C’est le cœur qui lâche en dernier, de Margaret Atwood (2015)

C'est le coeur qui lâche en dernier (couverture)Difficile d’ignorer le nom de Margaret Atwood : son roman, La Servante écarlate, a été partout sur la blogosphère en 2017, notamment grâce à l’adaptation en série et à la distribution de livres par Emma Watson dans les rues de Paris. Mais c’est C’est le cœur qui lâche en dernier qui s’est retrouvé dans ma PAL et, à ma grande surprise (avec tous ces éloges sur La Servante écarlate, j’avais un excellent a priori), je dois dire que ma lecture m’a laissée plutôt mitigée…

Les Etats-Unis sont touchés par une crise économique qui jette les gens dans la rue et les pousse aux actes les plus désespérés. Stan et Charmaine survivent péniblement dans leur voiture, mais n’hésitent pas lorsqu’ils entendent parler du projet Consilience/Positron. Ils signent immédiatement pour une vie parfaite avec maison et travail dans la ville de Consilience… un mois sur deux. L’autre mois, ils le passeront dans la prison Positron où ils seront également nourris et employés à diverses tâches utiles à la communauté. Pendant ce temps, un couple d’Alternants prend leur place dans leur maison. Le mot d’amour passionné de l’autre femme sera le premier grain de sable dans cette machine bien huilée.

« Consilience = condamnés + résilience.
Un séjour en prison aujourd’hui, c’est notre avenir garanti. »

Une dystopie qui s’interroge sur l’éternelle question « liberté ou sécurité ? », un résumé intriguant, une idée de base intéressante, les dérives prévisibles d’une utopie gâchée par l’avidité…. et pourtant…
Ma lecture s’est quelque peu déroulée en dents de scie. Le début m’a intriguée ; une fois les protagonistes à Consilience, j’ai eu une grosse lassitude pendant soixante-dix pages car le récit était redondant et donc long à mes yeux ; j’ai ensuite eu un regain d’intérêt qui m’a fait lire la fin sans trop de déplaisir (sans passion non plus).

L’embrigadement et le contrôle des habitants de Consilience sont tout de suite perceptibles et pourtant les personnages ne réalisent pas les problèmes qui les entourent. Charmaine notamment, avec son désir de bien faire et d’être acceptée dans cette nouvelle vie, se laisse convaincre sans difficulté que son travail en prison – pas très moral, mais je n’en dis pas plus – est nécessaire et met un temps fou avant de remettre en question les notions de dévouement et d’utilité publique bien inculquées.
Les dérives de ce nouveau système m’ont (plus ou moins) accrochée car je ne les trouve pas si farfelues que ça et j’étais curieuse d’assister à l’éveil et la rébellion de certains protagonistes. Mais finalement – comment Margaret Atwood se débrouille-t-elle ? – je suis restée à l’extérieur et je n’ai pas été horrifiée par les actes horribles qui se déroulent sous la surface lisse de Consilience, je n’ai pas tremblé pour les personnages… Finalement, Margaret Atwood lance beaucoup de pistes et les utilise très peu (le passé de Charmaine, l’alternance des couples dans la maison, la passion soudaine du Big Brother pour Charmaine…).

Parlons-en d’ailleurs, des personnages… Les principaux, Stan et Charmaine, me sont restés froids et peu sympathiques, distants en tout cas. Je n’ai ressenti pour eux aucune empathie. J’ai donc eu l’impression de rester à la marge du roman tout au long de ma lecture. Et eux aussi me semble-t-il. Tous deux ne font que suivre la révolte de loin, faisant ce qui leur est ordonné sans trop s’impliquer, ils subissent les événements d’un bout à l’autre.
Stan, Charmaine, Jocelyn, Max… tous sont des névrosés du cul qui te font oublier que le monde semble sombrer dans un gros bordel, leur unique (ou presque) préoccupation se trouvant entre leurs jambes. C’est peut-être une satire de nos sociétés, mais ça vient prendre le dessus sur les autres aspects de l’histoire et le sexe reste le moteur principal du roman.

Il a quelque chose de désuet et de misogyne dans cet histoire. Stan est parfois un gros macho (même si l’arrivée de Jocelyn va retourner un peu la situation puisqu’il devient rapidement pantin). Charmaine est un archétype de la bonne petite ménagère, elle est toute polie et aime se faire passer pour une petite chose fragile. Même si ce n’est pas tout à fait le cas, elle n’en est pas moins agaçante. Quant à la société instaurée à Consilience/Positron, elle est très proprette, classique, avec une répartition des tâches qui fait, par exemple, que les femmes en prison s’occupent du tricot, des cuisines et du linge. Au mieux, ça laisse de marbre ; au pire, ça énerve…

C’est le cœur qui lâche en dernier contient vraiment d’excellentes idées, le futur décrit n’est pas si lointain et inimaginable que ça, on frôle un peu l’étude de mœurs, l’immoralité des personnages est intéressante et l’humour noir (pas aussi hilarant que le prétend la quatrième de couverture) vient parfois ajouter une note grinçante au récit, mais ça n’a pas pris avec moi.
Le récit est poussif et je ne me suis pas une fois immergée dans cette histoire. C’est finalement le reproche majeur que je fais à ce roman car je n’ai pas de grosses critiques à lui faire : je ne me suis jamais impliquée, je n’ai jamais eu le moindre frisson d’inquiétude et de curiosité pour les personnages ou même l’utopie déglinguée de Consilience, je suis passée à côté.

