont forgé son identité.
La solidarité au sein de cette famille est inspirante et on aimerait en faire partie malgré un quotidien pas toujours rose. Leur amour pour leur mère qui dépasse de bien loin la folie de celle-ci est bouleversant, la scène de l’anniversaire est une image que l’on oublie pas facilement.

S’il est plus rocambolesque et farfelu, le récit d’Axl Cendres est également plus dur, plus sombre, plus profond, plus mature que celui de Jo Witek. Tout ne finit pas toujours bien et certaines personnes sont véritablement antipathiques (oui, Dalida, c’est de toi que je cause !). Certains passages sont vraiment noirs et Fidèle connaît une longue traversée de tunnel le jour où sa belle histoire avec Sarah déraille. Dysfonctionnelle parle de la vie, des traumatismes, des relations familiales parfois conflictuelles, de la guerre, de religion et de multiculturalisme, de familles d’accueil, de folie, d’addictions, d’auto-destruction, des histoires d’amour compliquées.
Car là est son énième qualité : sa romance ! Fait suffisamment rare pour que je le souligne ! En effet, ce roman présente une histoire lesbienne avec justesse et émotion. J’ai apprécié le fait que l’homosexualité ne soit pas présentée comme un problème. La famille de Fifi n’a aucun problème avec ses préférences tandis que la mère de Sarah (la mère Castant du roman) désapprouve surtout les origines modestes de l’amie de sa vie.

En dépit des personnages excentriques et des situations parfois complètement délirantes, je suis une nouvelle fois sortie de ce roman assommée, émue et le rire dans la gorge, amoureuse de cette famille et sans aucun doute sur sa justesse, et là est le génie d’Axl Cendres : avoir injecté autant de luminosité dans un roman aux thématiques sombres et autant de réalisme au milieu d’une montagne de loufoquerie.

Et comme toujours avec les livres Exprim’, il y a la bande-son du livre et elle est ici d’un éclectisme réjouissant.

« Même avec une chose que tout le monde croit perdue, on peut faire quelque chose de merveilleux. »

« « Le prend pas pour toi, m’a dit mon père, mais j’ai jamais voulu avoir d’enfants. »
J’allais répondre : « 
Pourquoi je le prendrais pour moi ? Je suis juste ta fille. » – mais l’ironie, il comprenait plus.
C’était le jour de son énième sortie de prison ; là il avait pris deux mois ferme pour la même raison que les autres fois : il était au mauvais endroit, au mauvais moment.
 »

« « Mais ne vous inquiétez pas pour votre maman, ce n’est que temporaire, elle sortira d’ici quelques semaines et ira à l’Eglise comme avant ! Nous avons plusieurs patientes dans son cas, d’autres malades sont des cas bien plus graves : ils se prennent à vie pour Napoléon ou un chat ! Mais n’ayez crainte, nous prenons garde ici à accepter aucun malade qui se prend pour Hitler. »
Merci Docteur, c’est très délicat de votre part. »

« J’ai marché, incapable de pleurer ; comme si mes larmes savaient qu’elles étaient impuissantes face à ma peine, elles ont décidé de ne pas couler pour rien. »

Dysfonctionnelle, Axl Cendres. Sarbacane, coll. Exprim’, 2015. 305 pages.

Challenge Voix d’autrice : un roman avec un personnage principal LGBT+

 Challenge Les 4 éléments – L’eau :
un personnage mélancolique (la mère)

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Le bébé et le hérisson, de Mathis (2008)

Personne ne s’occupe des hérissons qui se font écraser en traversant la route. Et dans la famille de Jules (étrangement renommé Guillaume sur la quatrième de couverture) et Manon, personne ne s’occupe du bébé, Léo. Personne à part eux. Ils sont les seuls qui peuvent l’empêcher de se faire écraser.

Ce troisième livre est peut-être à destination d’un public plus jeune, mais c’est de loin le pire de tous. A la différence des deux autres, on ne sent pas l’amour familial qui transcende les difficultés. Le manque d’argent, les épreuves et la télé ont désuni cette famille désertée par la tendresse. Il n’y a que l’amour entre frères et sœur qui autorise un faible espoir pour ces deux enfants devenus adultes bien trop tôt pour pallier l’irresponsabilité de ceux qui sont censés être les adultes.

Deux frères et une sœur qui baignent dans une mer d’ignorance. Qui s’entraident comme ils peuvent pour lutter contre la mauvaise foi des parents et les mauvais traitements. Pour trouver un peu de douceur au milieu des brutalités et des moqueries.
Un ouvrage qui s’achève sur la solitude effarante des enfants au sein de leur propre famille et qui m’a laissée bien morose.

Une simple tranche de vie et un texte poignant et absolument glaçant dont les phrases simples touchent droit au cœur.

