Quatrième roman de l’auteure canadienne Emily St. John Mandel, Station Eleven est une dystopie dans laquelle l’humanité a été décimée à 99% par une pandémie fulgurante. Les survivants doivent se débrouiller dans un monde où tout ce qu’ils connaissaient a disparu : l’électricité, les transports, l’eau courante, les frontières, Internet, l’essence… Parmi eux, une troupe de comédiens et de musiciens – La Symphonie Itinérante – parcoure la région des Grands Lacs pour jouer du Shakespeare ou de la musique classique.
Sur une période de plusieurs décennies – avant et après la pandémie –, on suit plusieurs personnages tous liés par un acteur, Arthur Leander, mort sur scène le soir où le monde bascula.
Certes, Station Eleven est un roman post-apocalyptique, mais ce n’est pas un livre d’action. L’histoire met l’accent sur l’humain. Parmi ceux que nous suivons – Arthur, Miranda, la première femme de celui-ci, Jeevan, un ancien paparazzi qui assista à sa mort et tenta de le sauver, Kirsten, une jeune femme qui jouait avec lui alors qu’elle n’avait que huit ans, ou encore Clark, son meilleur ami –, certains vivront, d’autres pas (je ne spoilerai pas en disant qui !). Leurs vies se croisent, se lient avec, comme toile de fond, deux BD intitulées… Station Eleven.
Emily St. John Mandel dit l’espoir, les regrets, la peur, la solidarité, les souvenirs. Elle fait des allers-retours entre le monde d’avant la pandémie et celui d’après. Avec Clark et Miranda, on revit également la progression des événements, les premiers jours de la fin de monde, quand tout vint peu à peu à manquer.
Les personnages sont tous vrais et on se sent très proches d’eux. Pas de héros, juste des hommes et des femmes avec des qualités et des défauts qui luttent pour vivre, pour survivre dans ce monde perdu.
Ce réalisme est également présent dans la manière dont l’après est abordé. Ici, pas de morts-vivants, juste un nouveau monde à appréhender. La survie, l’absence de choses qui nous semblent évidentes tant elles sont intégrées dans notre quotidien (l’électricité, Internet, l’eau courante, etc.), les dérives religieuses ou sectaires… La manière dont tout se dégrade et dont les ressources disparaissent m’a semblée parfaitement crédible.
Egalement réflexion sur le souvenir et sur la transmission, Station Eleven est un roman passionnant, servi par une écriture très agréable et fluide. Impossible de lâcher ce roman très bien construit dans lequel les pièces du puzzle se mettent progressivement en place.
« Si ç’avait été un autre que Hua, Jeevan ne l’aurait pas cru, mais il n’avait jamais connu un homme aussi doué pour l’euphémisme. Si Hua disait qu’il s’agissait d’une épidémie, c’est que le mot épidémie n’était pas assez fort. Jeevan fut soudain terrassé par la certitude que cette maladie décrite par son ami allait être la ligne de démarcation entre un avant et un après, un trait tiré sur sa vie. »
« Si l’enfer c’est les autres, que dire d’un monde où il n’y a presque plus personne ? Peut-être l’humanité s’éteindrait-elle bientôt, simplement, mais Kirsten trouvait cette pensée plus apaisante que triste. »
« – En tout cas, je ne sais pas comment vous supportez ça [d’explorer des maisons abandonnées].
Nous le supportons parce que nous étions plus jeunes que toi quand tout a pris fin, pensa Kirsten, mais pas suffisamment jeunes pour n’en garder aucun souvenir. Parce qu’il ne reste pas beaucoup de temps, que tous les toits s’effondrent et que bientôt ces vieilles constructions ne seront plus sûres. Parce que nous cherchons en permanence l’ancien monde, avant que toute trace en ait disparu. Mais ça semblait trop compliqué à expliquer, alors elle haussa les épaules au lieu de lui répondre. »
« Il marchait depuis cinq jours lorsqu’il finit par rencontrer quelqu’un. Au début, la solitude avait été un soulagement – il avait imaginé un monde livré à la barbarie, s’était imaginé mille fois dépouillé de son sac à dos et condamné à mourir sans provisions – mais, au fil des jours, la signification de ce paysage désertique commença à lui apparaître. La grippe de Géorgie avait été si efficace qu’il ne restait quasiment plus personne. »
Station Eleven, Emily St. John Mandel. Payot & Rivages, 2016 (2014 pour l’édition originale). Traduit de l’anglais (Canada) par Gérard de Chergé. 477 pages.
J’en entends tellement parler qu’il faut absolument que je le lise, déjà j’avais vu la magnifique couverture en VO mais maintenant je l’attends en poche !
Oh oui, et je serai curieuse d’avoir ton avis. Je l’ai trouvé vraiment excellent et j’en garde un souvenir très net.