Parker a seize ans et met un point d’honneur à se débrouiller par elle-même en dépit de sa cécité. Voilà pourquoi elle a instauré les Règles : son handicap ne doit pas être une raison pour être traitée différemment des autres, ni un outil pour l’humilier. Car dans ce cas, il n’y aura pas de seconde chance. Mais la mort soudaine de son père et le retour du petit ami qui l’avait trahie vont tout chambouler.
Voici l’histoire d’une adolescente. Sur ce point, le déroulement de l’histoire est relativement ordinaire : amitiés, amour, trahison, sorties entre amies, rendez-vous amoureux, deuil, rires, larmes, doutes, colère, réflexions, changement. Je reconnais qu’en lisant le résumé, on a une idée de tout ce qui va se passer et de la façon dont ça va se passer. C’est assez prévisible, reconnaissons-le.
Mais ce qui fait tout le charme de ce roman, c’est Parker. Une fille brute de décoffrage, qui dit ce qu’elle pense sans prendre de gants. Une fille intelligente, géniale, cynique, invivable parfois. Une fille qui ne se laisse pas abattre, qui court, qui rêve et qui ne laisse jamais son handicap en être un justement. Une fille que l’on ne plaint jamais car elle n’en a pas besoin. Une fille perpétuellement sur la défensive. Une fille sarcastique qui ne plaira pas à tout le monde, mais qui m’a autant amusée qu’émue.
J’ai en outre particulièrement apprécié la place que l’auteur laissait à l’amitié. Il y a un peu de romance, mais on ne frôle pas l’overdose. Par contre, ses amies, toutes ses amies – amie de toujours, amie dont on s’est un peu éloignée au quotidien mais qui est là malgré tout, nouvelle amie – ont une place magnifique. Au final, la plus belle déclaration d’amour n’est pas à un petit ami, mais à sa meilleure amie.
Je ne sais pas quelle connaissance Eric Lindstrom possède de ce handicap, mais j’ai trouvé le sujet superbement abordé. Pour avoir eu l’occasion de côtoyer des personnes mal- ou non-voyantes (ce qui ne fait pas de moi une spécialiste de ce handicap), certaines scènes ont parfois fait écho à ce que j’avais pu vivre avec elles/eux. Vivre le quotidien du point de vue de l’autre permet d’appréhender les choses différemment, et éventuellement de remettre en question la manière dont on s’en inquiète (mais à la différence de Parker peut-être, je comprends aussi le souci de bien faire, la peur de mal faire, de dire ou de faire quelque chose qui ne serait pas apprécié, etc.). Puisque Parker est narratrice, il n’y a pas de description d’un lieu, d’une personne, d’un paysage : en revanche, les sons et les voix constituent bien souvent le décor du roman.
Un roman simple et réussi bien qu’il reste assez classique sur la forme. J’avoue que j’aimerais beaucoup savoir ce que des aveugles pensent de ce roman (s’il a été transcrit en braille ou lu pour une version en livre audio) car il est difficile d’évaluer la justesse d’un récit lorsqu’il nous place dans une situation aussi radicalement étrangère.
« D’habitude, je porte une veste militaire usée dont j’ai coupé les manches, couverte de badges que mes amis m’ont offerts au fil des années. Avec des slogans du style « Oui, je suis aveugle ! Vous vous en remettrez ! » ou « Aveugle, mais ni sourde ni demeurée », et mon chouchou : « Parker Grant n’a pas besoin d’yeux pour lire en vous ! » Tante Celia m’a dissuadée de la mettre ce matin en disant que ça déstabiliseraient les anciens de Jefferson, qui ne me connaissent pas. Il s’avère qu’elle a eu tort. Ils ont visiblement besoin qu’on les déstabilise. »
« Ça fait un an que je t’explique ce qui n’est pas de l’amour, mais j’aurais peut-être mieux fait de te dire ce qui l’est. J’ai le parfait exemple sous le nez : j’aime Sarah. Je n’ai aucune envie de coucher avec elle, mais je l’aime comme une dingue. Je rêverais qu’on me donne la recette pour qu’elle soit de nouveau heureuse. Si un génie m’offrait trois vœux, j’en prendrais un pour ramener mon père, le deuxième pour ma mère et le dernier ne serait pas de retrouver la vue. Ce serait que Sarah redevienne heureuse comme avant. C’est ça, l’amour, Marissa. Ce n’est ni de la magie ni du vaudou. C’est réel ; ça s’explique. Je peux te dire très précisément pourquoi j’aime Sarah. »
Dis-moi si tu souris, Eric Lindstrom. Nathan, 2016 (2015 pour l’édition originale). Traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Anne Delcourt. 392 pages.
J’avais déjà repéré ce roman, mais ta chronique donne vraiment envie ! Je trouve ça bien que la littérature ado aborde le sujet du handicap par le biais de personnages principaux concernés.
Merci ! Oui, c’est chouette d’avoir un personnage comme Parker ! Le roman m’a semblé très juste, mais je suis toujours curieuse de savoir ce qu’en penserait un·e aveugle.
Pas un roman anodin ! Ton avis donne très envie de découvrir et l’héroïne !!!
Merci ! J’espère que tu en auras l’occasion ! C’est assez rare de rencontrer un·e aveugle en personnage principal !