« Au loin, un avion laisse une traînée blanche dans le ciel. Je me demande où il va. Je me demande qui sont ces gens qui voyagent en avion. Je me demande s’ils existent vraiment. »

«  – Quand on est un homme, on passe pas son temps à lire comme une gonzesse !
– Tu veux dire que quand on est un homme, on passe son temps devant la télé à boire de la bière comme un abruti ? je demande.
Sa riposte est immédiate. Il y a un grand clac ! et ma joue gauche devient aussi chaude que de la lave en fusion. »

Le bébé et le hérisson, Mathis. Thierry Magnier, coll. Petite Poche, 2015 (2008 pour la première édition). 48 pages.

La sublime communauté, tome 1, Les Affamés, d’Emmanuelle Han (2017)

La sublime communauté T1 (couverture)La fin du monde est proche, la Terre est dévastée. Un seul espoir : des Portes qui s’ouvrent sur différents continents. Elles donnent accès vers Six Mondes dont on ne sait rien, mais pour les humains terrifiés, la promesse d’une vie meilleure est plus forte que la peur. Cependant, quelques personnes doutent de ces terres promises. Parmi eux, Ekian, Tupà et Ashoka. Ils sont des Transplantés qui ont grandi bien loin de leur pays natal. Ils ne le savent pas, mais leurs destins sont liés.

Sur cette Terre, la nature s’essouffle et la nourriture vient à manquer. Les humains rêvent d’un autre monde avec de la nourriture pour tous et une nature préservée. Pour moi, cela fait écho à une situation très actuelle, à toutes celles et ceux qui ferment les yeux sur le sort de la Terre, qui se disent « de toute façon, je ne serai plus là quand la situation sera totalement dramatique » ou qui semblent penser que les ressources sont illimitées. Bref, celles et ceux qui se voilent la face et nient la réalité au lieu de prendre conscience que l’on va droit dans le mur, voire de vraiment prendre les choses en main pour tenter de faire bouger les choses, de sauver ce qu’il reste à sauver.

Ce premier tome est dense et prend le temps de présenter ses trois jeunes personnages. On les suit dans leurs réflexions, leurs découvertes et leurs prises de conscience qui leur permettra dans les tomes suivants de réaliser leur destinée. Les Portes et les Affamés font leur véritable apparition que tardivement dans le roman, permettant à l’univers de se mettre tranquillement en place.
Cependant, il intrigue aussi en laissant en suspens de nombreuses questions : qui sont ces Guetteurs qui semblent avoir toutes les cartes en main ? Où mènent réellement les Portes ? Qu’est-ce que cette Sublime Communauté ? Quel est le destin des trois héros ? Quant aux Affamés, hordes d’êtres plus ou moins délabrés, autrefois humains, aujourd’hui plus proches du zombie, ils fascinent et révulsent en même temps. Comment en sont-ils arrivés là ?

Emmanuelle Han nous transporte en Amérique du Sud, dans le désert africain et à Varanasi en Inde. On sort des pays/continents souvent visités (Europe et Amérique du Nord) pour se projeter dans des cadres plus atypiques : l’humidité de la forêt amazonienne, les dunes de sable brûlantes le jour et glaciales la nuit, les rituels dans la ville des morts au bord du Gange… Même si nous sommes dans une dystopie avec des codes et des éléments récurrents, la découverte des cultures amazonienne, touareg et indienne apporte une touche de fraîcheur et de nouveauté.
On doit également à ces lieux l’onirisme de certains passages. Chaque membre du trio passe par une sorte d’initiation. Pour Tupà, c’en est clairement une, suivant les rites des Indiens Guarani, tandis qu’Ekian et Ashoka en expérimentent une, la première en traversant le désert, le second en rencontrant une sorcière. Une touche de magie et de poésie qui saupoudre délicieusement le tout !

Certes, j’aurais sans doute apprécié un peu plus de réponses pour sortir du flou qui a nimbé une bonne partie de ma lecture, mais j’ai toutefois apprécié ce rythme plutôt lent où l’accent est davantage mis sur le cheminement intérieur des personnages que sur l’action. Mélangeant dystopie et légendes ancestrales, science-fiction et fantastique, ce premier tome minutieusement construit met en place un univers prometteur et intéressant.

« C’était peut-être ça, toute la vertu et la raison d’être de l’illusion. Permettre aux innocents de fermer les yeux sereinement. »

« Longtemps Ekian s’était souvenue du désert. De ce sanctuaire de sable, immensité jadis sous-marine, dont le magnétisme éclipsait encore parfois dans son imaginaire toute autre lumière, toute autre féerie ; de ce grand cirque volcanique, immergé dans les dunes, où chaque soir les montagnes de sable se couchaient sur les montagnes de granit. Par les nuits de pleine lune, leurs deux ombres sacrées s’unissaient en silence pour n’en plus former qu’une – alors le monde était en paix. »

La sublime communauté, tome 1, Les Affamés, Emmanuelle Han. Actes Sud Junior, 2017. 373 pages.