Regardez cette couverture comme elle est belle ! Comment résister ? Ce livre m’a hurlé « Ouvre-moi ! » dès que mes yeux sont tombés sur lui qui reposait, seul, sur une table de la bibliothèque. Et quand, en le retournant, on lit : « Si une bibliothèque est une âme de cuir et de papier, Feuillets de cuivre est sans aucun doute une œuvre d’encre et de sang. », on ne peut pas ne pas obéir à cet ordre. Donc. Je l’ai emmené et je l’ai lu. Et je l’ai aimé.
Dans Feuillets de cuivre, Ragon, employé à la Sûreté, personnage obèse et cultivé, est confronté à de nombreux crimes à travers la capitale. Pour résoudre ces enquêtes parfois très glauques, Ragon a un outil : la littérature.
La première partie du roman va jusqu’en 1899 tandis que la seconde commence en 1901. Ce passage au XXe siècle marque également d’un fil rouge dans les enquêtes. Entre 1872 et 1899, les crimes sont variés et apparemment sans aucun lien entre eux. On trouve un meurtre dans une chambre close, un journal codé, des meurtres de prostituées à la Jack l’Eventreur, etc., et les résoudre permet à Ragon de monter tranquillement les échelons de la Sureté. Dès 1901, un personnage fait son apparition : l’Anagnoste. Ce personnage – qui tient son nom de celui donné à l’esclave ou affranchi chargé de faire la lecture à haute voix dans l’Antiquité – devient peu à peu la Némésis, l’ennemi parfait de Ragon. Il reprend les anciennes enquêtes de Ragon, ce qui rend cette seconde partie bien plus intéressante.
Je ne connais pas trop la littérature steampunk, mais quoi qu’il en soit, Feuillets de cuivre n’est pas une accumulation de machines à vapeur et de personnages portant des lunettes de protection (c’est peu ou prou l’image que j’avais en entendant « steampunk »).
Fabien Clavel nous replonge dans un Paris qui a existé : celui de l’affaire Dreyfus, de l’incendie du métro du 10 août 1903… Mais quelques éléments attirent l’attention : des rituels magiques, un prototype d’hélicoptère qui survole les canaux de Paris, les étranges propriétés de l’éther (« un fluide universel capable de transporter la lumière, notamment dans le vide »), un médium qui entre en possession, etc.
Feuillets de cuivre est également une ode à la littérature. Toutes les enquêtes ont un lien avec les livres, des auteurs, des œuvres ou bien l’objet livre en lui-même. Edmond de Goncourt donne un coup de pouce à Ragon, Maupassant a fréquenté la clinique Blanche où la femme de Ragon passera ses derniers jours, un mystérieux criminel laisse derrière lui de morbides réécritures de classiques. Tous les auteurs du XIXe sont là : de Hugo à Baudelaire en passant par Zola, Balzac, Dumas et tant d’autres. N’oublions pas non plus Jules Verne et Eugène Sue.
Quant à Ragon, cet amoureux des livres, il est un mélange de Sherlock Holmes et d’Hercule Poirot. J’ai donc vraiment adoré toutes ces références, ces réécritures, ces apparitions.
C’est un roman vraiment bien construit : il ressemble au premier abord à un recueil de nouvelles, mais le fil rouge apparaît peu à peu. Tout est fait avec subtilité. La magie, le paranormal, l’Anagnoste… tout prend forme petit à petit.
La préface d’Etienne Barillier et la postface d’Isabelle Perier sont vraiment très intéressantes et très agréables à lire (pour une fois la préface ne spoile rien tandis que la postface enrichit véritablement la lecture).
Un roman très érudit qui peut intéresser aussi bien les amateurs de polars désireux de découvrir un style véritablement original, les amoureux de Paris et/ou de la littérature, les connaisseurs du genre steampunk, ou tout simplement, tous les curieux !
« Une bibliothèque, c’est une âme de cuir et de papier. Il n’y a pas de meilleur moyen pour fouiller dans les tréfonds d’une psyché que de jeter un œil aux ouvrages qui la composent. La sélection, le rangement, le contenu, même la qualité de la reliure : tous les détails sont importants. Me croiriez-vous si je vous disais que j’ai résolu toutes mes enquêtes à partir de livres ? »
« N’oubliez jamais cela, Fredouille : tout est dans les livres. Notre vie n’est qu’un feuillet détaché de l’ouvrage gigantesque du monde. »
« Quels points communs entre Notre-Dame de Paris de Hugo, Salammbô de Flaubert et Les Mystères de Paris de Sue ? Tous étaient des romans français écrits au siècle dernier. Pour le reste, les époques, les lieux, les styles des récits différaient.
Trois récitations, trois œuvres, trois morts.
La pensée du commissaire ne pouvait se détacher de cette obsédante trinité. »
Feuillets de cuivre, Fabien Clavel. ActuSF, coll. Les trois souhaits, 2015. 338 pages.
Je viens sur cette chronique après Des Sorciers et des Hommes (grâce au lien), et je pense faire partie des curieux (curieuses) dont tu parles à la fin ! Le mélange de Paris au XIXème-XXème siècle, de littérature et de steampunk me semble intéressant car, si je ne connais pas bien ce dernier genre et que j’ai quelques préjugés dessus (c’est mal, je sais), le mélange avec d’autres « styles de romans » semble intéressant.
C’était une découverte tout à fait atypique pour moi. Si les auteurs évoqués m’étaient familiers, le côté roman à épisodes me l’était beaucoup moins, tout comme le steampunk (qui est pourtant un univers qui m’attire alors que j’ai lu assez peu de romans de ce genre) et le côté polar (je ne suis pas une grande lectrice du genre). (Finalement, je ne connais rien !) Certains aspects m’avaient un peu déconcertée si je me souviens bien, mais ça avait été une très bonne surprise malgré tout !
Oui, en plus le « roman à épisode », je n’ai jamais testé. Mais non, ce n’est pas parce que tu connais peu deux genre que tu ne connais rien !
Merci pour ta réponse 🙂