Spécial nouvelles : Première personne du singulier, Nanofictions, Le plus petit baiser jamais recensé

(En vrai, Le plus petit baiser jamais recensé n’est pas une nouvelle, mais il est si court (et ma chronique l’est encore plus !) que je lui fais une petite place ici.)

 

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Première personne du singulier, de Patrice Franceschi (2015)

Première personne du singulier (couverture)Quatre nouvelles. Deux histoires de marins, deux histoires de la Seconde Guerre mondiale. Quatre dilemmes cornéliens qui se présentent à ces héros (et une héroïne) tragiques.

Après les histoires très courtes, filant à l’essentiel, de Kenneth Cook (Le koala tueur et autres histoires du bush), ce sont ici des nouvelles plus longues, qui prennent davantage leur temps pour décrire personnages, lieux et situations. Elles nous embarquent dans des situations révoltantes, plaçant les personnages face à des choix impossibles, déchirants, qu’ils soient dictés par l’amour, le devoir, les idéaux. Des choix qui souvent conduisent au désespoir le plus profond.

La plume de Patrice Franceschi est superbe. Les mots sont des perles soigneusement sélectionnées, transformant les phrases en joyaux littéraires. Soulignant toujours davantage la beauté et la tragédie de ces histoires qui pourraient n’être que des anecdotes. Qu’il décrive une tempête au milieu de l’océan, qu’il mêle une armée française en déroute et un poème de Victor Hugo ou qu’il invite l’actualité brûlante des migrants, qu’on soit en 1884, dans les années 1940 ou en 2013, l’auteur pousse ses personnages au bord du gouffre, face à leurs responsabilités.

(Petite déception – les autres nouvelles ayant mis la barre haute – sur la dernière histoire que je trouve un peu moins originale et tirant un peu vers le pathos. Cela dit, elle est aussi bien écrite que les autres et joliment construite.)

Quatre récits qui, chacun à leur manière, m’ont bousculée, m’ont chavirée, m’ont poussée à m’interroger sur ce que j’aurais à leur place.

« Il regarda l’océan tout autour de lui. Mais il n’y avait plus d’océan : des montagnes liquides l’avaient remplacé ; La Providence se frayait un chemin dantesque parmi des à-pics et des gouffres sans cesse renouvelés, des falaises et des surplombs, des crêtes et des cimes aux figures blafardes et le brick était comme un alpiniste solitaire perdu dans l’Himalaya. Flaherty resta debout, seul et solitaire, les deux mains sur la barre – et il ne songeait plus qu’à cette peur et à cette responsabilité qui était la sienne tandis que le monde autour de lui semblait ravagé. Comme il devait être doux de n’avoir qu’à obéir… »

« Vous savez, me dit Dolly, il y avait toujours une guerre civile à l’intérieur de Mark ; sans doute entre ce qu’il était et ce qu’il voulait être. C’était son combat de devenir un autre que lui-même. Il était épuisant. On le sentait tout le temps prêt à mourir pour quelque chose ; ça effrayait tous ceux qu’il côtoyait. »

« Madeleine et Pierre-Joseph se sont connus quinze minutes sur le quai d’une gare parisienne. Cinq leur ont suffi pour commencer à s’aimer, dix pour que leur amour s’achève. Le destin n’a pas eu d’égard pour eux : c’était la guerre. »

Première personne du singulier, Patrice Franceschi. Points, 2016 (2015 pour l’édition en grand format). 161 pages.

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Nanofictions, de Patrick Baud (2018)

Nanofictions (couverture)Et si, au lieu de parcourir le monde à la recherche d’étrangetés, le créateur d’Axolot inventait ses bizarreries, ces anomalies ?

Etonnant ouvrage ! Recueil de minuscules récits, d’historiettes tenant sur quelques lignes, il m’a transportée, émerveillée, effrayée. Avec quelques phrases, ces Nanofictions font travailler l’imagination et donnent lieu à mille développements qui seront propres à chaque personne qui les lira. Puisqu’il s’agit d’un livre qui aurait tendance à être dévoré du fait de la brièveté des récits, je les ai dégustées, les lisant un petit peu chaque soir pour prendre le temps de m’en imprégner, pour m’endormir avec, pour m’en bercer.

