Vous parler de ça, de Laurie Halse Anderson (2014)

Vous parler de ça (couverture)Celle qui veut vous parler de ça, c’est Melinda Sordino. Elle voudrait parler, mais elle ne peut pas. Les mots refusent de franchir le barrage de ses lèvres et restent coincés dans sa gorge. Et moins elle parle, plus elle s’isole. Les filles qu’elle croyait être des amies tournent le dos à cette paumée mal dans sa peau, les profs punissent cette lycéenne qui refuse de participer en classe, les parents repoussent peu à peu cette fille mutique et fermée.
Vous parler de ça aborde un sujet trop souvent tabou ou source de honte chez celles qui ne sont que les victimes. L’horreur, le traumatisme connu par Melinda est raconté là dans un récit touchant. L’auteure en parle avec énormément de délicatesse et de finesse, notamment parce qu’elle ne se focalise pas dessus.
Ce qui fait le cœur du roman, c’est la mise à l’écart de Melinda. Personne ne l’interroge vraiment sur les raisons de son mutisme, sur la chute de ses notes, sur l’absence d’amies. On la punit, on l’ignore, on lui crie dessus, mais on ne s’intéresse pas réellement à elle. Cela ne fait que rendre la chose plus affreuse, plus douloureuse. Seul un professeur d’arts plastiques saura voir un peu à travers la carapace qu’elle s’est construite. Le manque de pédagogie des enseignants est déjà ahurissant, mais c’est le comportement des parents qui m’a le plus choquée. Ils ne montrent aucun intérêt à leur fille unique, se contentant de la minable explication « elle fait sa crise d’adolescence ».

Quant à l’héroïne, Laurie Halse Anderson en fait un portrait très réussi, tout en nuances. Melinda est poignante. Elle ne dit mot, mais son esprit tourne à mille à l’heure. Elle se réfugie derrière un certain cynisme, mais elle doit s’avouer qu’elle rêve d’amitié, de rires et de compréhension, qu’elle désire profondément ne plus être seule. En dépit de sa souffrance, c’est une fille forte qu’on ne peut qu’aimer. Elle a de l’humour, de la volonté et elle semble être une personne véritablement intéressante. Ce fut un plaisir de faire sa connaissance au fil des pages.

Les chapitres très courts racontent des instants de vie au lycée ou à la maison. Elle relate son quotidien entre des parents absents et des lycéens qui la rejettent. On voit sa situation se dégrader petit à petit et, si on comprend bien ce qui lui est arrivé, elle met du temps à le dire.
Toutefois, tous les chapitres ne sont pas tristes. D’autres sont drôles ou émouvants (de l’émotion heureuse cette fois). Cette année scolaire se construit donc dans une alternance de moments lumineux et sombres.
La fin est mon seul regret. Elle est un peu rapide. Je n’avais pas envie de quitter Melinda et j’aurais aimé la suivre encore un peu, pour la voir remonter la pente.

Sorti en 1999, cet émouvant roman n’avait jamais été traduit en français. Je remercie donc vivement les éditions de La Belle Colère de nous avoir offert ce beau morceau de littérature qui m’a fortement émue. A mettre entre de nombreuses mains, adultes et adolescentes.

(J’ai souvent été attirée par l’axe éditorial – en gros, des livres dont les personnages principaux sont des adolescent-es, mais qui ne sont pas destinés uniquement aux adolescent-es – et les couvertures toutes simples de La Belle Colère, mais je n’avais jamais eu l’occasion d’en lire un. A présent que c’est fait, je peux affirmer que ce ne sera pas le dernier.)

« Je sais que j’ai l’esprit en vrac. Je veux partir, déménager, me téléporter dans une autre galaxie. Je veux tout raconter, rejeter la culpabilité, la faute et la colère sur quelqu’un d’autre. Il y a une bête dans mon ventre, je l’entends gratter sous mes côtes. En admettant que je réussisse à me débarrasser du souvenir, cette bête restera avec moi et continuera à me souiller. »

« De quel droit me punissent-ils sous prétexte que je ne parle pas ? Ce n’est pas juste. Que savent-ils de moi ? Que savent-ils de ce qui se passe dans ma tête ? Le tonnerre, des gosses en pleurs, voilà ce qu’il y a. Pris dans une avalanche, tenaillées par l’inquiétude, se tortillant sous le poids du doute, de la culpabilité. De la peur. »

« Compte tenu de ma réputation, je devrais m’estimer heureuse qu’on m’invite à mes propres funérailles. »

Vous parler de ça, Laurie Halse Anderson. La belle colère, 2014 (1999 pour l’édition originale). Traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Marie Chabin. 298 pages.

Ma chronique de l’adaptation en roman graphique – intitulé Speak
par Emily Carroll

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