Des mois que je l’attendais, ce nouveau Dolan ! Depuis sa présentation à la Mostra de Venise en septembre 2013 en fait. Des mois passés à éviter toute image, toute bande-annonce ou, pire encore, toute critique. Je voulais arriver ignorante dans la salle de cinéma et c’est ce que j’ai fait.
Mon conseil : ne lisez rien de plus et aller voir Tom à la ferme !
C’est vrai que je n’étais pas totalement ignorante, je connaissais l’histoire de manière vague : un jeune homme se rend dans la famille de son amant pour l’enterrement de celui-ci, mais là-bas personne ne sait qui il est réellement.
Voilà. C’était tout.
Et c’était parfait ! Ainsi arrivée sans présupposé, j’ai été surprise, ravie, perplexe, angoissée, soulagée (un peu), interpellée (de la même manière que j’ai été scotchée et émerveillée lorsque le « Serpent » du Black City Tour d’Indochine s’est déroulé autour de moi pour la première fois après avoir passé deux mois à éviter comptes rendus et vidéos).
Pour ce qui est de la forme, Tom à la ferme ne ressemble pas aux précédents films de Dolan. Ce thriller psychologique semble annoncer un nouveau Dolan. Il est sombre, tellement sombre alors que les précédents étaient colorés et lumineux. Austère alors que les précédents étaient flamboyants. Il est oppressant ; le talentueux Xavier Dolan sait faire fonctionner son huis-clos. Je me suis sentie encore plus claustrophobe qu’à l’ordinaire pendant une heure quarante. Hitchcock est là.
Si l’ombre d’Alfred Hitchcock plane évidemment sur ce film par la forme (la scène de la douche…), on la ressent également dans la musique. La musique est pour moi l’un des éléments qui confirment qu’il s’agit bel et bien d’un Dolan. Elle a toujours été une sorte de personnage supplémentaire tant elle est adaptée et merveilleusement bien choisie. Jusqu’alors il s’agissait généralement de chansons avec des paroles : Noir désir de Vive la fête dans J’ai tué ma mère, Bang Bang de Dalida dans Les amours imaginaires, Fade to Grey de Visage dans Laurence Anyways ne sont que quelques exemples parmi tant d’autres. Dans Tom à la ferme, la musique se fait plus instrumentale, plus agressive aussi ; elle participe efficacement à l’enfermement de Tom et du spectateur dans cette ferme de rednecks canadiens.
Si la forme diffère du tout au tout, même s’il s’agit en premier lieu d’un film sur les différences et l’intolérance, sur la mort également, on retrouve finalement un peu le thème de l’amour impossible (mais est-ce si surprenant alors que ce thème est finalement majeur dans les arts quels qu’ils soient ?). Cependant, il est abordé ici d’une manière totalement différente, plus malsaine et ambigüe. Au programme : deuil amoureux, jeux de rôles, dissimulation, violence, fascination et syndrome de Stockholm. 1h42 de tension et de drame et des jours pour en revenir !
La forme diverge des trois premiers films, mais Tom à la ferme a toute la rigueur des précédents. Xavier Dolan ne lâche rien et examine tout du jeu des acteurs à la lumière en passant par les costumes et le montage. On ne peut toutefois lui trouver la même beauté ; tout est volontairement laid. Les décors sont misérables, les champs sont tristes, les couleurs sont ternes, nous ne sommes plus dans l’univers fulgurant et coloré de Laurence Anyways. Cela ne rend la situation que plus oppressante…
Dans cette histoire (qui exceptionnellement n’est pas du multi casquette Xavier Dolan puisqu’il s’agissait à l’origine d’une pièce de théâtre de Michel Marc Bouchard), Tom retrouve son amant sous les traits du frère de celui-ci, Francis. L’arrivée de Tom, ce jeune publicitaire montréalais aux cheveux blonds oxygénés, dans un coin perdu du Québec va bouleverser le quotidien de Francis ; c’est également une réflexion sur les citadins et les provinciaux, les différences entre « rats des villes et rats des champs » comme dirait La Fontaine, sur le calvaire d’un homosexuel dans une région arriérée.
Cet éleveur de bovins qui vit seul avec sa mère est présenté comme une brute, un monstre, et fait vivre un véritable enfer à Tom. Le talent de Xavier Dolan est cependant de nous amener à réfléchir sur le passé et l’histoire de ce personnage et finalement à ressentir de l’empathie pour lui, à comprendre le poids des remords, de la différence, des non-dits… Même s’il nous met des coups en pleine figure, Francis parvient à nous émouvoir. Félicitations à Pierre-Yves Cardinal, l’interprète de Francis (qui est vraiment sympathique en vrai !)
J’ai vraiment aimé que tout ne soit pas explicité, que l’homosexualité soit finalement plus sous-entendue que réellement évoquée. Nous sommes appelés à faire travailler nos méninges et notre imagination pour comprendre la vie et les souffrances des différents protagonistes.
Tom à la ferme est un choc visuel, auditif, émotionnel et intellectuel. C’est une perle qui restera gravée en moi avec les autres films de ce réalisateur de génie qui fait déjà partie des plus grands.
Si vous ne savez pas ce qu’il vous reste à faire, je ne peux plus rien pour vous.
J’attends avec impatience Mommy. Dans ce cinquième film jouera Antoine-Olivier Pilon, l’acteur du clip College Boy ; on retrouvera également les géniales Suzanne Clément et Anne Dorval absentes dans Tom à la ferme (et dans Laurence Anyways pour Anne Dorval).
Et pour patienter, je me demande si je ne vais pas retourner voir Tom et Francis…
Une phrase qui est dans la pièce, mais pas dans le film :
« Avant d’apprendre à aimer, les homosexuels apprennent à mentir. »
Les autres films de Xavier Dolan :