(VieTM est le second tome d’une trilogie, mais ils peuvent se lire indépendement car les tomes présentent des personnages et des univers différents.)
« Sylvester Staline, citoyen X23T800S13E616, tourne des cubes colorés. Un boulot qui en vaut bien un autre, au fond, et qui a ses avantages. Son compte en banque affiche un solde créditeur de 4632 unités. Et si son temps de loisirs mensuel est débiteur de huit heures, son temps d’amitié restant à acheter est dans le vert. Sans même parler de son temps d’amour : plus de quarante-trois heures ! Une petite anomalie, c’est sûr ; il va falloir qu’il envisage de dépenser quelques heures de sexe… Mais de là à ce qu’un algorithme du bonheur intervienne ? Merde ! À moins que cela ait à voir avec cette curieuse habitude qu’il a de se suicider tous les soirs ? Il n’y a jamais trop songé, à vrai dire… Sylvester ne le sait pas encore, mais il pourrait bien être le grain de sable, le V de la vendetta dans l’horlogerie sociale du monde et ses dizaines de milliards d’entités. D’ailleurs, les algorithmes Bouddha et Jésus veillent déjà sur lui… » (Quatrième de couverture)
Cette lecture m’a laissée un peu perplexe. Je ne sais pas vraiment ce que j’en ai pensé. Ou en tout cas, j’ignore si je l’ai vraiment apprécié ou pas. Il faut dire que l’éditeur place la barre haute lorsqu’il dit, concluant un « mot » précédant le roman, qu’il s’agit d’« un colossal uppercut à l’estomac doublé d’un coup de talon là où ça fait mal ; le projet de SF politique du XXIe siècle ». Le genre d’éloge qui, chez moi, conduit généralement à une déception. Je préfère éviter d’avoir des attentes trop élevées car, si je suis globalement bon public, trop me vanter un roman (ou un film) a souvent l’effet inverse. Je n’irais pas juste à dire que je suis déçue en ce qui concerne VieTM, mais je n’ai pas l’impression non plus que les promesses mirobolantes de l’éditeur aient été tenues.
Il y a toutefois quelque chose de particulièrement déprimant dans ce livre. Un écho de la vacuité de ma propre vie, ce qui est une thématique que je remâche régulièrement (je suis quelqu’un de tellement positif…). Evidemment, le futur décrit est loin d’être un copié-collé de nos existences et nous n’en sommes pas au point de l’humanité décrite dans le livre : isolé·es dans des appartements, maintenus en vie presque éternellement grâce à un « TedTM » (un lit nutritif qui régénère les cellules et capable de ressusciter un macchabée), absolument incapables de survivre sans la technologie avancée qui emprisonnent les personnages du roman, partageant notre vie entre le travail, les loisirs, l’amitié et l’amour selon des temps chronométrés et surveillés par des algorithmes, ignorant ce qu’est un véritable contact entre être humain hors réalité virtuelle. Mais quand même. Tous nos emplois sont-ils parfaitement intelligents et utiles à la société ? Les algorithmes n’ont-ils pas pris une place non négligeable dans nos existences ? Nos survols des articles Wikipédia sont-ils si éloignés des « infomercials », résumés en trois minutes sur tous les sujets possibles et imaginables, qui envahissent le champ visuel de Sylvester ? Les absurdités des discours algorithmiques sont-ils plus fous que notre paperasserie administrative qui se révèle parfois parfaitement absconse et sans fin ?
« Ses AgfariensTM vous entourent et vous suivent, garantissant votre interactivité avec le monde. Les données vous concernant sont à l’abri, sauvegardées pour l’éternité dans notre vault, librement accessibles par tous. »
Sylvester Staline ressent un mal-être, indéfini mais bien présent. Et tous les soirs, il se suicide. Lorsque des algorithmes, des « codes-stars cravates », se penchent sur son cas, ajoutant des antidépresseurs dans son TedTM, le poussant à suivre un séminaire nihiliste (ça aurait pu être religieux, scientifique, ésotérique, agnostique, mais il a choisi au hasard et c’est tombé sur nihiliste), il ne va cesser de se démarquer de ses concitoyens car il s’interroge. Quel est le but de sa vie ? Quelle est sa vie ? A-t-il déjà rencontré, réellement, physiquement, d’autres êtres humains ou sa vie entière a-t-elle été bercée par des algorithmes ? Que signifie cette époque où tout est à portée de main, mais où l’on ne crée plus rien, où l’on ne fait que recycler un passé révolu ?