Réalistes ou relevant du fantastique ou de la science-fiction. Amusantes, oniriques, inquiétantes, poétiques. Optimistes, pessimistes, cyniques. Vie extraterrestre, humanité, surnaturel. Il y en aura pour tous les goûts. Parmi cette profusion et cette diversité, certaines touchent juste, émeuvent ou perturbent. Patrick Baud maîtrise l’art de la chute et parvient à surprendre, à faire sourire, voire à glacer le sang.

Les quelques illustrations qui parsèment le recueil sont à la fois simples, douces et poétiques. Un détail parfait pour sublimer l’ouvrage.

Soir après soir, je suis devenue accro à ces mini nouvelles addictives. C’est incroyable de constater la façon dont quelques mots peuvent ouvrir la porte de dizaines d’univers. N’hésitez pas, embarquez pour un voyage littéraire surprenant !

 

Nanofictions, Patrick Baud. Flammarion, 2018. 128 pages.

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Le plus petit baiser jamais recensé, de Mathias Malzieu (2013)

Le plus petit baiser jamais recensé(couverture)Quand un inventeur dépressif voit disparaître la fille qu’il vient d’embrasser, il se lance dans une grande quête pour la rechercher. Pourquoi disparaît-elle ? Qui est-elle ? Où est-elle ? Des chocolats au goût de baiser, perroquet pisteur, courses de skate tiré par des écureuils seront des ingrédients essentiels pour la rencontrer à nouveau.

L’amour sous toutes ses formes, les cornéliens choix amoureux, la douleur d’une rupture… il n’y a pas à dire, l’histoire est assez classique et pas forcément inoubliable. Sauf que. Sauf que je retiendrai davantage le souvenir – peut-être diffus – de la plume de Malzieu que celui plus galvaudé de l’intrigue. Car ce qui importe le plus, c’est la façon unique dont cette histoire lue, vue, vécue est racontée.
Sans être une experte de Mathias Malzieu, j’ai reconnu ici la belle sensibilité de celui qui m’avait surprise et touchée avec son Journal d’un vampire en pyjama. C’est très joliment écrit. Le texte regorge de trouvailles littéraires, d’images surprenantes et de malignes métaphores. Les néologismes et autres mots-valises sont légion, de la « télépathisserie » au « mélancolasthme » en passant par le « cœur-circuit ». Un petit conte farfelu et romantique !

Ce n’est pas un sans-faute car je ne pense pas m’en rappeler très longtemps – car il manquait un petit quelque chose à l’histoire, car la fin est trop prévisible -, mais cette histoire imaginative et poétique s’est laissée dévorer comme un très bon chocolat.

« Le problème c’est que ma tête n’est jamais reposée. Mon cerveau est une maison de campagne pour démons. Ils y viennent souvent et de plus en plus nombreux. Ils se font des apéros à la liqueur de mes angoisses. Ils se servent de mon stress car ils savent que j’en ai besoin pour avancer. Tout est question de dosage. Trop de stress et mon corps explose. Pas assez, je me paralyse. »

Le plus petit baiser jamais recensé, Mathias Malzieu. J’ai Lu, 2014 (Flammarion, 2013, pour la première publication). 154 pages.

17 réflexions au sujet de « Spécial nouvelles : Première personne du singulier, Nanofictions, Le plus petit baiser jamais recensé »

    • J’ai vraiment adoré ces mini lectures que je dégustais le soir pour les faire durer ! On m’avait prêté le livre, mais j’aimerais bien l’avoir un jour pour pouvoir y repiocher une historiette de temps à autre !
      Si tu y penses, n’hésite pas à revenir me dire ce que tu en auras pensé, ça me ferait plaisir !

