Les Rougon-Macquart, tome 4, La Conquête de Plassans, d’Emile Zola (1874)

Pour conclure la saison 2 du rendez-vous Les classiques, c’est fantastique, le thème était assez libre : une oeuvre d’un siècle de notre choix à l’honneur. J’en ai donc profité pour continuer ma lecture des Rougon-Macquart de ce cher Émile.

Les classiques, c'est fantastique - Un siècle à l'honneur

Poursuivons l’aventure en retournant au berceau de la tentaculaire famille Rougon-Macquart : Plassans. Une famille : les Mouret, composée de Marthe issue de la branche Rougon, de François de la branche Marquart et de leurs trois enfants. Autour d’eux, deux clans – les bonapartistes et les légitimistes – se disputent la ville jusqu’à l’arrivée d’un prêtre, l’abbé Faujas, secrètement missionné de ramener la ville dans le giron de l’Empire.

La conquête de Plassans (couverture)Ce tome est bien plus politique que le précédent. Le contexte historique, les luttes entre partis, les relations politiques et les intrigues pour grignoter un peu d’influence sont une part importante du roman. Zola trace un certain nombre de portraits, de caractères, qui permet de distinguer et de reconnaître facilement chaque membre éminent de Plassans. Cependant, quelle que soit la société fréquentée, tous et toutes partagent des désirs inassouvis de pouvoir et d’honneurs, se disputant les postes de hauts fonctionnaires, les médailles et les cures. À plusieurs reprises, l’insensibilité de ces bourgeois envers le malheur d’autrui glacera le sang. Seuls dénotent un peu M. de Condamin au regard sarcastique et désabusé et l’abbé Bourrette d’une naïveté et d’une gentillesse totales.
Parmi ses hommes et ses femmes du monde, l’abbé Faujas détonne. C’est une figure de prêtre mémorable : un colosse, terrible et imposant, misogyne, aveugle à quiconque ne lui est pas utile, mais dont la face fermée et impénétrable sait laisser passer de la bonhommie si besoin, un dictateur en soutane. C’est un personnage qui fascine et qui révolte du début à la fin et participe à la critique de l’auteur vis-à-vis de l’Église qui, à l’exception de l’abbé Bourrette, se montrera, dans ce volume, politisée, manipulatrice, fourbe ou lâche.

Mais La Conquête de Paris est également un roman intimiste, traçant la destruction d’une famille parallèlement à l’ascension du prêtre. La famille Mouret, confite dans sa tranquillité et son train-train, se voit peu à peu chamboulée par l’arrivée de l’abbé Faujas et de sa mère, puis de sa sœur et son beau-frère (les Trouche). Gagnant la confiance et l’amitié des propriétaires et de leur domestique par leur discrétion première, les Faujas et les Trouche se font plus gourmands. Tandis que l’abbé Faujas acquiert une toute puissance sur l’âme de Marthe, les trois autres se disputent la maison et font mainmise sur les chambres, la nourriture, l’argent, la cuisinière…
Le roman finit par mettre franchement mal à l’aise : tandis que la dévotion et la soumission de Marthe, fraîchement tombée dans la religion, envers l’abbé se font plus absolues, la maison devient le cœur de mensonges, de vols, d’une avidité sans limite. Le comportement impitoyable de ses nouveaux parasites et le délire mystique de Marthe seront à l’origine, pour François Mouret, d’un sort funeste. L’abbé, focalisé sur ses objectifs politiques, détourne le regard, mais son mépris pour les femmes, notamment pour Marthe qu’il a utilisée sans scrupule, n’en est pas moins d’une violence inouïe. L’air devient malsain, l’atmosphère lugubre tandis que les Mouret sont jetés au sol, manipulés et piétinés pour servir les ambitions de leurs locataires.
Marthe dévote, les Trouche perfides et vicieux, Rose impertinente, Faujas tyrannique, Mouret détruit… les personnages sont source de mille sentiments, de la révolte à la compassion. Sans inspirer de la sympathie, Zola se fait un descripteur détaillé et fascinant des pires bassesses et comportements.

Roman politique, histoire familiale : entre les luttes opposant bonapartistes et légitimistes et la déréliction de la maison Mouret, Zola propose surtout un roman hautement psychologique. De la voracité gloutonne pour l’argent, le luxe et le pouvoir, à la folie du couple Mouret (triste héritage de la grand-mère Adélaïde, elle-même enfermée à l’asile) en passant par la manipulation par la fausse gentillesse, les mensonges ou la religion, ce récit s’est révélé incroyablement brutal et cruel psychologiquement parlant. La fin est absolument captivante et tragique à la fois, apothéose grandiose de ce roman. Alors que je craignais un tome trop politique, j’ai, encore une fois, été fascinée par le talent et la plume de Zola qui forcent l’intérêt de qui le lit.

« Si Marthe pliait devant le prêtre, si elle n’était plus que sa chose, elle s’aigrissait chaque jour davantage, devenait querelleuse dans les mille petits soucis de la vie. Rose disait qu’elle ne l’avait jamais vue « si chipotière ». Mais sa haine grandissait surtout contre son mari. Le vieux levain de rancune des Rougon s’éveillait en face de ce fils d’une Macquart, de cet homme qu’elle accusait d’être le tourment de sa vie. »

« Une note qui les inquiéta beaucoup fut surtout celle du pâtissier de la rue de la Banne – elle montait à plus de cent francs –, d’autant que ce pâtissier était un homme brutal qui les menaçait de tout dire à l’abbé Faujas. Les Trouche vivaient dans les transes, redoutant quelque scène épouvantable ; mais le jour où la note lui fut présentée, l’abbé Faujas paya sans discussion, oubliant même de leur adresser des reproches. Le prêtre semblait au-dessus de ces misères ; il continuait à vivre, noir et rigide, dans cette maison livrée au pillage, sans s’apercevoir des dents féroces qui mangeaient les murs, de la ruine lente qui peu à peu faisait craquer les plafonds. Tout s’abîmait autour de lui, pendant qu’il allait droit à son rêve d’ambition. »

