Le père Goriot, d’Honoré de Balzac (1842)

Le père Goriot (couverture)Eugène Rastignac, issue d’une famille de province, noble mais peu fortunée, monte à Paris pour y faire son droit. Il vit dans une pension modeste, mais rêve de s’intégrer dans la grande société. Il s’attache à son vieux voisin de palier, le père Goriot, mais aspire à côtoyer ses filles à qui il a distribué l’essentiel de sa fortune.

Pour être exacte, ce n’était pas une vraie découverte dans le sens où je l’avais déjà lu il y a une quinzaine d’années. Cependant, mes souvenirs ont eu largement le temps de se troubler depuis et, désireuse de renouer avec Balzac, j’ai souhaité rafraîchir ma mémoire. Que j’ai bien fait ! Car je me suis régalée avec ce classique.

Difficile de le lâcher une fois prise dans le récit. Dans un récit cruel, il faut bien le dire. J’ai été émue – malgré l’irrésistible envie de le secouer pour lui faire ouvrir les yeux parfois – par cette figure de père qu’est le père Goriot : un homme aimant inconditionnellement ses filles et prêt à tout pour satisfaire leurs moindres désirs. Pourtant, il est par là même faillible car cet amour absolu qui l’aveugle ne lui sera nullement rendu et causera sa perte (« J’avais trop d’amour pour elles pour qu’elles en eussent pour moi. »). En effet, ses filles, Anastasie de Restaud et Delphine de Nucingen, toujours gâtées mais jamais comblées, sont devenues des monstres d’égoïsme. Elles sont révoltantes de cupidité et d’indifférence, parties prenantes d’une société cynique et impitoyable.
Cependant, la critique ne touche pas uniquement (et pas toutes) les femmes : en réalité, la plupart des personnages sont arrivistes, à la recherche de toujours plus de pouvoir conféré par l’argent et la position sociale, mais aussi menteurs, joueurs, infidèles… Dans cette société, on quête des faveurs auprès des personnalités en vue mais l’on n’hésitera pas une seconde à se délecter de leurs malheurs si elles chutent. Rastignac n’est pas (encore) détestable car il n’est pas totalement débarrassé de ses idées provinciales, car son cœur a parfois des mouvements généreux, car il se prend d’une réelle amitié pour Goriot, mais il n’en a pas moins des rêves de gloire qui le font parfois pencher vers un comportement moralement discutable et son action finale sera celle d’un ambitieux prêt à tout pour servir ses intérêts.

J’ai été fascinée par les personnages racontés par Balzac. Or, il y a de nombreux protagonistes à rencontrer dans ce roman, que ce soit du côté de la riche société ou de la pension Vauquer, au fil de l’intrigue et de descriptions passionnantes. Je me suis délectée de cette pluralité de portraits, tant physiques que psychologiques.
D’autant que ces portraits s’assemblent pour dessiner une vaste peinture sociale. Dans sa Comédie humaine, Balzac raconte la société sous la Restauration à travers un réseau de personnages qui rejoignent et se retrouvent de romans en romans. Un procédé vis-à-vis duquel je suis toujours enthousiaste, désireuses de creuser l’histoire des personnages que j’ai aimé. Notamment, je me réjouis de retrouver le forçat captivant Vautrin – j’ai d’ailleurs été agréablement étonnée de trouver un personnage homosexuel chez Balzac, je l’avoue – dans Illusions perdues et Splendeurs et misères des courtisanes ou la vicomtesse de Beauséant – rare figure aimable et touchante – dans La femme abandonnée.

Un roman réaliste et ardent, riche en sentiments, peinture d’une société sans pitié.

 Et vous, quels sont vos romans préférés de Balzac ?

« Madame, j’ai, sans le savoir, plongé un poignard dans le cœur de madame de Restaud. Sans le savoir, voilà ma faute, dit l’étudiant que son génie avait assez bien servi et qui avait découvert les mordantes épigrammes cachées sous les phrases affectueuses de ces deux femmes. Vous continuez à voir, et vous craignez peut-être les gens qui sont dans le secret du mal qu’ils vous font, tandis que celui qui blesse en ignorant la profondeur de sa blessure est regardé comme un sot, un maladroit qui ne sait profiter de rien, et chacun le méprise. »

« Ce qui arrive à ce père peut arriver à la plus jolie femme avec l’homme qu’elle aimera le mieux : si elle l’ennuie de son amour, il s’en va, il fait des lâchetés pour la fuir. Tous les sentiments en sont là. Notre cœur est un trésor, videz-le d’un coup, vous êtes ruinés. Nous ne pardonnons pas plus à un sentiment de s’être montré tout entier qu’à un homme de ne pas avoir un sou à lui. Ce père avait tout donné. Il avait donné, pendant vingt ans, ses entrailles, son amour ; il avait donné sa fortune en un jour. Le citron bien pressé, ses filles ont laissé le zeste au coin des rues. »

« Eh  bien ! monsieur de Rastignac, traitez ce monde comme il mérite de l’être. Vous voulez parvenir, je vous aiderai. Vous sonderez combien est profonde la corruption féminine, vous toiserez la largeur de la misérable vanité des hommes. Quoique j’aie bien lu dans ce livre du monde, il y avait des pages qui cependant m’étaient inconnues. Maintenant je sais tout. Plus froidement vous calculerez, plus avant vous irez. Frappez sans pitié, vous serez craint. »

Le père Goriot, Honoré de Balzac. Gallimard, coll. Folio classique, 2001 (1842 pour la première édition). 436 pages.

Publicité

13 réflexions au sujet de « Le père Goriot, d’Honoré de Balzac (1842) »

  1. Etonnamment, après avoir suivi un cursus littéraire, je n’ai jamais lu ce livre… J’en ai beaucoup entendu parler (je connais même des références, comme « A nous deux Paris »), mais je ne me suis pas encore lancée dans la lecture. Ta chronique m’en donne envie ! Il y a les Illusions perdues qui me tente énormément aussi, tu as aimé toi ?

  2. J’ai un souvenir pas très agréable de Balzac depuis la lecture obligatoire de La peau de chagrin au lycée, alors je ne sais pas si j’oserais retenter un jour un autre roman; comme le Père Goriot !

    • Les expériences de lectures scolaires ne sont pas toujours heureuses, ça peut valoir le coup de redécouvrir un auteur dans un autre contexte parfois ! (Même si ça peut aussi être que Balzac ne te convient pas en toutes circonstances.)

Votre commentaire

Entrez vos coordonnées ci-dessous ou cliquez sur une icône pour vous connecter:

Logo WordPress.com

Vous commentez à l’aide de votre compte WordPress.com. Déconnexion /  Changer )

Photo Facebook

Vous commentez à l’aide de votre compte Facebook. Déconnexion /  Changer )

Connexion à %s