  1. Non. Je ne peux pas le croire. En un article tu viens de me donner envie de lire trois nouveaux livres ! Mais tant d’autres m’attendent… Trente centimètres de bouquins au pied de mon lit (tous de la bibliothèque), sans oublier les divers ouvrages d’histoire et de géopolitique dont je dois m’abreuver (au cas où je veuille préparer des concours) (j’apprends petit à petit).
    Alors tant pis, je vais noter ces titres et espérer pouvoir les lire un jour 🙂
    J’ai adoré la photo du livre des Nano-Fictions avec le Loch-Ness. C’est juste excellent ! 😀
    A bientôt

    • Ils sont tous petits ! A eux trois, ils ne rajouteront même pas trois centimètres à ta pile, je pense ! En tout cas, je suis ravie et j’espère que tu céderas ! Surtout pour les Nanofictions, elles se lisent tellement bien ! Tu sais, en piocher une au réveil, une à telle moment, une autre là… ça se déguste comme ça, un joli livre pareil ! (Et tu trouveras d’autres histoires qui te feront rire et dire « excellent » en découvrant la chute !)
      Géopolitique ? Wah. Tu songes à quels concours ? Prof d’histoire-géo ?
      Bonne soirée !

      • Je suis joie et bonheur car je viens de voir que les trois sont à la bibliothèque de ma ville 😀
        Sciences Po dans l’idéal, pour faire je ne sais pas quoi, mais je pense que ça me plairait. Ou une khâgne, ou autre chose. C’est assez flou 😉
        Non pas forcément prof, ça dépend.

          • Coucou 🙂
            J’ai lu Première Personne du Singulier et je reviens t’en parler… J’ai aimé, mais… rien de plus. J’ai trouvé qu’il manquait quelque chose, une grande surprise face au dénouement, comme on en a souvent dans les nouvelles. Et rien de tout cela pour moi. Donc au final j’ai apprécié lire ces nouvelles, qui sont très bien écrites, mais ce recueil ne restera pas inoubliable.
            Ma nouvelle préférée est celle avec le poème de Victor Hugo et le soldat. Elle m’a quand même.. bluffée.
            A bientôt 🙂

            • Salut !
              Merci de ton retour ! Je suis d’accord, il n’y a pas de grande surprise finale, mais ça ne m’a pas manqué. J’ai vu ça comme des plongées dans des dilemmes, des choix difficiles mais inévitables, et ça n’appelait pas à mon goût de twist à la fin des nouvelles. Je suis désolée que tu n’aies pas aimé autant que moi, mais c’est la vie !

  2. Comme je suis contente de lire cet article (et d’avoir été à l’origine de deux de ces lectures héhé !). Bon avec tout ça, il faut vraiment qu’un jour je me mette à lire du Malzieu, j’en entends tellement parler !

  3. Je ne connaissais pas Patrice Franceschi, j’ai bien envie de la découvrir grace à toi, merci !
    Nanofiction est dans ma wishlist, j’ai vraiment très envie de le lire !
    Et Malzieu… Maintenant qu’il fait tout le temps nuit sur toi m’avait tellement touchée… Je n’ai pas lu son Journal (…), mais je pense que je finirai par le faire =)

    • On me l’a fait découvrir avec ce recueil, c’était une très bonne découverte ! Surtout que je ne suis pas forcément friande des nouvelles, ce n’était donc pas joué d’avance.
      Nanofictions est une perle ! J’ai vraiment adoré cette lecture ! J’avoue que je pense me l’offrir un jour pour le repicorer à l’occasion !
      Je n’avais lu jusque-là que le Journal d’un vampire en pyjama que j’avais vraiment aimé. Si le bilan est un peu moins enthousiaste sur ce livre-ci, je note quand même Maintenant qu’il fait tout le temps nuit sur toi !

  4. Le fil conducteur du dilemme dans le premier recueil de nouvelles promet de beaux textes et de belles réflexions, merci pour la découverte !
    Je retiendrai aussi Le plus petit baiser pour les trouvailles littéraires et les belles images plus que pour l’histoire. Qu’importe le contenu, la plume de Malzieu est toujours charmante.

    • C’est tout à fait ainsi que j’ai perçu le premier recueil ! On ne peut pas s’empêcher de s’interroger, de se demander comment nous aurions réagi dans telle ou telle circonstance.
      Je vois que nous avons le même point de vue sur le livre de Malzieu !

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