Alors je suis devenue une Indien d’Amérique, de Marie Docher (2014)

Alors je suis devenue une Indien d'Amérique (couverture)Préfacé par Elisabeth Lebovici.

A 50 ans, Marie Docher est en couple avec une femme et vit avec Mehdi, l’enfant que cette dernière a eu grâce à la PMA lors d’une précédente relation. Sa famille est montrée du doigt, marginalisée, insultée comme tant d’autres lorsque s’ouvrent les débats pour le mariage pour tous en 2012. D’un coup, on lui criait à la figure que ce n’était pas un bon environnement pour que Mehdi grandisse, qu’il aura des problèmes, que ci, que ça… tant de personnes qui ont un avis bien tranché sans connaître une seule famille homoparentale.

Alors elle écrit pour exorciser. Sans être chronologique, ce journal se souvient des stéréotypes sur les homos qu’on lui a jeté à la figure, des insultes, de l’homophobie ordinaire. Elle revient sur son enfance, quand elle portait uniquement des pantalons pour suivre et jouer avec ses cousins et ses copains, pour être intégrée parmi eux. Elle réfléchit sur l’homosexualité, sur la peur, sur l’attention constante portée à ce que l’on dit, à ce que l’on dévoile. Elle se souvient, elle raconte son expérience, son vécu de femme, de lesbienne.
En une centaine de pages, on revit la violence née des débats liés au mariage pour tous. Les propos infamants, les discours homophobes diffusés dans les médias, les cris des foules vêtues de bleu et de rose… Cette violence est d’ailleurs amplifiée par les quelques déclarations d’hommes politiques ou d’Eglise contre le mariage pour tous qui ponctuent les textes de Marie Docher. Ce déchaînement de haine fait écho à l’homophobie constante ressentie tout au long de sa vie qui, goutte après goutte, l’a amenée à une prise de conscience. Mais le choc de la Manif pour tous n’en a pas été moins fort.

Publié aux éditions iXe, c’est un texte vraiment poignant et je me suis très vite identifiée aux propos de Marie Docher. Ce qu’elle raconte dans ce livre, c’est ce que vivent les homos, mais aussi tous ceux qui sont différents, qui ont un mode de vie qui sorte de la norme, qui sont stigmatisés par les bien-pensants.

L’auteure est photographe et certains de ses clichés sont insérés dans ce journal ainsi que des photos de famille : son enfance, ses déguisements, le fils de sa compagne…

Un récit lucide sur la violence du conservatisme et de l’ignorance, sur une prise de conscience, sur les mots blessants qui s’accumulent… Un livre qui m’a fait revivre comme un coup de poing la véhémence de certains à refuser l’égalité à ceux qui ne rentrent pas dans leur moule hétéronormé et l’horreur des mots qui ont été criés si fort.

 « Il existerait donc un matrice idéale qui devrait contenir tous les enfants dans un même moule ? Pour des gens qui accusent les homos d’aimer le « même », leur reprocher de construire du « différent » ne manque pas de piquant. Si ces enfants sont différents, et il y a de grandes chances qu’ils aient effectivement d’autres conceptions du monde, n’est-ce pas plutôt une bonne nouvelle ? Notre société est-elle si parfaitement structurée qu’elle ne puisse s’ouvrir à de nouvelles perspectives ? »

« Mais au fond, c’est ce qui se passe en moi qui me surprend. C’est que je me sens intégrer une « communauté », non par choix mais par discrimination, par déclassement, par colère. »

« Je n’ai jamais eu envie de faire des enfants.
Je n’ai pas peur de vivre seule.
Le sexe des personnes qui peuvent me séduire n’est pas un critère de choix.
Ça dégage pas mal le terrain, je trouve.
Mais c’est socialement peu accepté.
Alors progressivement, par petites touches, par petits choix forcés, j’ai glissé de la sensation d’être au cœur de tous les possibles à la certitude d’être à la marge d’un monde étroit. »

 « Je n’ai jamais voulu de l’étiquette « subversive » ou « marginale » parce que je ne le suis pas, tout simplement.
Et puis soudain, plus rien n’a été pareil.
Je me suis rendue compte que ma vie était à peine tolérée par une partie de mon entourage. J’ai commencé à lire, à m’informer, à participer aux débats. J’ai eu la sensation de me réveiller d’une longue nuit. J’ai beaucoup pleuré aussi, des larmes de colère et de dépit. Je pleure encore.
J’ai aussi beaucoup discuté avec des homos et compris que ce qui nous unissait n’était pas notre sexualité mais la peine que nous partagions, la colère, ces insultes et mensonges qu’il nous fallait encore entendre, ad nauseam.
Plus rien n’a été pareil. Je n’étais plus seule. Il y avait un enfant dans ma vie et il était maltraité par des bien-pensants.
Mon privé est devenu politique. »

« L’homosexualité n’est pas un  problème en soi, c’est d’avoir à le dire qui en devient un, c’est d’avoir à se définir. Et rien que pour cet immense effort, cette peur qui nous tient éveillé•es à chercher des mots pour le dire, ce travail de conscience qui nous est demandé, souvent jeune, nous devrions recevoir autre chose que de la consternation, des jugements et aussi souvent de la haine.
Si les hétéros se demandaient avec autant de curiosité, de nécessité et d’énergie quand et pourquoi ils sont devenus hétéros, j’ai la sensation qu’il y aurait beaucoup moins de violence. »

« Il y a tellement d’autres raisons et déraisons que son sexe pour aimer quelqu’un ! »

Alors je suis devenue une Indien d’Amérique, Marie Docher. Editions iXe, collection Fonctions dérivées, 2014. 107 pages.

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