La vie d’Adèle – Chapitres 1 et 2, de Abdellatif Kechiche, avec Léa Seydoux et Adèle Exarchopoulos (France, 2013)

La vie d'AdèleComme tout le monde le sait suite à la remise de la Palme d’or au réalisateur et aux deux actrices et suite aux polémiques sans fin de cet été, La vie d’Adèle, c’est l’histoire d’amour passionnée entre deux femmes, Adèle et Emma.

Il faut savoir que le film est librement adapté de la merveilleuse bande dessinée Le Bleu est une couleur chaude de Julie Maroh. J’avais donc quelques appréhensions. J’ai parfois pensé « tiens, il manque telle scène, c’est dommage » ; parfois, des phrases, des images de la BD (par exemple, la tête hallucinée de Clémentine après son premier baiser avec une fille), les pensées que confiait Clémentine (devenue Adèle) venaient flotter dans mon esprit. Mais effectivement, c’est une libre adaptation. Il ne faut pas aller le voir en voulant trouver toute la BD au risque d’être déçu (par exemple, la fin en a été changée, ce qui, sur le coup, m’a un peu déçue jusqu’au moment où j’ai séparé le film de la BD), mais en allant retrouver l’esprit, l’idée du Bleu.

(Au fait, le « Chapitres 1 et 2 » est là car Kechiche ne se ferme aucune porte pour donner une suite à la vie d’Adèle (d’où la fin, ça aurait été potentiellement difficile en suivant le Bleu).)

Je craignais que le film ne se transforme en film militant ou en film pour lesbiennes, mais non, Kechiche a su garder l’esprit de la BD en faisant un film sur l’amour. Certes, il traite de l’homosexualité féminine, c’est une histoire entre lesbiennes, mais celle-ci est banalisée. J’espère que beaucoup de monde ira voir ce film et qu’ils comprendront que ce n’est pas une tare, que ce n’est pas une raison pour insulter quelqu’un, pour le taper ou pire. Apparemment, la première partie de ce souhait est en passe d’être réalisée car il paraît qu’il a fait un bon démarrage, mais la seconde relève sûrement du rêve.

Evacuons tout de suite ce qui ne m’a pas plu : les scènes de sexe. Comme je le craignais. Déjà – ce n’est pas que je sois particulièrement prude ou quoi –, je n’apprécie pas vraiment les longues scènes détaillées, donc là j’étais servie. Mais cette exposition de sexe, c’était froid. Je les ai trouvées fausses. Un peu un Kama Sutra lesbien avec inventaire des positions. Julie Maroh le disait mieux que moi : « En tant que lesbienne… il me semble clair que c’est ce qu’il manquait sur le plateau : des lesbiennes. (…) c’est ce que ça m’évoque : un étalage brutal et chirurgical, démonstratif de sexe dit lesbien, qui tourne au porn. » Alors peut-être que certains les trouveront magnifiques, fortes, etc., ce n’est pas mon cas, mais ce n’est pas non plus dramatique. La scène dure sept minutes (c’est ce que j’ai lu, je n’ai pas chronométré pendant que j’étais au cinéma) : sept minutes sur un film de trois heures, ce n’est quand même pas grand-chose. Ce serait un peu dommage de résumer le film à ça. Finalement, Kechiche fait un film très vrai sauf pendant ces scènes pendant que je pensais « merde, qu’est-ce que c’est que ça ? qu’est-ce que c’est que cette vision du sexe entre femmes ? qu’est-ce que les gens vont imaginer après ? » L’émotion que j’ai pu ressentir pendant tout le film a disparu pendant ces scènes. C’est décevant. De plus, lorsque je suis allée le revoir une seconde fois, il y a eu quelques ricanements dans la salle qui m’ont mise d’autant plus mal à l’aise.

Il y a quelque chose qui ne m’a pas dérangée car j’ai fait le lien grâce à la BD, mais que l’on m’a demandé en sortant du film : où est passée la famille d’Adèle ? Ils ont filmé cette scène où ses parents la rejettent, mais elle n’est pas dans le film.

Il y a des scènes assez dures, à la Kechiche, de scènes qui remuent un peu. Il a le don de me toucher sans en avoir l’air, c’est-à-dire qu’une scène qui ne paraît pas me toucher outre mesure sur le coup peut m’obséder ensuite pendant plusieurs jours ; généralement, je pense à ses films plusieurs jours après les avoir vu, comme si je les habitais et que je ne vivais plus vraiment dans la « vraie vie ». Il y a des scènes très vraies comme celle au lycée (où Adèle étudie Marivaux, comme les élèves de L’esquive) pendant laquelle Adèle est en butte aux préjugés (« T’es gouine (et en plus, Adèle ne sait pas encore vraiment où elle en est), je suis une fille, t’es venue dormir chez moi, tu veux me brouter ! ») ; outre le vocabulaire et le ton particulièrement insultants, c’est juste complètement idiot, même si ça se passe parfois comme ça.

