Souvenir de vacances avec Quartier Western ou La Réunion des années 1970 vue en BD par Téhem (Téhem qui est aussi l’auteur des petites bandes dessinées Tiburce qui mettent en scène un petit Blanc des Hauts farceur et désobéissant).
Dans Quartier Western, on suit plusieurs personnages sur un temps très court (une journée de 1976). Le « prologue » les met tous en scène une première fois dans la boutique du Chinois Ha-Fok tandis que les trois chapitres suivants s’attachent des personnages bien précis pour nous faire suivre leurs déambulations. Les mêmes événements reviennent donc plusieurs fois perçus de différents points de vue. Enfin, un quatrième chapitre les réunit tous une dernière fois pour la conclusion de cette journée épique.
Cette construction est très entraînante. Tout se met en place peu à peu et nous sommes les seuls à posséder toutes les clés de ce récit. Que fait tel personnage à tel endroit, comment telle chose est-elle arrivée, etc.
Si son dessin peut, à première vue, sembler gentil avec ces personnages animaux, Téhem propose en réalité un portrait complet de la Réunion dans toute sa mixité : il croque les différentes ethnies (Cafres, Créoles, Zoreils, Malbars, etc.), le catholicisme inculqué avec des baffes et l’hindouisme, la richesse de certains et la pauvreté des autres… Ses personnages parlent tous créoles et l’usage de cette langue musicale contribue énormément à nous faire voyager jusqu’à la Réunion.
Quant aux « héros » et à l’intrigue, ils ne le sont pas du tout, gentils. Le rhum coule à flot et fait naître bien des démons (coup de cœur pour le caméléon au cerveau rongé par ses rhums arrangés maison), les différends se règlent à coups de sabre à canne, le curé court après ses jeunes ouailles délinquantes. Malgré tout, on ne peut pas leur en vouloir et ils sont tous attachants à leur façon. Ils tentent tous de se dépatouiller comme ils peuvent dans une société pas toujours facile : Téhem ne fait pas l’impasse du racisme, de la pauvreté, ni même des viols…
Qui aurait cru qu’une BD avec des animaux puisse être à la fois aussi drôle, aussi grinçante et apparemment aussi juste – puisque les libraires réunionnais m’ont dit qu’elle leur avait rappelé leur enfance – ? Quoi qu’il en soit, le dessin en noir et blanc de Téhem donne vie à des personnages très différents et très expressifs et le scénario parfaitement maîtrisé nous plonge dans ces tranches de vies le temps d’une journée inoubliable.
Quartier Western, Téhem. Des bulles dans l’océan, 2010. 125 pages.
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