Je garde malgré tout l’envie de lire La Servante écarlate en espérant que ce livre dont j’ai entendu tant de bien permettra à Margaret Atwood de remonter dans mon estime…

« Le mieux avec les cinglés, disait toujours Mémé Win – le seul truc, en réalité -, c’est de ne pas se trouver sur leur chemin. »

« Vous avez le choix, poursuit Jocelyn. De l’entendre ou pas. Si vous l’entendez, vous serez plus libre, mais moins tranquille. Si vous ne l’entendez pas, vous serez plus tranquille, mais moins libre. »

C’est le cœur qui lâche en dernier, Margaret Atwood. Editions Robert Laffont, coll. Pavillons, 2017 (2015 pour l’édition originale). Traduit de l’anglais (Canada) par Michèle Albaret-Maatsch. 443 pages.

Challenge Voix d’autrices : une dystopie

24 réflexions au sujet de « C’est le cœur qui lâche en dernier, de Margaret Atwood (2015) »

  1. J’ai globalement entendu ce genre de retours sur ce livre, c’est vrai ! Du coup je ne l’ai pas encore lu, pour l’instant je préfère rester sur le bon souvenir de la Servante Ecarlate 🙂

  2. Je ne suis pas étonnée par ton avis mitigé, tu n’es pas la première…

    Concernant La Servante écarlate, je l’ai trouvé vraiment pas mal, mais par contre, garde à l’esprit que tu y trouveras aussi une certaine froideur.

  3. Je n’ai pas encore fini La Servante Écarlate, commencé cette été (arrêtée sanas aucune raison apparente…)
    Du coup je m’étais forcée à attendre avant de lire celui là…et je crois qu’il va attendre encore un peu…ou alors quand ma bibliothèque l’aura obtenu ^^

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    • Le suspense n’a pas du tout pris avec moi tandis que l’humour n’était pas aussi présent que ce à quoi je m’attendais. J’avoue que j’ai été d’autant plus déçue que j’en attendais beaucoup après toutes les bonnes critiques sur La servante écarlate.

  5. C’est fou parce que les bouquins de Margaret Atwood me donne toujours envie, mais au final y’a un truc qui arrive pas à prendre. Ce livre là, il me donne vachement envie pourtant, le pitch a l’air hyper intéressant et l’idée vraiment bonne. Mais ton analyse rejoint celle que j’ai pu avoir de Captive et de (ma demie-lecture) de La Servante écarlate. Du coup j’ai envie de retenter, mais je freine un peu des quatre fers quand même.

    • Complètement ! Je n’ai pas encore lu La servante écarlate et j’en ai très envie, mais après la déception de C’est le coeur…, je crains un peu. Car l’histoire avait vraiment TOUT pour me plaire et au final… nope. Donc en fait, j’ai à la fois envie et pas envie de lire La Servante écarlate, ce qui est assez étrange comme sentiment… du coup, pour l’instant, ce n’est pas du tout une priorité et un jour, il me tombera dans les mains et ce sera l’occasion ! (en espérant qu’alors il ne me tombe pas des mains…)

      • Franchement La servante écarlate j’ai tenu un tiers, et j’ai pas réussi à aller plus loin (et franchement, ça m’a fait suer de pas faire mieux, vu l’engouement autour du bouquin et de la série). Captive je suis allée au bout, et j’ai regardé la série (qui est vraiment pas mal), mais je reste sur le même ressenti.
        Malgré tout, à chaque fois que je lis des quatrièmes de couv de ses livres, j’ai vraiment envie d’y retourner (genre Neuf contes dernièrement).
        Bref, je ne sais vraiment pas comment me situer par rapport à cette auteure^^

        • Oui, c’est ça qui est fou. On a entendu plein de critiques dithyrambiques, y a vraiment eu tout un foin autour de ce roman, et pourtant, j’ai aussi lu quelques avis plus tièdes qui me rappellent ce que j’ai éprouvé sur C’est le coeur… Et toi qui as carrément abandonné, ça me refroidit…
          En revanche, j’ai beaucoup aimé la série Captive ! (Je n’ai pas lu le livre.)
          Je crois que je vais attendre de tenter La Servante écarlate et si c’est une nouvelle fois laborieux, c’est peut-être que Margaret Atwood et moi ne sommes pas faites pour être copines. ^^

          • Bah après c’était l’été dernier, j’ai enchaîné pas mal de livres avec des thèmes très différents, donc peut-être que c’était pas le bon moment non plus, je sais pas… Je retenterai je pense, mais j’avoue que ce n’est pas dans mes lectures prioritaires.

            Après pour Captive, dans l’ensemble j’ai plutôt bien aimé, c’est plutôt le rythme qui me posait problème. Par contre la série est hyper fidèle au bouquin, donc c’est très bien et perso j’ai beaucoup aimé aussi 🙂

              • En fait je trouve qu’elle passe beaucoup de temps à installer le récit, donc tu t’attends à plein de trucs, et finalement il y a beaucoup de choses qui ne sont pas vraiment creusées (tu le fais remarquer dans ta chronique d’ailleurs je crois)

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