Il y a des scènes drôles, des scènes tristes. Un film sur l’amour, de la naissance de celui-ci à la mort. Mort finalement, plutôt qu’au fait qu’Adèle ait couché avec un collègue,  due à une différence de milieu, malgré tous les efforts faits pour s’adapter et pour comprendre, entre Emma, l’artiste prônant la création, la liberté, et Adèle, plus terre-à-terre. Emma ne peut comprendre qu’Adèle soit heureuse et épanouie sans rien créer, sans être une écrivaine ou une artiste. Elles ne viennent pas du même milieu : les séquences chez leurs parents respectifs (où l’on sent une léger incrédulité des deux familles pour la petite amie de leur fille) et la fête qui rassemble tous les amis d’Emma. Le film parle des choix personnels, de la recherche de qui on est, des déchirements, des conséquences parfois désastreuses.

Les deux actrices sont incroyables. Je ne suis pas fan de Léa Seydoux (elle a d’ailleurs un certain talent pour m’agacer lorsque je la vois à la télé par exemple, ce qui est assez rare vu que je ne regarde pas la télé) et j’étais un peu sceptique car elle ne correspondait pas à l’idée que je me faisais d’Emma, mais son interprétation est superbe, elle est parfaite dans son rôle d’artiste, de lesbienne assumée, de femme libre.

Tout comme celle d’Adèle Exarchopoulos que je ne connaissais pas du tout. Adèle, c’est un personnage de Kechiche comme Rym ou Saartjie, donc elle est loin de la timide Clémentine du Bleu. Tant pis, elle est très juste. Elle est incroyablement naturelle ! Elle est montrée en gros plan, chaque millimètre de sa peau (ou presque) est filmé, elle n’est pas toujours mise en valeur (ce qui est assez agréable à force de voir toutes ces actrices « parfaites ») et on rentre peu à peu dans sa peau, dans son intimité.

Toutes les deux semblent à fleur de peau, elles semblent complètement dans le rôle. Kechiche arrive (c’est ce que je ressens en tout cas) à faire oublier que c’est un film en poussant ses actrices (on en a suffisamment entendu là-dessus) jusqu’au bout pour qu’elles cessent de jouer et qu’elles soient totalement le personnage. (Ce n’est pas clair, mais ce n’est pas grave.) Elles sont en parfait accord, elles sont naturelles. Elles sont géniales.

Ce film peut résonner avec la vie de tout le monde, ou en tout cas de beaucoup de personnes. Adèle et Emma me sont plus proches que Lydia (L’esquive), Rym (La Graine et le Mulet) ou Saartjie (Venus noire) car je n’ai jamais vécu ce que ces dernières ont vécu, car je ne connais pas le milieu dans lequel elles évoluent. La vie d’Adèle et d’Emma est beaucoup plus proche de la mienne et elle peut parler à tous ceux qui ont déjà connu une histoire comme la leur.

Les dialogues qui sont l’une des marques des films kechichiens rendent le film vrai, réaliste. C’est la vie sans fard.

Des critiques notent une certaine lenteur pendant ces trois heures. Je ne l’ai pas vue. Pour moi, le film passe en un éclair. C’est cru, puissant, c’est démesuré, c’est intense. C’est aussi intelligent, sensible, émouvant, subtile. C’est humain.

Ce qu’en disait Julie Maroh sur son blog le 27 mai 2013

Les autres films d’Abdellatif Kechiche :

Le Bleu et la Vie d'Adèle

Vénus noire, de Abdellatif Kechiche, avec Yahima Torres, André Jacobs, Olivier Gourmet (France, 2009)

Vénus noireLe pitch en une phrase : la vie de Saartjie Baartman au début du XIXe siècle, une jeune femme originaire de l’Afrique du Sud et surnommée la « Vénus hottentote ».

Le sujet le laisse présager, mais il faut quand même le dire : le film est dur. L’existence menée – subie plutôt – dans les « foires aux monstres » par une jeune femme qui a été exposée, exhibée, étudiée, disséquée même, à cause de son physique (elle avait une poitrine, des fesses et des organes sexuels très développés, ce qui était intriguant, choquant pour les Européens), cela ne présage pas des parties de rigolades. (Comme dirait le criminologue du RHPS, « it was clear that this was to be no picnic »).

Et décidemment, Kechiche est le réalisateur des personnages féminins, des actrices fortes. Yahima Torres est impressionnante de crédibilité. Comment dire ? Parfois, on se dit « elle est Saartjie », ce n’est plus une actrice. L’association est très forte.

J’ai trouvé ce film très perturbant. D’abord, on ne sait pas trop quelle est la position de Saartjie Baartman au début du film: est-elle complice ou victime ? Ça devient beaucoup plus dur par la suite où on l’oblige à se prostituer, à se laisser toucher, à « animer » des soirées libertines, etc. On en vient rapidement à se demander : jusqu’où va-t-on aller ? Je n’explique pas très bien, mais ces longues scènes de tortures physiques et morales sont épuisantes psychologiquement.