Dans le roman, il y a des dizaines voire des centaines de milliards d’êtres humains sur la planète. Ils peuvent se rencontrer n’importe quand dans leurs hubs virtuels, les relations amicales sont tarifées, les relations sexuelles se font à distance. Ils portent des pseudonymes qui tournent en dérision (même si ce n’est pas mon genre d’humour, ça a un peu fait un plat avec moi) des célébrités réelles ou imaginaires du passé comme Nabot Léon, Baraque Obama, Jean-Paul Tartre, Harry Poppers ou Zara Foutra. Sauf que, pour eux, il n’y a aucune notion d’humour, c’est simplement que ces noms ne veulent plus rien dire. Il n’y a plus de respect, d’admiration envers quiconque (sauf quelqu’un ayant énormément de contacts – tiens, ça me rappelle quelque chose – ou possédant de jolis et coûteux trucs virtuels) car les sentiments sincères ont disparus. Il n’y a plus de croyances, il n’y a plus de morale – la mort, les viols, la zoophilie deviennent des loisirs parfaitement ordinaires –, il n’y a plus de vie privée – on partage des sexfies avec tout le monde –, bref, cela donne lieu à des passages très crus et répugnants (ouf, il y a quand même un certain gouffre entre eux et moi !). Tout est virtuel donc rien ne porte à conséquence. On ne peut plus tuer, on ne peut plus faire souffrir et on ne peut plus déranger le système.
Un univers aberrant, improbable, excessif et outrancier qui parvient tout de même à interroger les absurdités de notre propre monde, à refléter un peu du vide de nos propres vies.
Cette chronique est extrêmement brouillonne et confuse, j’ignore si vous parviendrez à y comprendre quelque chose, mais c’est bien la preuve que ce roman me laisse perplexe. Je l’ai trouvé exagéré, poussé à l’extrême – dans ses descriptions de sexe ou de massacre, dans ses insultes ou expressions vulgaires (raah, ce « à plus on se suce », je n’en pouvais plus de lire !) – et parfois long dans ses répétitions – néanmoins très utiles car on ressent à merveille l’aliénation et la routine assommante dans lesquelles le protagoniste est enfermé –, mais il éveille indubitablement des questionnements et j’ai été enthousiasmée par cette fin percutante et parfaite.
Une découverte pour laquelle je peux remercier Babelio et les éditions du Bélial’ car, même si j’ai très envie de découvrir davantage cette maison d’édition, je n’aurais probablement pas choisi ce livre insolite. Et je suis tout de même intriguée par le premier tome de la trilogie Trademark, BonheurTM.
« Dans son état médicamenteux semi-méditatif, une grande vérité lui apparaît. Ces cubes sont une parabole sur sa vie. Chacun fait partie d’un immense complexe, entouré de millions d’autres cubes. Aucun ne sait pourquoi il est là, ni quelle est son utilité. Tous sont connectés et pourtant perdus dans un univers incompréhensible. N’est-ce pas à cela que sa vie ressemble ? »
« V dit :
« La société moderne a aspiré vos esprits. Vos corps sont emprisonnés entre quelques murs, régénérés, certes, mais vos esprits sont éparpillés en mille rêveries numériques. Vous êtes des milliards, des dizaines de milliards, des centaines de milliards dans des zones similaires, dans des buildings similaires, dans des pièces similaires, des corps immobiles, inutiles, piégés dans la prison de l’esprit que les algorithmes ont construite pour vous. » »
Trademark, tome 2, VieTM, Jean Baret. Le Bélial’, 2019. 301 pages.
Challenge de l’imaginaire
Brouillon, non, c’est plutôt clair, mesuré.
Merci… je me suis bien plus attardée sur des détails de l’histoire que d’ordinaire, mais tant mieux si c’est clair pour vous ! Encore maintenant, je ne sais que penser de ce bouquin.
Je ne la trouve pas brouillonne du tout ta chronique moi !
Et pour avoir lu le premier tome, je te comprends totalement, je peux pas dire que j’ai passer « un bon moment de lecture », mais j’ai apprécié les réflexions sur ce monde dystopique mais finalement pas si éloigné du nôtre.
Ça me donne envie de découvrir ce deuxième tome, même si je sais que ça va pas être le livre super drôle à lire =)
(pardon pour mon commentaire précédent qui s’est publié sans que je lui demande rien, le vilain)
Merci ! (Mais je la trouve quand même bien plus confuse que d’habitude à toujours revenir sur l’histoire notamment. Mais bref, c’est comme ça qu’elle est sortie.)
Ah, ça me fait plaisir de discuter avec quelqu’un qui a lu le premier tome ! Qu’est-ce que tu n’as pas aimé du coup ? En tout cas, j’ai l’impression qu’on a un peu le même avis. Et on a chacune un autre tome à lire maintenant ! ^^
(Pas de souci, je l’ai supprimé du coup.)
C’est pas que j’ai pas aimé des trucs en particulier (quoique le traitement de la femme était quand même choquant… Mais comme c’était fait exprès, je peux pas vraiment critiquer), c’est plus que c’était « pas facile » à lire… Je sais pas trop comment dire, j’ai aimé toutes les questions et les points relevés en miroir sur notre société, mais c’était finalement assez violent, du coup bon, tu rigoles pas à chaque paragraphe, mais je suis quand même contente d’avoir lu ce livre^^
C’est comme une espèce d’expérience de lecture un peu particulière =)
Oui, je vois. J’ai l’impression qu’il n’est pas facile de parler de ces bouquins, c’est intéressant. En tout cas, ce que tu en dis me laisse apercevoir une cohérence avec ce que j’ai pensé du tome que j’ai lu. Je lirai BonheurTM et le troisième tome à l’occasion, je pense. Dans l’espoir de me faire un avis un peu plus éclairé.