« Il était revenu au milieu du vestibule, réfléchissant, ne pouvant apaiser ce souffle rauque qui s’enflait dans sa gorge. Où se trouvait-il donc, qu’il ne reconnaissait aucune pièce ? Qui donc lui avait ainsi changé sa maison ? Et les souvenirs se noyaient. Il ne voyait que des ombres se glisser le long du corridor : deux ombres noires d’abord, pauvres, polies, s’effaçant ; puis deux ombres grises et louches, qui ricanaient. Il leva la lampe dont la mèche s’effarait ; les ombres grandissaient, s’allongeaient contre les murs, montaient dans la cage de l’escalier, emplissaient, dévoraient la maison entière. Quelque ordure mauvaise, quelque ferment de décomposition introduit là, avait pourri les boiseries, rouillé le fer, fendu les murailles. Alors, il entendit la maison s’émietter comme un platras tombé de moisissure, se fondre comme un morceau de sel jeté dans une eau tiède. »

« – La vie entière, c’est fait pour pleurer et pour se mettre en colère. »

Les Rougon-Macquart, tome 4, La Conquête de Plassans, Emile Zola. Typographie François Bernouard, 1927 (1874 pour la première édition). 390 pages.

Les Rougon-Macquart déjà lus et chroniqués :
– Tome 1, La Fortune des Rougon ;
– Tome 2, La Curée ;
– Tome 3, Le Ventre de Paris.

28 réflexions au sujet de « Les Rougon-Macquart, tome 4, La Conquête de Plassans, d’Emile Zola (1874) »

    • Comment peut-il en être autrement ? ^^ Franchement, le titre n’était pas celui qui m’inspirait le plus, j’avais peur de me noyer dans les considérations politiques, mais la leçon de ce tome est : il faut faire confiance à Zola !

  1. Zola, la star de ce challenge 😉
    Je n’ai pas lu celui-ci, à vrai dire je ne suis pas très loin dans mon exploration de son oeuvre, j’en ai lu que deux mais deux très forts : Germinal et L’assommoir.. ! Grâce au challenge, je compte bien continuer à le découvrir.

  2. J’ai mis dans ma PAL le premier de la série, La fortune pour voir si je change d’avis à son sujet ca je reste bloqué sur mon expérience au lycée avec Germinal….. Mais je pense que j’étais trop jeune pour l’apprécier et les thèmes qu’ils développent (et que je lis ici et là grâce aux blogs) trouvent finalement beaucoup d’échos avec notre époque mais également avec des pensées personnelles vis-à-vis de notre société….. J’ai également La terre mais il est plus loin dans la saga et quant à les lire autant le faire dans la chronologie car il semble que la généalogie a également son importance 🙂

    • Je pense que ça a pu jouer, oui. Je n’ai pas encore lu Germinal mais il a l’air tellement intense que je ne conçois pas de pouvoir être déçue par ce tome ! (Je crois qu’il faudra que je calme mon enthousiasme quand j’arriverai à lui car ça peut être une source de déception.)
      Je pense effectivement que lire au moins La fortune des Rougon d’abord peut être une bonne chose car il pose la famille, la rivalité entre les deux branches et d’autres thématiques qui peuvent être intéressantes à connaître pour lire la suite.

    • Si tu en as le courage et l’envie, je t’y incite fortement ! C’est un tel plaisir à chaque fois. Et ce n’est pas une saga qui se lit en quelques jours, il y a de la matière pour des années ! ^^

  3. Zola n’aimait clairement pas les religieux et il nous le montre bien ! 😉
    Tu verras que dans le suivant, ils en prennent encore pour leur grade.

    J’avais aussi peur du côté politique de ce roman et finalement, ça se lit tout seul.
    Et voir comment Faujas parasite peu à peu cette famille, c’est absolument captivant !

    Bonne suite d’aventure avec Zozo 🙂

    • J’imagine bien, vu le titre… Je suis assez curieuse, surtout que d’après ce que tu avais dit sur le groupe tu n’as pas dû être vraiment convaincue par ce tome…
      Exact ! J’ai eu bien envie de les secouer pour leur ouvrir les yeux,..
      Merci ! A toi aussi ! Tu les lis dans l’ordre également ?

      • Oui, j’ai reçu toute la collection dans une vieille édition kitsch du Livre de poche. Du coup, mon côté psychorigide m’impose de les lire dans l’ordre. 😉

        C’est clairement pas mon préféré mais d’autres l’ont beaucoup aimé : cela dépendra beaucoup de ton côté romantique ou non 😉

  4. Comme j’ai l’intégrale Zola, je peux le (re)lire quand je veux mais je traîne les pieds ou je manque de temps, tellement d’autres livres à lire… J’ai moi aussi choisi le XIXe siècle et je vais rempiler pour la saison 3 de ce super challenge 🙂

    • C’est un problème que nous avons un peu toutes ! Il faut tout le temps faire des choix… Je prends mon temps, mais je me régale à chaque fois, donc je vais continuer à lui accorder mon temps !
      Au plaisir de découvrir tes prochaines lectures classiques !

    • Je comprends ! J’en avais lu quelques-uns pendant mes années lycée (en lectures perso et non scolaires) et j’ai recommencé du début pour les lire dans l’ordre et j’avoue que c’est un régal perpétuellement renouvelé. Je prends toujours un immense plaisir à le lire !

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