Ce qui m’a troublé également – et de manière très désagréable –, c’est la sensation d’être placée dans une position de voyeur. Kechiche montre tout dans ce film. Tout montrer n’est pas forcément le plus efficace. En ce qui me concerne, j’aurais pu être beaucoup plus dérangée par le film avec des sous-entendus, les sous-entendus me marquent bien davantage, comme la pression latente de La Graine et le Mulet. Ce qui accroit ce voyeurisme, ce sont les regards. Il filme beaucoup les regards. Les regards curieux, avides, méprisants, choqués, luisants de désir, dégoutés, attristés…

Ce film est à la fois horrible, magnifiquement filmé, puissant. Un choc.

Les autres films d’Abdellatif Kechiche :

La Graine et le Mulet, de Abdellatif Kechiche, avec Hafsia Herzi, Habib Boufares (France, 2007)

La Graine et le MuletLe pitch en une phrase : Silmane, ancien ouvrier récemment licencié, décide d’ouvrir son propre restaurant aidé par ses enfants et surtout par Rym, la fille de sa compagne qu’il considère comme sa fille : il souhaite faire du couscous au mulet la spécialité du lieu.

La graine, c’est la semoule du couscous. Le mulet, c’est le poisson qui l’agrémente.

C’est un film très long (2h30) comme Kechiche sait les faire. Les tensions montent lentement entre les enfants, entre mari et épouse, entre enfants de sang et enfants d’adoption. On se dirige peu à peu vers une fin que l’on présent tragique, fin qui arrive de plus en plus vite au son de la musique et des déhanchements de Rym. L’émotion monte, le spectateur est pris entre les séquences qui alternent, la fin est plutôt sous-entendue.

Il y a toujours de longues séquences de dialogues pendant lesquelles la caméra est focalisée sur le personnage qui parle. La musique est inexistante à l’exception de celle jouée par les personnages. Chacun d’entre eux possède un caractère distinct, ils sont vrais. Je n’ai pas vu de clichés comme dans L’esquive (vulgarité permanente du langage, violence immédiate des policiers… Après, je l’ai déjà dit, je ne connais rien aux banlieues).

 

La Graine et le Mulet, c’est la vie difficile des ouvriers émigrés. C’est un système compliqué (tu demandes telle aide, on te dit qu’il faut tel papier, mais pour avoir ce papier, il faut telle garantie, mais pour avoir cette garantie, il faut l’aide, et c’est un serpent qui se mord la queue). Et malgré les tensions, la solidarité familiale est toujours là. Et c’est peut-être le centre du film.

Hafsia Herzi est stupéfiante. Elle donne tout, c’est du moins l’impression qu’elle donne.

On retrouve la marque de Kechiche, évidemment, mais celui-ci m’a passionné, m’a entraîné, m’a beaucoup plus touchée que le précédent.

Les autres films d’Abdellatif Kechiche :

L’esquive, de Abdellatif Kechiche, avec Sara Forestier, Osman Elkarraz, Sabrina Ouazani (France, 2003)

On m’avait conseillé, avant d’aller voir La vie d’Adèle, de regarder les autres films d’Abdellatif Kechiche. J’ai donc visionné les trois derniers, à savoir L’esquive, La Graine et le Mulet et Vénus Noire.

L'esquive

Le pitch en une phrase : une bande de lycéens révise Le jeu de l’amour et du hasard de Marivaux.

Pendant près de deux heures, Kechiche filme les gestes, les paroles, les mouvements les plus insignifiants de ces jeunes. Ce film est un flot de paroles. Il n’y a pas de musique, ce qui confère au film un côté presque documentaire sur la vie en banlieue. Il montre la violence de ce milieu, violence des forces de l’ordre (cliché, ces policiers qui s’énervent dès le début ? J’avoue que je ne connais pas cette vie et que je ne connais que ce que l’on nous en montre).

J’ai trouvé l’acteur principal mou, il n’évolue pas et m’a de plus en plus agacé au fil du film. Sara Forestier était pas mal, crédible, vive, mais insupportable aussi.

J’ai bien aimé le paradoxe entre deux langages : celui, rapide, argotique de la banlieue, et celui travaillé de Marivaux.

Il me semble que je l’avais déjà vu, il y a fort longtemps, et que je n’avais pas accroché. C’était encore le cas cette fois, je suis plutôt partagée et je ne peux pas le citer comme un film que j’aime.

Les autres films d’Abdellatif Kechiche :

https://oursebibliophile.wordpress.com/2013/10/09/la-graine-et-le-mulet-de-abdellatif-kechiche-avec-hafsia-herzi-habib-boufares-france-2007/